Leadership inversé : quand le pouvoir de décision revient (aussi) aux salariés

27 sept. 2023

5min

Leadership inversé : quand le pouvoir de décision revient (aussi) aux salariés
auteur.e
Sarah Torné

Rédactrice & Copywriter B2B

contributeur.e

Imaginez une entreprise où les managers cèdent (de plein gré) le contrôle aux collaborateurs, où les rôles traditionnels sont permutés, où l'autonomie devient la norme et la créativité coule à flots… Bienvenue dans le monde du leadership inversé.

Dans l’entreprise classique, l’organisation est pensée comme une pyramide à trois niveaux, avec les employés, les managers et le dirigeant. Plus vous êtes proche du sommet, plus vous cumulez les pouvoirs, les fonctions et les rétributions. Dans cette organisation, tout est descendant : la notoriété, le salaire, la prise de décision, la communication et l’influence sur le résultat.

Sauf qu’aujourd’hui, le management pyramidal semble avoir fait son temps. Les talents se situent à tous les étages de la pyramide et font valoir leur unicité. Les modèles traditionnels de management et de leadership sont remis en question, tandis que de nouvelles approches émergent pour répondre aux besoins d’une génération exigeante. Parmi elles, le leadership inversé s’impose comme une révolution silencieuse, un changement radical dans la manière dont les entreprises sont organisées et dirigées.

Le leadership inversé, une approche du management sens dessus dessous

Le leadership inversé déplace le pouvoir des sommets hiérarchiques vers la base de l’organigramme. Il offre aux employés la possibilité d’occuper temporairement des postes de leadership, de participer à la prise de décision et de contribuer de manière significative à la direction de l’entreprise. Il favorise non seulement la créativité et l’autonomie, mais il nourrit aussi le développement des compétences et l’épanouissement professionnel.

Avec des racines ancrées dans les mouvements de démocratie et d’autonomie au sein des organisations, le leadership inversé a été théorisé par Robert K. Greenleaf dans les années 1970. Ce dernier plaidait en faveur d’un leadership centré sur le service et la responsabilité envers les autres, mettant en avant l’idée que les dirigeants doivent d’abord servir leurs équipes pour favoriser la croissance et la réussite collective. Ce parti pris a ouvert la voie à une réflexion profonde sur la manière dont le pouvoir et l’autorité sont exercés dans les organisations.

Quand les collaborateurs deviennent leaders : histoires de leadership inversé réussi

Le leadership inversé est loin d’être resté une théorie utopique des seventies. Certaines entreprises ont parié dessus, transformant la dynamique de leurs équipes en profondeur.

Zappos : la redistribution du leadership pour plus d’autonomie

Le détaillant de chaussures en ligne est célèbre pour son approche audacieuse du leadership inversé. Sous la direction de son ancien PDG Tony Hsieh, Zappos a radicalement redéfini la manière dont les équipes sont gérées : elles sont auto-organisées. Et chaque employé peut jouer un rôle actif dans la prise de décision et la gestion de l’entreprise, développant ainsi sa créativité et son autonomie. Prenons l’exemple du service client, qui est une obsession chez Zappos. Eh bien, les salariés de ce département sont encouragés à résoudre les problèmes sans avoir à consulter un supérieur ni à demander sa validation, ce qui se traduit par un service client réactif et une satisfaction client élevée.

The Morning Star Company : la gestion des pairs au service de la performance

The Morning Star Company, acteur de l’industrie agroalimentaire, illustre bien le concept de leadership inversé. L’entreprise américaine a adopté un modèle de gestion des pairs où, plutôt que de dépendre d’un manager traditionnel, les employés sont responsables les uns envers les autres. Concrètement ? Chaque salarié rédige son propre accord de collaboration (ou “Colleague Letter of Understanding”) qui précise ses responsabilités, ses objectifs et les attentes mutuelles avec ses collègues. Ce contrat individuel favorise la responsabilisation et la transparence, car chacun sait exactement ce qui est attendu de lui. Les équipes de Morning Star sont incitées à s’entraider et à s’assurer que les objectifs de tous soient atteints. Cette philosophie basée sur la confiance et l’engagement a permis à l’entreprise de maintenir des niveaux de performance élevés et de favoriser une culture de la responsabilité individuelle et collective.

