Comment garantir l’insertion des non diplômés ? L’initiative de showroomprivé

25 sept. 2018

6min

Comment garantir l’insertion des non diplômés ? L’initiative de showroomprivé
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Historiquement, la France a toujours chéri le diplôme et considéré le parcours études supérieures comme le Graal. Il semble être d’ailleurs la condition sine qua non pour accéder aux postes à responsabilités et métiers spécialisés. Mais le digital semble rebattre les cartes et proposer des alternatives à ceux qui n’ont pas le profil de premier de la classe ou pas les moyens de s’offrir un cursus dans une grande école. De plus en plus de nouvelles initiatives fleurissent en matière d’éducation et de formation.

Le géant français de la vente en ligne, showroomprive.com, a lancé en 2016 sa fondation en faveur de l’éducation aux technologies modernes, de la formation et l’insertion de tous dans la société numérique. Le premier projet de la fondation ? L’école du e-commerce, une formation professionnalisante d’un nouveau genre dédiée aux demandeurs d’emploi et jeunes en décrochage scolaire. Entretien avec Coline Rivière, directrice de la RSE et des affaires extérieures, qui dirige également la fondation d’entreprise de Showroomprivé.

Pourquoi avoir créé une fondation showroomprive.com ?

Après l’entrée en bourse de showroomprive.com fin 2015, les deux fondateurs, Thierry Petit et David Dayan, ont eu envie d’orienter leurs actions vers des projets de mécénat. S’ils ont des parcours très différents, ils ont su évoluer hors des chemins balisés et suivre leur fibre entrepreneuriale ; ingénieur de formation pour l’un sans être issu du sérail et entrepreneur autodidacte de longue date pour l’autre. Pour eux, l’éducation est l’enjeu fondamental du XXIème siècle. Ils souhaitent sensibiliser l’opinion publique sur l’impact des technologies numériques qui pourraient exclure de nombreux actifs si ceux-ci n’étaient pas ou insuffisamment formés et aider ceux qui en ont besoin à se réinsérer dans l’économie numérique, en capitalisant sur les métiers d’avenir. C’est de ce parti pris, utiliser le numérique comme moyen de réinsertion, qu’est née en 2017 l’école du e-commerce.

C’est de ce parti pris : utiliser le numérique comme moyen de réinsertion, qu’est née en 2017 l’école du e-commerce.

Pouvez-vous nous décrire cette école du e-commerce d’un nouveau genre ?

C’est une école inédite, entièrement gratuite et professionnalisante dédiée aux métiers du e-commerce. S’agissant d’une formation sociale, il est nécessaire d’être demandeur d’emploi ou jeune décrocheur pour postuler.

L’école forme des actifs désireux de comprendre l’ensemble des métiers de la chaîne de valeur du e-commerce, qu’ils aient envie de se spécialiser dans un métier particulier de celle-ci avec un esprit intrapreneur ou qu’ils souhaitent entreprendre.

La formation est dispensée durant six mois, auxquels s’ajoutent six mois de stage. Le fil rouge du programme est la conception d’un site de A à Z, de la conception de l’idée jusqu’à la mise en ligne en passant par la maîtrise des fonctions supports - la monétique, le service client, le paiement, etc. Les modules de formation sont dispensés par des intervenants professionnels, majoritairement des collaborateurs de Showroomprivé, des rôles models, des startuppers, des partenaires, des employés de showroomprive.com qui viennent parler de leur métier.

L’école du e-commerce de showroomprivé

Vous plaidez pour un accès du plus grand nombre à l’innovation au service de la réussite. Comment la définissez-vous ? Quels sont vos principaux champs de bataille ?

L’ambition de l’école est de démocratiser la réussite qui est traditionnellement le fruit d’un parcours classique d’études supérieures - souvent hiérarchisé. L’innovation peut concerner des procédés, des produits, des services. Nous voulons offrir à nos promotions les conditions favorables et les bons réflexes pour lancer une idée et pouvoir l’exécuter rapidement ; ne pas se censurer, trouver les outils en ligne, partager avec ses pairs, miser sur l’intelligence collective et travailler en mode collaboratif.

L’ambition de l’école est de démocratiser la réussite qui est traditionnellement le fruit d’un parcours classique d’études supérieures

Implanter l’école à Roubaix a également beaucoup de sens. C’est une ville qui a souffert de plusieurs crises successives, qui connaît aujourd’hui encore un taux de chômage très important mais qui bénéficie d’une vraie culture entrepreneuriale héritée de son passé de capitale du textile.

On vit aujourd’hui un momentum favorable à la création d’entreprises, les levées de fonds des start-up et les succès de la french tech sont vivement commentés, néanmoins il faut garder à l’esprit que cette économie numérique exclut une large partie de la population. Une véritable tension existe : d’un côté la prégnance d’une fracture numérique – près de 20% de la population ne possède pas d’équipements numériques, quand de nombreuses entreprises ne parviennent pas à combler leurs besoins de métiers digitaux dits en tension. Cette école procède de la volonté d’imaginer une formation permettant à des personnes très éloignées de l’emploi de s’insérer dans l’économie numérique et y trouver un emploi pérenne.

Nous voulons offrir à nos promotions les conditions favorables et les bons réflexes pour lancer une idée et pouvoir l’exécuter rapidement.

