Comment manager quelqu'un qui nous intimide ?

08 sept. 2020 - mis à jour le 21 sept. 2023

5min

Comment manager quelqu'un qui nous intimide ?
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Plus talentueux, plus charismatiques, plus légitimes… Certains collaborateurs nous intimident ! Et c’est d’autant plus vrai quand il est question de les manager. Alors comment s’y prendre ? Paroles de managers.

Le jour où Pierre a mis le pied dans sa nouvelle entreprise, il a constaté immédiatement l’ampleur du challenge qui l’attendait. La start-up à forte croissance qu’il rejoignait affichait des standards très élevés : objectifs ambitieux, collaborateurs à la pointe dans leurs domaines respectifs, et droit à l’erreur limité. À la tête du marketing, lui qui avait toujours eu une position d’expert auprès de sa précédente équipe, a compris qu’il allait falloir revoir sa vision du management : « Dans le monde des start-ups, on dit partout qu’il faut engager des personnes meilleures que soi… C’est facile à dire, plus ou moins facile à faire, mais très compliqué à accepter ». Son équipe – brillante et déjà opérationnelle – doit être complétée par un nouvel expert en SEO, un domaine qu’il pense alors maîtriser. « Dès le premier entretien, il m’a bluffé. Pour nos premiers points hebdomadaires, j’ai presque “révisé” en amont, pour ne pas me sentir trop idiot face à lui ». Peine perdue, Pierre se voit contraint d’accepter qu’il n’aura rien à lui apprendre… d’un point de vue technique.

Apprendre à laisser l’expertise aux autres

De nombreux et nombreuses jeunes managers doivent, un jour ou l’autre, sortir de l’opérationnel et faire le deuil de leur position d’expert. Un moment compliqué à gérer, qui s’accompagne souvent d’une remise en question. Pour Vanessa Lauraire, psychologue du travail et psychothérapeute, la clé est de comprendre que ce nouveau rôle se base sur des qualités, les soft skills, et moins sur des compétences techniques. Être un manager, c’est ainsi avoir des qualités de leader. « Pour gagner cette “autorité naturelle” qui permettra au manager de se sentir légitime et d’effacer tout sentiment d’intimidation, celui-ci doit obtenir le respect et la confiance de ses équipes, ajoute-t-elle. Et il ne l’obtiendra pas en ayant le savoir absolu. Il doit devenir celui qui ouvre les espaces de dialogue, qui donne le ton du collectif. »

Conseillé par ses proches, Pierre a fini par prendre de la hauteur sur la situation. Il a repensé sa relation avec les membres de son équipe, et son expert SEO en particulier : « Lors de nos points hebdomadaires, je me contente de lui poser des questions, de le challenger, de le faire avancer dans son raisonnement jusqu’à ce qu’il trouve ses propres réponses ». Si Pierre ne comprend pas toujours ses conclusions, les chiffres en hausse le rassurent sur la pertinence de ses décisions. Autant que sur sa nouvelle casquette de manager. « Depuis, j’ai surtout l’impression qu’il voit (enfin !) que j’ai quelque chose à lui offrir. Je le pousse à se dépasser, et je lui donne tous les outils nécessaires pour qu’il progresse en tant que professionnel. »

Un jeune manager se retrouve entre le marteau et l’enclume : « Il est scruté par le haut et par le bas », ajoute Vanessa Lauraire. « On attend beaucoup de lui : faire descendre des directives, “faire tampon” entre le terrain et le top management, faire progresser ses équipes… tout en produisant des résultats en réponse aux objectifs assignés par le haut et en intégrant les contraintes issues du terrain. » En endossant pleinement son nouveau rôle de coordinateur et en lâchant du leste sur le reste, le manager ne laisse plus les autres exploiter ses insécurités.

Cultiver votre marque employeur, c'est faire grandir vos équipes.

On vous en dit plus ?

Asseoir sa légitimité dans les situations difficiles

Manon manage une équipe commerciale dans une TPE depuis deux ans. Un poste en or pour une collaboratrice de moins de 30 ans… qui s’est révélé plus compliqué que prévu. Une fusion avec un prestataire agrandit son équipe, et la positionne face à l’ancien responsable commercial d’une quarantaine d’années, plein de charisme et d’expérience. Une collaboration qui débute pourtant sans heurts : « Pendant longtemps, le lien de hiérarchie est resté assez flou. Nous étions sur un pied d’égalité. Il agissait presque comme un coach pour moi et m’a beaucoup appris. C’est quand le fondateur a annoncé que je devenais “officiellement” sa manager directe que les choses se sont gâtées ». Consciente de ses qualités, Manon se sent légitime auprès des membres de son équipe, mais a des difficultés à faire entendre ses opinions à ce collaborateur.

