Les revenants : ces reconvertis du confinement qui ont fait demi-tour

02 juin 2022

6min

Les revenants : ces reconvertis du confinement qui ont fait demi-tour
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Qui n’a jamais rêvé de faire autre chose de sa vie professionnelle ? Qui n’a jamais lorgné sur le bonheur des autres ? Ces dernières années, les salariés ont été nombreux à réfléchir au sens de leur travail et à la place que devrait occuper celui-ci dans leur vie. Pourtant, il semblerait que l’herbe ne soit pas toujours plus verte ailleurs, surtout lorsqu’il s’agit de changer de voie. En effet, selon une étude UKG, réalisée dans plusieurs pays du monde, 62% des Français qui ont changé de travail durant la pandémie estiment qu’ils étaient davantage satisfaits dans leur ancienne activité. Les regrets de ces déçus de la reconversion concernent outre le travail en lui-même, le niveau de rémunération, la politique de l’entreprise, les relations entre collègues et même… le management.

Mais les travailleurs qui ont fait des tentatives de changement de métier avant de retourner à leur ancien poste l’ont-ils vraiment fait par choix ou par dépit, faute de mieux ? Qu’ont-ils su tirer malgré tout de ces velléités de changement ou d’une brève expérience dans l’altérité ? Julie, Nina et Colombe nous racontent leur parcours.

Julie, 33 ans, aller-retour entre la restauration et la communication de crise

Avant la crise sanitaire, je travaillais depuis cinq dans une brasserie française typique où l’on sert des burgers, des œufs mayo et des croques monsieur. Pas de la grande cuisine, mais qu’importe, j’étais cheffe de rang et les clients, essentiellement des touristes, étaient ravis du cadre ! Cela peut sembler étrange qu’une jeune femme qui a fait un master en sciences politiques se contente de cette situation, mais j’avais un CDI, je gagnais pas mal ma vie grâce aux pourboires des clients étrangers et surtout, je ne restais pas immobile en attendant qu’un poste intéressant me tombe dans les mains. À la sortie de mes études, j’avais essayé de trouver autre chose, mais après plusieurs mois de recherches infructueuses, mon job alimentaire était devenu permanent.

Comme vous vous en doutez, le premier confinement me met complètement à l’arrêt. Je tourne en rond dans mon minuscule appartement parisien sans lumière. Et pour la première fois depuis des années, je me mets à réfléchir au sens de ma vie professionnelle : quelles sont mes perspectives d’évolution dans la restauration ? Comment tenir sur le long terme quand on est debout toute la journée ? Est-ce que je ne mérite pas de faire un métier pour lequel je pourrais davantage solliciter mon intellect, ou apprendre de nouvelles choses ? Mon chômage partiel s’éternise, j’en profite pour postuler ailleurs, refaire mon CV et revoir ma trajectoire professionnelle. Je veux travailler dans la communication de crise. Un bilan de compétences confirme que c’est la bonne voie à suivre.

Les mois passent, mes candidatures restent lettre morte et les posts que je fais sur les réseaux sociaux professionnels ne prennent pas vraiment. Mon chômage partiel aussi se termine. Qu’est-ce qui cloche chez moi ? « Vous avez travaillé un long moment dans la restauration et vous manquez d’expérience dans la com’. Puis, vos études datent un peu. Disons que vous n’êtes pas assez à jour, même pour un poste de junior », me lâche une spécialiste du recrutement. Je ne suis pas assez expérimentée et trop vieille, en gros. Le moral est au plus bas, mon chien ne suffit plus à me réconforter. Mais d’un autre côté, les offres en restauration ne manquent pas. Je finis par replonger, et cette fois-ci, je pinaille sur les conditions de travail, sur les coupures et les weekends. Je ne veux plus mettre ma vie sociale à l’arrêt pour un métier que je compte toujours quitter. Alors oui, je n’ai pas été au bout de ma reconversion, mais j’espère que c’est temporaire. En attendant, je me concentre sur ce que j’aime dans mon travail… les autres.

Nina, 26 ans, aller-retour entre la communication et la production de podcast

J’ai toujours aimé les belles histoires, celles qui se terminent bien, qui nous font rire ou nous émeuvent. Quand j’ai fait mon BTS communication il y a six ans, je rêvais de passer mes journées à raconter de belles histoires qui font rêver le public, comme j’avais pu me délecter des images des spots publicitaires que je regardais à la télévision quand j’étais enfant. J’étais pressée de me mettre à l’œuvre et très vite, j’ai rejoint TBWA, puis Publicis où j’ai travaillé pour de prestigieux clients tels que Google, McDonald’s ou Lacoste.

