Innovation : et si vous mettiez en place un « lab managérial » ?

04 juil. 2023

7min

Innovation : et si vous mettiez en place un « lab managérial » ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Face aux défis actuels, les entreprises doivent se réformer, notamment au niveau du management. Afin d’accélérer l’innovation interne, certaines ont créé un lab managérial : un espace de créativité pour expérimenter autour du leadership.

Un lab managérial est une instance, un lieu ou une communauté interne qui a vocation à favoriser l’émergence d’idées disruptives et promouvoir l’innovation en termes de leadership. L’objectif est de conduire une transformation des pratiques et des postures managériales afin de favoriser la collaboration, de booster l’intelligence collective et d’offrir une culture managériale différenciante. Sa mission est aussi d’infuser via le « test and learn » une culture de l’innovation auprès des managers. Alors que 7 salariés français sur 10 jugent le management de leur entreprise comme peu ou pas du tout innovant, le modèle du lab peut être une option à considérer pour bousculer les codes managériaux et, à terme, l’organisation.

Lab managérial : la pièce maîtresse pour se transformer à l’ère de l’hybride ?

L’idée de lab ou du co-lab n’est pas neuve : « Il y a vingt ans, Capgemini avait déjà créé les ASE (accelerated solution environment) sur la base des travaux de Matt et Gail Taylor, fondateurs de la méthodologie Group Genius, qui considèrent que l’apprentissage du travail en groupe va développer “le génie” collectif. Leur but était de réunir leur CODIR dans un lieu et un temps donnés afin d’aider le top management à répondre à des problématiques ciblées ou à produire la stratégie de l’entreprise », explique David Autissier, directeur de la chaire innovation managériale et excellence opérationnelle (IMEO) chez ESSEC Business School. Aujourd’hui, alors que le travail s’hybride, la mise en place d’un lab a encore plus de sens : « On évolue de plus en plus dans des environnements flex avec une présence assez faible au bureau. Pour recréer du collectif, il faut faire vivre aux employés des moments ensemble, au sein d’espaces propices à l’échange, à la collaboration et à l’expérimentation ». En ce sens, le lab devient aussi un catalyseur de la transformation managériale : « Si l’on veut faire changer les comportements, les managers doivent expérimenter de nouveaux modes de collaboration et savoir en faire le récit. Un lieu incarné avec des outils innovants et disruptifs encourage à activer le changement individuel et collectif », souligne David Autissier.

4 nuances de lab managérial : inspiration et bonnes pratiques

Comment fonctionne un lab ? Quelles formes peut-il prendre ? Est-il toujours incarné par un lieu ? Et est-ce un luxe réservé aux grandes entreprises ? Voici 4 initiatives qui vous apporteront des éléments de réponse.

Steeple : un groupe d’entraide managériale

Le lab managérial de la start-up rennaise Steeple a été créé par les managers eux-mêmes. « À l’origine, ils se réunissaient lors d’un “Concile”, notre CODIR maison. Or, quand nous avons commencé à grossir, ce rendez-vous est devenu plus formel et orienté business, donc moins propice aux sujets purement managériaux. De ce fait, nous avons décidé d’instaurer un temps consacré au partage et à la résolution des problématiques managériales. Nous avons aussi pas mal de primo-managers chez Steeple, les moments d’entraide et d’écoute sont très importants pour eux », explique Nicolas Tourneur, Chief of Staff chez Steeple.