En quoi le digital change les règles du jeu du marché de l’emploi et de la formation ?

Le numérique bouleverse de nombreux paradigmes aux premiers rangs desquels les marchés de l’emploi et la formation.

Ainsi, en ce qui concerne l’industrie du e-commerce, les cursus classiques de formation ne préparent pas à de nombreux métiers – UX Designer, Web Analyst, etc. qui procèdent davantage d’une expérience professionnelle et d’une formation en poste. On apprend en faisant. En outre, la seconde particularité du numérique, est l’accélération des cycles d’innovation qui conduit l’apprentissage de certaines technologies à être rapidement obsolète.

Il fallait donc imaginer une formation qui puisse composer avec ces deux singularités et qui permette aux apprenants d’avoir à la fois des outils numériques et d’apprendre à apprendre. Notre double ambition est de former au numérique par le numérique.

Il fallait imaginer une formation qui permette aux apprenants d’avoir à la fois des outils numériques et d’apprendre à apprendre.

Quels ont été les débouchés pour vos premières promotions ?

L’école prépare à toutes sortes de fonctions ; des métiers très recherchés comme traffic manager, web designer, expert SEO, community manager, chargé(e) de e-commerce, chargé(e) de production et des métiers rares ou méconnus tels que ceux de la monétique ou de la fraude.

Jusqu’ici, nos anciens apprenants ont bénéficié d’opportunités diverses : dans le luxe (Van Cleef & Arpels), dans les médias (Groupe M6), dans le e-commerce et beaucoup ont intégré des start-up.

L’école du e-commerce de showroomprivé

Promotion 2 de l’école du e-commerce de showroomprivé

Pourquoi avoir choisi d’écarter les prérequis habituels dans la sélection de vos étudiants (expérience professionnelle, diplôme…) ?

Nous voulions offrir une possibilité de réinsertion à ceux qui n’ont pas les moyens de financer leurs études, à ceux qui envisagent une reconversion sans idée précise, à ceux auxquels le système scolaire traditionnel et un parcours trop académique ne conviennent pas. Nous voulions vraiment nous adresser à des profils variés et motivés. Annuler le bagage académique permet de contrer le phénomène d’autocensure à l’œuvre sur le marché de l’emploi et de favoriser la mixité des profils.

Nous jugeons les candidats sur la seule motivation et affectionnons les profils optimistes, agiles, curieux, capables d’une force de proposition qui montrent une capacité de s’intégrer rapidement dans un groupe.

Annuler le bagage académique permet de contrer le phénomène d’autocensure à l’œuvre sur le marché de l’emploi et de favoriser la mixité des profils.

Quelles sont les pédagogies innovantes mobilisées dans l’école du e-commerce ?

Les pédagogies amphithéâtrales ne fonctionnent pas pour les profils auxquels nous nous adressons. Nous misons beaucoup sur l’intégration du mode projet et des méthodologies agiles à notre cursus de formation : la pédagogie inversée (pour laquelle les apprenants deviennent enseignants), l’apprentissage pair-à-pair, l’auto-apprentissage, le learning by doing. Tous les modules sont assortis d’applications pratiques. Les apprenants sont par exemple amenés à créer des sites web pour les marques-créateurs du réseau Maison de Mode (Hauts-de-France) et à vivre des journées d’immersion en entreprise chez nos partenaires (La Redoute, Camaïeu, OVH, Oney, l’incubateur Blanchemaille by EuraTechnologies dédié au e-commerce, etc.).

Les pédagogies amphithéâtrales ne fonctionnent pas pour les profils auxquels nous nous adressons.

Est-ce une formation diplômante ?

Non, nous n’offrons ni diplôme, ni certification. Il faudrait pour cela nous spécialiser pour nous inscrire dans les dispositifs de droit commun de la formation professionnelle, or nous ne le souhaitons pas pour le moment. Nous voulons rester une formation offrant une multitude de débouchés. En revanche, notre organisme de formation est labellisé par la Grande Ecole du Numérique, donc reconnu par l’État.

Notre formation est bien entendu professionnalisante, notre dernière promotion connaît un taux de retour à l’emploi de 100%.

Chez showroomprive.com, accordez-vous de l’importance au diplôme dans vos recrutements ?

Cela dépend du poste à pouvoir mais nous accordons beaucoup plus d’importance à l’expérience, à la personnalité, à la capacité du candidat de se développer et se remettre en question. Cette fascination française pour les CV impressionnants, ce n’est pas dans l’ADN des fondateurs. Nous recherchons des collaborateurs qui apportent une vision, autonomes et créatifs. Ainsi, nous pouvons accorder beaucoup de responsabilités, même à de jeunes collaborateurs, s’ils possèdent un profil intrapreneur.

Nous accordons beaucoup d’importance à l’expérience, à la personnalité, à la capacité du candidat de se développer et se remettre en question.

Fin de formation de la promotion 1 de l’école du e-commerce

Si le diplôme n’a pas encore perdu toutes ses lettres de noblesse, de nombreuses initiatives comme l’école du e-commerce laissent augurer un renouveau des RH. Les entreprises de demain semblent s’accorder sur un point : mieux vaut privilégier le savoir-être au savoir-faire dans un monde mouvant où tout devient très vite obsolète. La leçon à retenir : apprendre à apprendre.

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Photo by Showroomprive.com

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