Peur d’être jugé au travail : comment se défaire du regard des autres ?

25 nov. 2021

4min

Peur d’être jugé au travail :  comment se défaire du regard des autres ?
auteur.e
Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

Compétitivité, surmenage, fatigue et insécurité… Le climat professionnel n’est pas le premier auquel on pense lorsqu’il est question de sérénité. Et pour cause, selon une étude réalisée par le cabinet Stimulus en novembre 2017, 52% des Français seraient victimes de stress dans leur sphère professionnelle. Et parmi les nombreux facteurs à l’origine de ce mal-être, on retrouve notamment la peur de ne pas être à la hauteur.

De toutes les angoisses qu’induit la vie en entreprise, la peur d’être jugé est celle qui pose le plus question dans la mesure où elle ne dépend pas uniquement du contexte qui entoure le salarié. En effet, cette peur du rejet d’autrui, découle d’une crainte individuelle plus ou moins rationnelle, qui peut aller jusqu’à entraîner des blocages dans l’épanouissement professionnel et personnel. Mais pourquoi nous envahit-elle ? Et comment s’en prémunir ? Décryptage avec Albert Moukheiber, expert du Lab, docteur en neurosciences et psychologue clinicien, et Marie Stephenson, coach spécialisée dans la confiance en soi et la prise de parole en entreprise.

Comment expliquer ce phénomène ?

Zoom sur notre cerveau

D’un point de vue neuroscientifique, notre cerveau comporte trois types de pensées : celles du premier ordre, à savoir « ce que je pense de moi », celles du deuxième ordre qui renvoient à « ce que je pense des autres », et enfin celles du troisième ordre : « ce que je pense que les autres pensent de moi ». C’est bel et bien cette dernière catégorie de pensées qui nourrit la peur du jugement dès lors que celle-ci est altérée.

Si les raisons expliquant la peur d’être jugé dans la sphère professionnelle sont multiples, elles relèvent toutes de l’estime de soi et donc d’un manque de confiance en ses capacités. « Mais contrairement aux relations affectives, le travail implique une dimension de résultat où la récompense prend la forme d’un salaire », nuance Albert Moukheiber. La peur de ne pas être apprécié, de ne pas être accepté ou encore de ne pas appartenir au groupe va donc être intensifiée par cet impératif de performer. « On parle alors d’anxiété performative », conclut le docteur en neurosciences.

Quelle conséquence pour notre carrière ?

Cette anxiété face à la peur du jugement d’autrui peut prendre plusieurs formes, plus ou moins handicapantes, selon son intensité. D’abord, elle peut se traduire par de l’évitement. « Par exemple, on va déléguer une présentation à un collègue car on appréhende de ne pas réussir et donc d’être jugé en conséquence, illustre Albert Moukheiber. On va alors s’absenter lors de projets importants ou encore faire semblant d’être malade pour ne surtout pas s’y confronter. » On peut ensuite parler de micros-évitements qui consistent à brider ses compétences par des petites actions au quotidien. En ne prenant pas la parole par peur du regard des autres, en ne postulant pas à des promotions… Pourtant, l’impact est d’autant plus regrettable que ces mécanismes touchent directement à l’image que l’on renvoie. « De fait, on ne va pas se rendre assez visible ou ne pas donner le meilleur de soi-même lors des réunions », explique Marie Stephenson. Non seulement les autres peuvent nous percevoir comme incompétent à tort, mais en plus, on ne met pas assez en avant notre valeur ajoutée, ce qui peut considérablement réduire le développement de notre carrière.

Six conseils pour s’en prémunir

Dans la mesure où cette peur liée au regard des autres découle souvent d’un manque de confiance en soi, il est possible d’en changer sa perception. Autrement dit, de faire appel au pouvoir d’action qui est entre nos mains. Pour s’en libérer, Marie Stephenson nous donne six conseils éclairés !

1. Observer la façon dont vous vous parlez

Le langage est très important car la manière dont on nomme nos actions oriente notre perception. Et à force de se trouver « nul », « stupide » ou « bête », notre cerveau enregistre ces pensées et finit par nous convaincre que tout est vrai. « Par conséquent, nous avons une image négative de nous-même et souffrons d’une mauvaise estime », observe Marie Stephenson. Il est donc important de redoubler d’attention pour faire preuve de gentillesse à votre égard. Car si vous-même ne croyez pas en vous, pourquoi les autres le feraient ?

2. Être indulgent

Lorsque vient le moment de commenter nos actions, il n’est pas rare de manquer d’indulgence envers soi-même. Voire être bien plus critique que n’importe qui. Essayez alors d’adopter un regard bienveillant sur la personne que vous êtes. « Faites preuve d’encouragement, exactement de la manière dont un ami vous soutiendrait », conseille la coach. N’oubliez pas, vous êtes votre meilleur allié.

3. Échanger

Pour ne pas imaginer des faux-semblants, rien de tel que d’échanger avec des collègues de confiance pour avoir une idée fixe sur la question. « Demandez-leur de vous donner un feedback objectif sur votre travail afin de vous aiguiller, recommande Albert Moukheiber. Et si l’angoisse est particulièrement élevée, les entretiens d’évaluations avec votre supérieur permettront de mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes. »

4. Rien n’est éternel

Faire des erreurs, rien de plus banal ! Un mauvais moment à passer donne toujours l’impression qu’il durera à jamais, mais rien n’est éternel. « Les gens se souviennent de la globalité de qui vous êtes, de la manière dont vous interagissez avec eux, pas des petits détails », soutient Marie Stephenson. Si, dans l’ensemble, vous êtes compétent dans votre travail, vos collègues et votre patron oublieront rapidement votre maladresse lors d’une réunion ou d’une présentation.

5. Laisser les commérages de côté

Nul ne l’ignore, certains collègues pratiquent l’art et la manière du jugement à tout va et rien ni personne n’y pourra jamais rien. « Mais n’ayez crainte, il ne faut pas prendre ces comportements personnellement, car ces derniers découlent généralement d’insécurités qui ne vous appartiennent pas », révèle Marie Stephenson. Aucune raison de leur accorder trop d’attention, vous risqueriez d’y perdre plus d’énergie qu’autre chose.

6. Accepter d’être imparfait

La peur d’être jugé dans un contexte de performance renvoie le plus souvent à l’envie de perfectionner, or cette envie peut parfois vous bloquer. Au lieu de condenser de la frustration et de vous imposer encore davantage de pression, acceptez-vous tel que vous êtes. « Le perfectionnisme est une qualité lorsqu’il vous permet de faire du très bon travail, observe Marie Stephenson. Il devient un défaut dès lors qu’il vous empêche d’avancer par peur de vous tromper. » Mais si vous ne prenez pas de risques, comment progresser ?

Finalement la peur d’être jugé par les autres est loin d’être incurable dans la mesure où il s’agit le plus souvent de pensées irrationnelles. Alors à défaut de modifier le regard des autres, transformez la perception que vous avez de vous-même. Vous n’en serez que plus apaisé et de fait, plus disponible à vous épanouir professionnellement. Notons également que dans le cas d’une peur trop handicapante, il est important de considérer la thérapie comme outil. L’accompagnement d’un professionnel sur le long terme pourrait être une solution pour vous soulager de ce poids au quotidien.

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Photo par Thomas Decamps
Édité par Romane Ganneval

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