Comment fonctionne cette occurrence ? Tous les mois, les managers se retrouvent en présentiel et/ou en hybride : « C’est une réunion participative d’une heure trente qui est auto-organisée : l’ordre du jour est librement fixé par les participants et cela se termine par un déjeuner ». La préparation collaborative se fait en asynchrone sur un Google Docs où les sujets de préoccupation sont librement remplis. « Lors de l’atelier, on passe en revue les différents points. Chacun peut partager ses propres expériences et, ensemble, nous essayons de trouver des solutions. Le compte-rendu est réalisé de manière dynamique sur le même document, avec des actions concrètes à réaliser. Certains sujets sont plus stratégiques que d’autres : à titre d’exemple, le management en full remote a donné lieu à un groupe de travail transversal », poursuit Nicolas Tourneur. « Le plus enrichissant est le partage, l’écoute et les réponses concrètes que l’on peut tester sur le terrain », souligne Bastien Grundreich, manager du service relation clients et membre de l’entraide managériale. Les pratiques ou projets qui émergent sont ensuite communiqués au niveau du Concile afin d’infuser de nouvelles pratiques et nourrir la culture de l’entreprise : « Cette démarche collaborative apporte une vraie valeur ajoutée, elle modifie en profondeur notre organisation sur le long terme », conclut Nicolas Tourneur.

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Ignition Program : un lab de recherche appliqué à l’écosystème

Ignition Program est un cabinet RH 360° qui est très orienté innovation. Le fait de créer un lab est donc inhérent à leur raison d’être. « Nous explorons les transformations du travail et, au sein de l’écosystème start-up dans lequel nous gravitons, il existe une réelle volonté de créer une culture managériale différente. C’est pourquoi nous menons des travaux de recherche, nous les testons, puis nous les déployons en interne et/ou en externe. Nos clients, en fonction du sujet, peuvent devenir des bêta-testeurs », explique Nicolas Lepercq, docteur en management et responsable R&D d’Ignition Program en charge du lab. Les innovations à expérimenter proviennent de différentes sources : CEO, clients, situations de travail spécifiques…

Concernant les formes de management innovantes, récemment, le lab a testé le co-management : sur le modèle de l’entreprise libérée, le manager devient davantage un animateur. Pour pallier le manque d’accompagnement, des binômes se forment au sein des équipes. Sans lien hiérarchique, ils sont fondés sur l’entraide réciproque. « Nous nous inscrivons dans une démarche de recherche classique. Je réalise une documentation sur les pratiques existantes. À partir de cette base, j’identifie les outils qui me semblent pertinents pour notre environnement de travail et dont on veut tester les résultats », explique Nicolas Lepercq. Ensuite, la constitution des groupes internes de recherche se fait de manière ad hoc : « Les personnes volontaires et pertinentes sur le sujet rejoignent le groupe projet qui mène l’expérimentation. Celui-ci se retrouve environ tous les 15 jours pour suivre l’avancement ». L’observation repose sur des critères d’évaluation prédéfinis, à la fois quantitatifs (performance de l’équipe, résultats business…) et quantitatifs (entretiens avec les participants, feedbacks…). Si les résultats sont probants, Ignition Program les déploie en interne, puis chez ses clients, sous le format de conseils ou de formations.

FDJ : un lieu central propice à l’innovation et à la facilitation

La Française des Jeux a lancé dès 2013 un lab nommé AZAP (Accelerated Zone for Accelerated Project) : un espace collaboratif permettant d’aider les managers à résoudre leurs problématiques de manière accélérée. Ce lieu joue le rôle d’« incubateur interne », permettant de les initier aux compétences et aux pratiques de facilitation pour déployer des innovations internes de manière quasi industrielle. Leur conviction ? Mettre des personnes aux profils variés dans un environnement décalé et les accompagner dans leur raisonnement permet d’obtenir rapidement des solutions efficaces.

« L’AZAP est en quelque sorte une “usine à ateliers”. Lorsqu’un manager doit résoudre une problématique ou mener une réunion, il peut la co-animer avec des facilitateurs formés et tous les outils à disposition (écriture murale, tables rondes, Post-it…). Des codes architecturaux ont été respectés pour faciliter l’idéation, l’oxygénation du cerveau… C’est aussi très convivial avec des zones d’échange où l’on peut travailler en sous-groupes », souligne David Autissier. L’espace s’inspire des travaux de Sunstein et Thaler sur les nudges, qui démontrent comment des aménagements ergonomiques et/ou sémantiques peuvent orienter de manière douce certains comportements. En termes de fonctionnement, le lieu est aujourd’hui ouvert à tous : « Un chef de projet peut venir y mener ses réunions de cadrage, ou toute autre personne chargée d’animer des points (expert, groupe de travail…). Je l’apparente à une place du village : un lieu central et attractif qui est indispensable pour proposer des “day-in” engageants alors que la présence sur site se fait de plus en plus rare depuis la pandémie ».

