« Junior, mon manager me laisse livré à moi-même » : comment gérer ?

21 avr. 2022

5min

« Junior, mon manager me laisse livré à moi-même » : comment gérer ?
auteur.e
Pauline Allione

Journaliste independante.

Dans un monde idéal, lorsque l’on débute dans le monde du travail, notre manager prend le temps de nous présenter à l’équipe, de nous expliquer nos missions, s’inquiète de notre bien-être au travail… Sans nous prendre par la main pour autant, il fait en sorte de transmettre les codes de votre environnement professionnel en vue d’une autonomisation rapide. Mais parfois, pour mille et une (bonnes ou mauvaises) raisons, celui ou celle censée s’occuper de cette intégration saute cette étape et se retire du paysage. Rencontre avec ces salariés qui, lâchés précocement dans le grain bain, ont dû sortir les rames pour s’en sortir en solo.

« Avant même d’avoir fini mon alternance, on m’a proposé un CDI avec un très bon premier salaire dans une grande maison de joaillerie. J’aurais dû me douter qu’il y avait un problème, c’était trop beau pour être vrai », rembobine Anna (1), formée en management commercial et spécialisée dans la maroquinerie de luxe. Dès le début de son nouveau contrat au sein de l’enseigne, la jeune femme déchante : sans aucun soutien de la directrice ni de son adjointe, elle se retrouve livrée à elle-même. « On me donnait des tâches sans intérêt et presque ingrates, comme préparer les écrins des bijoux et les garanties. Je devais souvent assister mes supérieures pour plein de petites choses, mais quand c’était moi qui avais besoin d’un coup de main, plus personne n’était là. Le changement a été très brutal par rapport à mon alternance où j’avais une super responsable ». Lorsqu’un jour, elle demande des informations sur un processus, sa directrice s’étonne qu’Anna ne connaisse pas la marche à suivre après trois mois en boutique… sauf que personne n’avait jamais pris le temps de lui expliquer le fonctionnement interne.

Qu’attendre de son manager ?

S’il se doit de vous expliquer les différents processus lorsque vous débarquez dans l’entreprise, votre manager doit dans un premier temps vous intégrer dans votre nouvel environnement de travail. Prévenir ses équipes de votre arrivée, détailler l’organigramme, la fonction de vos collègues et s’assurer que vous êtes suffisamment équipé pour exécuter vos premières missions sont autant d’attentions nécessaires à une intégration réussie. « Le rôle du manager sera ensuite de clarifier les modalités du poste, qui ont normalement été mises en place lors des entretiens, et de les rendre plus concrètes en expliquant les enjeux et priorités de l’entreprise. Il doit être très clair sur les consignes et leur déroulement, mais aussi assurer un suivi, en vous proposant par exemple de faire un point deux mois après votre arrivée pour faire les ajustements nécessaires », détaille Mila Elhamdi, coach en gestion de carrière.

Si votre manager fait l’erreur de zapper ces missions d’intégration, votre motivation risque de chuter et votre intégration prendra plus de temps que prévu. « Le manager est garant de la marque employeur, de l’image de l’entreprise. S’il loupe cette phase d’accompagnement et de formation, vous aurez naturellement une image entachée de l’entreprise », appuie notre experte. La désillusion cumulée à un manque de repères peut alors faire germer l’idée d’un départ précoce. Peu emballée à l’idée de confronter sa directrice car démotivée par l’entreprise et son fonctionnement, Anna a justement fini par plier bagage sans regarder en arrière. « Je ne me donnais pas à fond car je ne me sentais pas à l’aise. Le salaire était ma seule motivation pour me lever le matin. Ils ont dû le ressentir puisque quelques jours avant la fin de ma période d’essai, l’entreprise a mis fin à mon contrat… Finalement, ça m’a enlevé une épine du pied et tout s’est bien fini pour moi puisque mon boulot actuel est incroyable. »

Comment gérer la situation quand votre manager n’est pas assez présent ?

1. Marcher en solo

S’intégrer dans une nouvelle entreprise quand son manager est peu présent pour nous n’est pas évident, mais pas non plus impossible. Prendre des initiatives et faire preuve d’autonomie à son arrivée peut aussi être une manière concrète de prouver sa motivation. Selon Mila Elhamdi, il s’agit d’observer, sans rester passif : « Si vous êtes diplômé et prêt à entrer dans le monde du travail, vous êtes totalement apte et légitime à prendre des initiatives. Vous n’êtes pas obligé d’attendre qu’on vous tende la main pour chaque étape de votre intégration ». Cela peut passer par une présentation en bonne et due forme à vos nouveaux collègues si votre manager n’a pas fait l’intermédiaire, ou par le fait d’accéder par vous-même à l’organigramme pour mieux comprendre l’entreprise, ainsi que les difficultés et enjeux de chacun.

Observer, questionner et montrer son intérêt sont également des façons d’intégrer doucement les rouages de l’entreprise, mais encore faut-il s’y prendre correctement. « Il ne faut pas arriver comme un éléphant dans une boutique de porcelaine mais respecter l’espace de chacun, prendre des notes et proposer des temps d’échange », rappelle la consultante. L’idée étant d’éviter de bombarder de questions tout l’open space au risque de devenir le relou de service, mais de profiter de creux dans l’emploi du temps de chacun pour décrocher les informations dont on a besoin.

2. Demander de l’aide

Si votre manager ne s’inquiète pas de votre intégration, pourquoi ne pas prendre les devants et lui proposer un temps d’échange ? L’occasion d’exprimer votre besoin de soutien, d’évoquer votre ressenti quant à vos débuts dans l’entreprise et d’être plus transparent sur votre prise de poste. C’est sur cette stratégie qu’a misé Caroline, 32 ans, lors de son premier emploi. Employée dans une TPE où elle était seule avec le manager, celui-ci a disparu des radars en un temps record : « Il y avait de nombreuses missions sur le contrat mais une fois sur place, ce n’était plus du tout comme mon manager me l’avait vendu en entretien. Après mon premier jour, je ne l’ai plus vu. Je restais seule au bureau toute la journée sans savoir quoi faire ni quels outils utiliser, je ne servais vraiment à rien. Je l’avoue maintenant, mais je dormais sur la moquette pour que le temps passe plus vite ».

Désireuse d’être utile à l’entreprise autant que d’occuper ses journées, celle-ci en a discuté avec le manager qui n’a rien changé à sa manière de procéder, si ce n’est lui confier de vagues missions de sourcing censées l’occuper pour la semaine. « J’ai fait ce qu’on appelle un bore out. Ce terme n’était pas encore très connu à l’époque, mais je peux vous assurer que ne pas avoir de missions est terrible. J’ai occupé mon temps à réseauter et j’ai été embauchée dans une autre entreprise deux mois plus tard », raconte la Parisienne. Si vous tombez sur un manager plus à l’écoute que celui de Caroline et que l’entreprise compte plus de deux personnes, une dernière option reste possible : suggérer à votre manager de déléguer. Cela peut aussi se faire par l’intermédiaire du personnel chargé des ressources humaines, qui œuvre à l’épanouissement des salariés, et qui peut organiser un mentoring avec un autre collaborateur ou mettre en place un planning de formation. Une personne tierce, mise au fait du contexte de notre embauche autant que de nos modalités de poste pourrait prendre le relai en termes de formation et de suivi. Autant de façons d’éviter l’excès d’ennui et la sieste à même le sol.

(1) Les prénoms ont été modifiés

Article édité par Manuel Avenel et Gabrielle Predko
Photo par Thomas Decamps

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