À côté de mon travail, j’ai lancé un podcast hebdomadaire qui décryptait les stratégies de communication des marques, des médias et des politiques. C’était une période où le web n’était pas encore assailli d’analyses et le public était donc très réceptif. Dans cet élan, j’ai commencé à lire La Boétie, Foucault, Rousseau, Weber… une vraie révolution personnelle. Tout est devenu clair dans ma tête : j’ai compris les limites du capitalisme, mais aussi que ce n’était pas normal que les grosses soient appelées grosses, que les femmes soient moins payées que les hommes, que l’industrie pour laquelle je travaillais détruise la planète… Avec des collègues, on en rigolait un peu en disant qu’on travaillait pour un tweet à dix likes, en référence à un partenariat entre Axa et Serena Williams qui avait fait un flop. J’ai fait un burn out suite à un harcèlement moral, et décidé de rejoindre un think thank. Malheureusement, l’environnement y était encore plus toxique : j’ai tenu deux mois avant qu’on décide - l’entreprise et moi-même - de mettre fin au contrat.

Le covid arrive à ce moment-là, j’en profite pour me concentrer sur le podcast. Problème, je n’ai pas envie de monétiser ce travail et puis, ce que je publie dénonce les pratiques de la communication, c’est clair que je ne peux pas revenir dans ce secteur. Je reçois même des menaces en message privé. Ce qui se passe me répugne : parce qu’entre nous, à qui profite la crise ? Les marques, encore une fois ! Mais ce n’est pas simple à gérer : j’ai peur de l’échec, peur d’être dans la merde financièrement. Qu’est-ce que je dois faire ? Où aller ? Sans solution pérenne clé en main et même si je ne suis pas totalement alignée avec mes valeurs, je tente ma chance dans une entreprise d’événementiel dans le service communication. Fin mai 2022, je décide que c’est vraiment fini, j’ai compris qu’il ne fallait plus avoir peur de gagner moins bien sa vie même dans une société qui prône l’accumulation de biens. J’ai mis du temps, mais j’ai enfin compris… Mon combat est ailleurs. Je ne sais pas encore quelle forme prendra ce changement, mais une chose est sûre, je compte bien continuer à donner la parole dans mon podcast.

Colombe, 29 ans, aller-retour entre l’account management et la finance

Les maths, les chiffres ont toujours été un jeu pour moi. Alors, quand il a fallu s’orienter après mon bac, j’ai décidé de suivre un parcours en finances à Dauphine, puis d’enchaîner avec l’EmLyon Business School. Après des stages et un peu par hasard, je me suis retrouvée dans l’account management, ce qu’on appelle en français la gestion des portefeuilles clients, à Hong Kong. Le travail était dense, notamment dans la partie travel retail (ensemble des activités commerciales exercées dans les lieux de transport, comme les gares et les aéroports) et j’aimais la diversité des missions comme le suivi client, la négociation avec les marques et le calcul de la profitabilité. Malheureusement quand le Covid est arrivé en Asie, toutes les boutiques ont fermé et je me suis retrouvée complètement à l’arrêt. Je voulais rester dans l’industrie du luxe, j’ai cherché en vain à Hong Kong. Pendant plus d’un an, tout était bloqué et je n’avais plus de perspectives.

De retour en Europe, je me suis dit que je devrais peut-être renouer avec la finance que j’avais étudiée en m’intéressant encore plus à la recherche de profitabilité. Je rejoins le groupe RATP à Londres au service contrôle de gestion. Et là, c’est la douche froide : je passe mes journées derrière des fichiers Excel où je dois regarder d’où viennent les écarts de profit et demander aux responsables de se justifier. On ne me demande aucune réflexion stratégique, mais plutôt de faire la police des dépenses. Au bout de six mois à tourner en rond et à avoir mal aux yeux en regardant des tableaux de chiffres défiler toute la journée, je démissionne.

Après un bilan de compétences, je comprends que les métiers commerciaux correspondent plus à mes attentes, je comprends aussi que la relation client est plus importante pour moi que les chiffres, mais je ne me vois pas devenir commerciale. J’aime plutôt l’accompagnement au long court, la bienveillance, mais aussi le fait de pouvoir m’organiser comme je veux… Donc, je retourne à mon premier métier, sans regret. Ce qui a changé depuis ce bouleversement et cette remise en question ? Je sais pourquoi je fais ce que je fais et surtout, je ne le fais plus dans des groupes, mais dans des petites entreprises moins hiérarchisées et plus dynamiques.

Article édité par Manuel Avenel
Photo par Thomas Decamps

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