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On vous en dit plus ?

5 conseils pour adopter le leadership inversé

Comment passer de la théorie à la pratique ? Pour vous guider dans cette transition, nous avons interrogé Francis Boyer, expert en innovation managériale, qui partage 5 conseils précieux à destination des entreprises, pour mettre en place le leadership inversé avec succès.

1. Travailler son ego

Au cœur du leadership inversé réside un travail sur l’ego, tant du côté du manager que du collaborateur. « Il s’agit de reconnaître que le leadership n’est pas exclusif à une seule personne, mais qu’il peut émerger n’importe où au sein de l’organisation », explique Francis Boyer. « Les leaders doivent être prêts à mettre leur ego en retrait pour créer un environnement où chacun se sente valorisé et respecté. » Ils ne cherchent alors plus à imposer leur autorité, mais plutôt à faciliter la collaboration et à inciter les autres à prendre des initiatives. « Les collaborateurs, quant à eux, doivent apprendre à écouter les idées, à reconnaître les compétences et à accepter les erreurs de leurs collègues, sans préjugés », poursuit l’expert. Le développement de ces compétences est fondamental pour établir un environnement de confiance et d’apprentissage mutuel.

2. Créer un environnement propice aux échanges

L’une des clés du leadership inversé est la création d’une culture où les collaborateurs se sentent à l’aise pour exprimer leurs avis. « Il est essentiel de favoriser un cadre où la communication est possible, où chacun peut contribuer librement à la prise de décision et à l’amélioration continue », souligne Francis Boyer. Cela implique d’autoriser ses collaborateurs à formuler des préoccupations, des idées et des opinions… Et de donner l’exemple en tant que leader ou manager, « en se montrant transparent et bienveillant, ce qui encouragera les collaborateurs à parler sans crainte de représailles ». Il insiste sur l’importance de protéger ceux qui osent prendre la parole et, enfin, met en garde sur les enquêtes de satisfaction anonymes : « Anonymiser les feedbacks, c’est dire à vos collaborateurs qu’il n’est pas normal d’oser se déclarer à visage découvert ».

3. Axer sa culture sur le positif et l’innovation

Le leadership inversé exige de sortir de la culture managériale focalisée sur l’erreur afin de se concentrer sur le positif et l’innovation. Pour y parvenir, Francis Boyer recommande d’instaurer « des rituels, des processus et des célébrations qui mettent en avant les succès et les avancées ». Il précise que ces actions doivent encourager « l’apprentissage continu », mettant ainsi l’accent sur la croissance et le développement au sein de l’organisation.

4. Développer des compétences et valeurs clés

En tant que manager, et à l’échelle de l’entreprise entière, le développement de certaines compétences et valeurs est essentiel pour le succès du leadership inversé.

Francis Boyer en dénombre 7 :

  • L’humilitéJe dois accepter de recevoir quelque chose de déplaisant.
  • L’assertivitéJe pose mes limites dans le respect de l’autre.
  • La confianceJ’apprends à lâcher prise et à être convaincu de l’attitude bienveillante et constructive de l’autre.
  • L’ouverture d’espritJe m’ouvre à l’idée que je peux m’améliorer, que je peux faire autrement.
  • L’entraideC’est avec le groupe qu’on progresse plus vite et plus intelligemment.
  • L’empathieJe me mets à la place de l’autre.
  • L’audaceJe tente un truc même si je ne sais pas si ça va marcher.

Pour les incarner, il ne suffit pas de publier une charte ou d’afficher ces valeurs sur les murs de votre entreprise. Il s’agit avant tout de veiller à ce qu’elles soient incarnées au quotidien. Pour cela, Francis Boyer conseille d’organiser ce qu’il nomme « une météo d’incarnation » de ces 7 aptitudes, où vous demanderez à vos collaborateurs : « Est-ce que vous trouvez que l’on est audacieux, humble, bienveillant… etc. ? ».

5. Comprendre que le changement prend du temps

L’adoption du leadership inversé ne se fait pas en un jour. Notre expert rappelle « qu’il faut du temps pour que les managers s’adaptent à leur nouveau rôle de facilitateurs et délaissent celui de prescripteur ». D’ailleurs, il recommande d’abord de tester cette approche dans un service spécifique pour en tirer des enseignements, avant de la déployer plus largement.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