Comet : un « think do tank » thématique

En partant du constat selon lequel 86 % des Français sont confrontés à de mauvaises réunions, Comet a choisi d’investir sur leur optimisation : « L’idée est de transformer notre organisation en investissant de l’énergie sur cette activité professionnelle du quotidien. Ce focus permet de questionner nos pratiques managériales. En 2023, on a donc créé un lab interne afin de tester de nouvelles manières de mener nos réunions », explique Florian Guillot, Meeting Evangelist chez Comet et responsable de ce lab. À ce titre, il est chargé de mener benchmark et recherches scientifiques afin d’expliquer les bénéfices des réunions efficaces (et comment y parvenir) auprès des managers et des nouveaux arrivants. En complément, des expérimentations sur des pratiques innovantes de réunion sont conduites avec l’ensemble des managers et leurs collaborateurs : « Durant l’année, nous menons onze tests. Ils sont choisis en fonction des demandes qui émergent lors des formations managériales et de mes recherches », souligne Florian Guillot.

Concrètement, tous les mois, il participe au weekly meeting de chaque équipe et présente la pratique à expérimenter ainsi que ses bénéfices : « J’en profite aussi pour recueillir les feedbacks de l’expérimentation du mois passé. Les personnes peuvent le faire via un fil Slack si elles se sentent plus à l’aise ». En fonction des résultats, les pratiques évoluent : « Même s’il existe une culture socle de la réunion chez nous (durée de 45 minutes, des questions clés à se poser…), l’objectif n’est pas d’uniformiser toutes les pratiques, mais de proposer une boîte à outils évolutive, que chaque équipe s’approprie en fonction de ses besoins », souligne Florian Guillot. Un bilan est dressé de manière semestrielle ou annuelle avant d’enchaîner sur une autre thématique à explorer dans le cadre du lab : « Le prochain échelon de la transformation managériale portera sur la sécurité psychologique, un pilier du bien-être chez Comet ».

5 tips pour réussir son lab managérial

  1. User de pédagogie et de communication : « Il est crucial d’expliquer que le lab n’est pas l’antithèse de l’organisation existante, mais un complément pour lui permettre de prendre certains risques sans mettre en danger le fonctionnement de l’entreprise », explique Olivier Laborde dans un article de la HBR.
  2. Penser à son emplacement pour en faire un lieu carrefour : « Edison avait mis son labo de recherche au milieu de l’usine », rappelle David Autissier. En l’isolant, vous limitez les opportunités de transfert des concepts innovants vers les opérations.
  3. Le rendre évolutif et ne pas hésiter à questionner régulièrement son fonctionnement : « Un lab n’est pas figé, il doit vivre en fonction des besoins de l’organisation », souligne David Autissier.
  4. Faire appel à des facilitateurs internes et/ou externes : au sein de l’AZAP, ce sont des acteurs pivots du lab, notamment dans la formalisation du plan d’action et le suivi des projets.
  5. Nommer un lab officer : l’organisation et le suivi sont assez chronophages, il est nécessaire qu’une personne prenne en charge l’animation de la communauté. Cela peut être le ou la DRH comme chez Steeple, ou une personne dédiée comme chez COMET. Pourquoi ne pas imaginer une équipe de gestion tournante ?
  6. Faire appel au crédit impôt recherche (CIR) : si le lab remplit certaines conditions spécifiques, il peut recourir à cette aide financière publique. Le CIR a pour but d’encourager les entreprises à engager des activités de recherche et de développement. À savoir que son taux varie selon la localisation géographique de l’entreprise.

Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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