Odeurs, bruits, manies : comment aborder ces sujets gênants avec ses collègues ?

26 avr. 2022

6min

Odeurs, bruits, manies : comment aborder ces sujets gênants avec ses collègues ?
auteur.e
Antonin Gratien

Journaliste pigiste art et société

Quel embarras. Rappeler à un collègue qu’il n’est pas de bon ton d’utiliser un mot aussi familier que « miff » dans une présentation pro’, c’est une chose. Aborder avec lui ce que vous considérez être une lacune d’hygiène ou des manquements au savoir-vivre en est une autre. Par gêne et dans l’espoir un peu fou que les choses s’arrangent d’elles-mêmes, on a tôt fait de passer ces petites sources de crispation sous le tapis. Mais une fois qu’elles se sont muées, jour après jour, en véritable calvaire pour la vie en open space, nécessité est de mettre les pieds dans le plat - histoire d’éviter un pétage de plomb qui ne profiterait à personne. Voici notre listing des points les plus touchy à aborder avec ses collègues. Ainsi que nos conseils pour le faire avec tact. Et bienveillance. Stay calm, stay cool.

Les sujets les plus “touchy”

Les vilaines exhalaisons

Quelqu’un aurait-il laissé traîner quelque plat avarié dans le frigo commun ? Non. Malheureusement, après une scrupuleuse enquête, tout indique que cette odeur à réveiller Jim Morrison du Père Lachaise provient de votre voisin de bureau - au demeurant sympathique en tout point. À ce que vous sachiez, on n’est pas au XVe siècle, il dispose d’eau chaude à domicile et ne verse pas dans l’activisme écolo anti-rinçage corporel. Pourtant, le fait est là : il sent. Fort, beaucoup trop fort. À chacun d’y aller de sa petite méthode pour faire face. Qui son baume du tigre, qui sa bougie parfumée, qui le port systématique du masque ? Tous les moyens sont bons.

Le racontage de life

Par le menu et dans les détails. Pour votre plus grand malheur, évidemment. Voilà des années que, bien malgré vous, vous êtes tenus au courant des aléas de santé de Mistigri, « l’a-do-ra-ble » lapin de votre collègue. Mais pas que. Les frasques adolescentes de l’aîné de la famille (« il faut que jeunesse se passe… »), la galère pour trouver ce fameux timbre du XXe à l’effigie de Diderot qui permettrait - enfin - de parfaire sa collection… Que vous soyez à la machine à café, en pause clope ou à l’afterwork, impossible d’y couper. Des tracas quotidiens aux tragédies domestiques, il vous dit tout, tout le temps. Ni vos réponses laconiques, ni vos regards évasifs, ni votre moue dubitative ne vous ont permis d’avoir raison de l’intarissable déballage de vie privée auquel ce coworker s’adonne avec un enthousiasme inoxydable. Au moins, il y a un heureux.

Les râlements perpétuels

« Merde », « putain », « fait chier », « rooooooooh »… Voilà quelques-unes des formules fleuries qu’emploie quotidiennement (et à haute voix) votre collègue pour commenter chaque embûche pro’. À croire qu’il déteste son job. Si maugréer était une discipline olympique, nul doute que ce partenaire un brin bougon décrocherait la médaille d’or. Et haut la main, s’il vous plaît. Au début, ces soudaines saillies vous faisaient bondir de surprise - vous vous dépêchiez même d’aller vérifier si tout allait bien. Eh oui, tout allait toujours « bien », malgré les apparences. Alors à quoi bon ce chapelet de plaintes dont la cadence et le spectaculaire auraient, en d’autres temps, pu inspirer à Molière certains de ses personnages les plus colériques ? Mystère. Les années passant, vous vous êtes habitués à considérer cette fureur comme une nuisance auditive, et rien de plus. Un peu comme un coup de klaxon. Et vous n’êtes pas sûr que ça soit franchement une bonne nouvelle.

Les « petits » larcins

Mais qui a volé, a volé, le bic de la compta’ ? Pas besoin d’être Sherlock Holmes pour le deviner. Voilà des années que ce collègue demande à droite, à gauche, en haut, en bas de menus prêts. Des ciseaux par-ci, un stabilo par-là. Alors bien sûr, au début, on n’y prêtait guère attention. Mais un jour tous ces « emprunts » sans billet retour ont commencé à peser dans le budget annuel de la boîte. Sans même parler de l’évaporation d’objets perso : chargeurs de smartphones, mugs, bouquins (trop) négligemment abandonnés sur le desk… Depuis belle lurette vous avez compris que la formule « il s’appelle revient » a une efficacité proche de 0. Reste à essayer « Chipeur, arrête de chiper » ?