L’âge conditionne-t-il la légitimité ? Vanessa Lauraire explique que de nombreuses entreprises ont des difficultés à gérer cette dimension intergénérationnelle du travail : « On a tendance à penser que les anciens sont les sachants. Et que c’est donc à eux de gouverner, même s’ils n’ont pas l’envie ou les compétences pour. » Et si les mentalités évoluent doucement, beaucoup de jeunes managers ont des difficultés à imposer leur vision face à des collaborateurs plus âgés. Être impressionné par l’expérience d’un collaborateur est naturel, mais ne doit pas pour autant faire douter un jeune manager de la valeur de ses compétences et de son leadership. « Personne ne se retrouve à un poste par hasard », affirme-t-elle. Des écarts d’âge importants ajoutent donc une dimension supplémentaire à la nécessité d’apprendre à se connaître et se comprendre. Afin que chacun trouve sa place, manager comme collaborateur.

Pour Manon, la situation est d’autant plus frustrante que leur relation d’égal à égal des débuts leur apportait satisfaction à tous les deux. « On se retrouvait régulièrement autour d’un café pour échanger nos points de vue sur notre métier. C’était enrichissant pour lui comme pour moi. Aujourd’hui, j’appréhende chaque face à face. Je lui confie rarement des “missions” à proprement parler, comme je le fais avec les autres. Car je sais qu’il n’adhère pas à ma stratégie. Nous n’avons jamais réussi à trouver un nouvel équilibre. » Une situation à laquelle elle n’a pas encore trouvé de solution, pour le moment.

Devoir endosser un nouveau rôle auprès d’une personne qui vous a connu dans l’ancien ajoute une difficulté supplémentaire. Auquel cas, le sentiment d’intimidation ne vient pas forcément de la personne en question, mais plutôt de votre inconfort. D’autant plus si cette personne a joué un rôle de modèle ou de guide à vos débuts. Laisser l’autre exprimer d’éventuelles réserves sur votre nomination permet parfois de « crever l’abcès », et partir sur des bases saines qui vous rassureront sur votre position.

Comment gérer son sentiment d’intimidation ?

Le sentiment d’intimidation joue un rôle sur toutes nos interactions sociales. Il existe de nombreuses raisons d’être inquiet ou impressionné par une personne : son physique, sa personnalité, son intellect, son statut social, etc. Et quelle que soit la raison, il est rare d’en parler ouvertement… si bien que la personne qui vous intimide n’a souvent aucune idée de la façon dont vous la percevez. Un sentiment qui peut étouffer mentalement et faire perdre confiance en ses capacités de manager. Heureusement, l’intimidation intègre souvent une dimension très personnelle, sur laquelle il est possible de travailler.

Soyez conscients de votre valeur. Vanessa Lauraire explique qu’un manager n’entre pas vierge dans le monde du travail. Il vient accompagné de son caractère, de ses croyances, de ses expériences passées… Et peut facilement se laisser intimider par les qualités ou les attitudes qu’il évalue lui-même comme désirables chez l’autre. Et dont il se croit dépourvu. Nos sentiments d’intimidation les plus forts correspondent souvent à nos propres insécurités. Être conscient des qualités que l’on admire (ou que l’on envie) est la première étape pour dénouer ses intestins. Prendre conscience de ses propres qualités est la seconde.

Réfléchissez à ce que vous pouvez apporter. Vous avez forcément quelque chose à offrir à un collaborateur, même intimidant. Vous admirez sa fougue et sa répartie ? Il gagnerait à apprendre de votre prise de recul sur tous les sujets. Vous êtes impressionné par sa capacité à fédérer ? Vous la sublimerez en lui faisant partager votre fine connaissance de l’entreprise et vos connexions.

Reconnaissez qu’au fond, ce n’est que de l’ego. Contrairement à la croyance commune, l’ego crée parfois un terrain propice à l’intimidation. Car celui-ci ne se transforme pas forcément en arrogance, mais parfois en sentiment d’insécurité. En s’inquiétant en permanence de la façon dont le monde vous perçoit, vous devenez attaché et motivé par les opinions des autres. Plus vous en êtes conscient, moins votre ego contrôlera vos émotions.

Des recherches de l’Université de Lincoln se sont d’ailleurs intéressées aux joueurs de Premier League pour comprendre leur capacité à ne pas se montrer intimidés par leurs adversaires. Elles révèlent qu’ils ont en commun plusieurs qualités, bien utiles dans le monde professionnel : ils ne craignent pas l’échec, ont appris à accepter leurs limites personnelles, puis à surmonter leurs faiblesses en misant sur leurs talents. Et surtout, ils montrent un ardent désir de progresser. Prêt à les suivre ?

« Il ne faut pas oublier que l’objectif de l’entreprise est la productivité, poursuit Vanessa Lauraire. Un manager n’est jamais mis sur un poste par hasard. Il est forcément légitime d’une façon ou d’une autre : par ses connaissances, son charisme, son sens de l’organisation, ses valeurs, etc. »


Les prénoms ont été modifiés.
Photo : Thomas Decamps pour WTTJ

Les thématiques abordées