La bougeotte

Mais comment fait-il pour respecter ses deadlines ? Ce collègue passe plus de temps à arpenter les couloirs de l’entreprise façon Bip Bip des Looney Tunes que devant son ordi’. Et personne ne s’explique ces déambulations à la chaîne souvent intempestives. Rien qu’entre 9h et 10h certains l’ont vu vers les toilettes, au troisième étage, puis du côté du RDC - pour passer un coup de fil, peut-être ? Au bureau, les branchés médecine en sont venus à soupçonner un trouble du déficit de l’attention, « l’hyperactivité ». D’autres, plus axés ragots peut-être, misent sur de mystérieux flirts. Quoi qu’il en soit, ça bouge dans tous les sens. Difficile d’en faire abstraction.

Les tics nerveux

« Tac, tac, tac ». Ce son a beau n’être que celui d’un innocent crayon tapotant une extrémité de bureau tout aussi innocente, il vous fait désormais l’effet des trompettes de l’Apocalypse. La raison ? Ce n’est que la prémisse d’une agitation frénétique propre aux périodes de rush dont vous connaissez chaque étape par cœur. La main passée furieusement dans les cheveux, le pied agité, les soupirs à répétition. Un vrai carnaval du je-suis-ultra-charette. Si le stress devait être personnifié, il trouverait un modèle idéal en la personne de ce collègue au langage corporel si… expressif.

Comment en parler, docteur ?

On l’aura compris, les motifs de petits agacements sont légion dans la vie d’entreprise. « Rien de plus naturel d’ailleurs », souligne Anne-Laure Boselli, coach professionnelle et auteure de Les 50 règles d’or de la communication non violente. La raison ? « Dès qu’il y a semblant de vie en communauté, il y a risque de tension. De la proximité physique liée à l’open space né une intimité où cohabitent plusieurs sensibilités à la géométrie variable, et dont les valeurs différentielles risquent de provoquer des crispations. » Voire plomber l’ambiance du bureau tout entier.

« Les comportements jugés inopportuns ou irritants peuvent conduire à deux écueils : un ras-le-bol courroucé de la part des excédés, et l’émergence de moqueries ou d’attitudes passives agressives à l’encontre d’une personne jugée responsable qui se trouverait, in fine, ostracisée dans le rôle du mouton noir. » Seule porte de sortie : communiquer. Mais la tâche n’est pas mince. « Il est plus aisé de porter une critique sur la qualité du travail de quelqu’un, son “faire”, que d’évoquer avec lui des problèmes érigés en tabou car ils touchent à son “être” .» Pas de quoi être (trop) gêné à l’idée d’un feedback négatif sur le rendu d’un collègue, car ce jugement porterait uniquement sur la sphère pro’. C’est une autre paire de manches lorsqu’il s’agit d’avouer à quelqu’un que ses bruits de déglutition nous horripilent, car cette habitude touche à l’intime et à l’intégrité de la personne.

Comment parler de sujants gênants avec nos collègues ?

Notre tuto en 5 points-clés, soufflé par Anne-Laure Boselli

  • 1. Parler en tête-à-tête

L’interpellation publique provoquerait à coup sûr un sentiment d’humiliation cuisant chez l’intéressé. Misez sur l’élection d’un « volontaire » qui, en aparté, ferait office de porte-parole. Il peut s’agir du manager de l’équipe ou, encore mieux, d’un proche qui, du fait de ce lien, aborderait le sujet sans que l’interlocuteur ne se sente d’emblée en danger.

  • 2. Faire preuve de tact
    Débuter la conversation en exprimant le « besoin » de parler, puis partager son propre embarras. « C’est délicat pour moi d’aborder le sujet », utilisée en guise d’intro’, cette phrase témoigne une marque d’attention, de respect. Elle a aussi le mérite de placer l’autre dans une position d’écoute.

  • 3. Parler à la première personne du singulier
    « Je suis déconcentré lorsque tu… », partir d’un ressenti personnel pour évoquer le nœud du problème permet de présenter l’approche comme résultant d’une vision subjective, et non d’une vérité absolue.

  • 4. Verbaliser son besoin
    Sans jamais verser dans l’accusation, exprimer la demande d’un changement et détailler les raisons pour lesquelles il s’agit d’une nécessité. La communication bienveillante n’appartient pas au règne des bisounours. Il s’agit d’oser mettre franchement les mots sur le souci pour permettre à l’intéressé de prendre conscience d’un « défaut » que, bien souvent, il n’avait jamais considéré comme tel.

  • 5. Remercier l’autre
    À moins que votre interlocuteur ne fasse partie des très, très rares humains à n’en avoir strictement rien à faire d’être une gêne pour autrui, il s’engagera à modifier son comportement. Reste donc à lui témoigner votre reconnaissance pour le temps accordé à cette discussion, et les efforts qu’il se dit prêts à fournir. Une bonne manière de sceller la discussion. Ainsi que le lien de confiance établi.

Last but not least…

Durant l’échange, n’oubliez pas l’arsenal dont vous disposez pour témoigner de votre bonne volonté. Des sourires, un regard plongé dans celui de l’autre, une main chaleureuse posée sur l’épaule. Tout peut être utilisé pour établir « une vraie connexion ». Un dialogue qui ne relèverait pas de la guerre ouverte, mais d’une approche constructive et pacifiée. Saine, quoi. À vous de jouer !

Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