Faut-il (ou non) sortir de sa zone de confort ? Débat entre deux coachs
13 janv. 2021
9min
Senior Editor - SOCIETY @ Welcome to the Jungle
Sortir ou ne pas sortir de sa zone de confort, telle est la question… En coaching, il y a des sujets qui font mouche à tous les coups. Et il suffit d’un message sur LinkedIn pour s’en apercevoir à travers les commentaires : « Évidemment il faut en sortir ! », « Au contraire il faut la trouver et s’y épanouir », « Chacun ses besoins », « tout dépend de l’objectif »… Pour aller un peu plus loin, nous avons réuni deux coachs aux avis bien tranchés. D’un côté Alain Manoukian, créateur de la solution de coaching digitale MoovOne, spécialisée dans l’accompagnement des managers et entreprises. Face à un monde du travail toujours plus instable, il prône le “oui” : « C’est primordial pour exister encore demain ! » Face à lui, partisane du “non”, Nathalie Martin se veut plus nuancée, préférant un agrandissement en douceur de nos zones de confort. Coache en éveil de conscience auprès de particuliers, sa chaîne YouTube comptabilise 247k abonnés à date. Une longue discussion sur Zoom, alors que la situation sanitaire en France ne fait que rebattre les cartes de nos vies.
Nathalie Martin : Nous vivons une période particulièrement insécurisante, et l’on sait à quel point l’être humain désire le confort, la sécurité, contrôler les événements… Plus que jamais, notre vie est devenue “inconfortable”, donc oui, se pose d’autant plus cette question de la “zone de confort”. Est-ce qu’il faut que j’en sorte ? Que j’y reste ? Il y a un vrai sujet en ce moment autour de ça…
Alain Manoukian : C’est vrai. Et par rapport au Covid-19, il y a cette spécificité : c’est un événement qui ne dépend pas de nous, qui nous est extérieur… Alors la question devient : quand il arrive quelque chose qui ne dépend pas de moi, qu’est-ce que je fais ? Puisque l’événement ne dépend pas de moi, je dois l’accepter. Ensuite, rentre en compte un élément primordial : la capacité à se réinventer. Et c’est finalement ce que les gens viennent chercher chez nous, en coaching : s’ils viennent c’est parce qu’ils ont une problématique, qu’ils tournent en rond, donc ils attendent quelque part de sortir de leur zone de confort… J’utilise très peu cette expression-là - qui date plutôt des années 80-90 - mais oui pour moi il est primordial de se renouveler pour faire face à ce qui arrive et être en capacité de rebondir. L’agilité doit faire partie de notre vie à tous. C’est indéniable.
« Sortir de sa zone de confort ou l’agrandir, c’est un peu un débat sémantique non ? » Alain Manoukian
Nathalie Martin : Moi je pense qu’on nous rebat un peu trop les oreilles avec le fait de “sortir de sa zone de confort”. C’est presque devenu un objectif en soi… Je ne partage pas cette vision-là. Déjà, parce que quand j’échange avec des gens qui me disent qu’au boulot et à la maison c’est compliqué, qu’ils ne trouvent plus de sens dans leur vie, que cela génère de l’inconfort émotionnel, et que deux minutes après ils me disent : « Il va falloir que je sorte de ma zone de confort », c’est toujours un peu étonnant pour moi… C’est se mentir à soi-même sur le niveau de confort de notre quotidien ! Si c’était vraiment si confortable, pourquoi on aurait envie d’en sortir ? Je suis beaucoup plus à l’aise avec l’idée d’agrandir la zone de confort, d’accomplir des choses que l’on ne se sentait pas capable de faire il n’y a pas si longtemps…
Alain Manoukian : Sortir de sa zone de confort ou l’agrandir, c’est un peu un débat sémantique non ?
Nathalie Martin : Oui et non ! Les mots sont très importants. J’ai l’exemple d’un client qui est venu en me répétant : « Il faut que je sorte de ma zone de confort ». Et en fait, en explorant avec lui sa situation, j’ai proposé qu’on l’appelle plutôt “zone de routine”. Ça a été un changement radical car la sémantique peut créer une résistance dans notre cerveau. Comme nous sommes faits pour rechercher le confort, au fond, on ne veut pas réellement en sortir ! Mais si on parle de “zone de routine”, alors là oui nous voulons en sortir !
« Ce qui est sûr, c’est qu’on ne travaille jamais aussi mal que lorsqu’on traverse une zone de panique. Autrement dit, quand le changement ne fait pas sens, qu’il est violent… » Nathalie Martin
Alain Manoukian : Je suis d’accord avec vous sur cette idée d’image mentale qui peut nous empêcher d’avancer. D’où l’importance pour moi du terme “agilité” que j’utilise. Mais, au-delà de la personne, je pense qu’il est important ici de rappeler la raison d’être d’une entreprise. Malgré tout, une entreprise est là pour gagner de l’argent. Elle doit maintenir sa croissance et sa pérennité, dans un monde de plus en plus complexe, incertain. Comme le monde va plus vite que les changements d’une organisation, il faut savoir réagir. C’est l’enjeu pour que les salariés puissent continuer à travailler. Et il s’applique de la même façon à un salarié ou à un manager : que le premier passe de suiveur à moteur, ou que le second apprenne à assouplir son mode de management, les deux doivent se remettre en question et avancer pour le bien collectif.
Nathalie Martin : Oui, je comprends évidemment ce point de vue. Et d’ailleurs, je ne pense pas qu’on travaille au mieux quand on est dans sa zone de confort, au contraire, on ronronne, on n’est pas très performant ni sur le plan personnel ni sur le collectif… Mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne travaille jamais aussi mal que lorsqu’on traverse une zone de panique. Autrement dit, quand le changement ne fait pas sens, qu’il est violent, que l’on ne sait pas où l’entreprise et notre poste vont… Et cela arrive très souvent…
« Si tu n’as pas envie d’entreprendre le changement, si tu es bien dans ta vie aujourd’hui, alors ça ne sert à rien de t’agiter dans tous les sens » Nathalie Martin
Alain Manoukian : Là-dessus, j’ajouterais qu’il faut regarder d’où vient la personne, notamment son profil comportemental. Je travaille avec différents tests, comme le DISC par exemple (un outil d’évaluation psychologique déterminant le type psychologique d’une personne, ndlr), et c’est vrai que si on est un profil très porté sur l’ “action/résultat” ou très “pro-mouvant”, on va naturellement sortir de sa zone de confort. Elle va nous ennuyer ! Au contraire, des profils plus orientés vers la “conformité et la stabilité”, vont rechercher ce confort car ils ont horreur du changement. Mais avec un monde qui bouge et qui les fait bouger, ils vont eux aussi devoir faire un effort de transformation pour continuer à exister dans un monde du travail qui change en permanence !
Nathalie Martin : Le terreau est important, mais ce n’est qu’un point de départ pour moi. Ma réserve sur le travail des profils, c’est que cela peut enfermer les gens dans des étiquettes qui leur signifient : « Tu es comme ci » ou « Tu es comme ça ». J’ai rencontré beaucoup de personnes qui affirmaient : « Moi je suis rouge », « Moi je suis bleu », et qui finalement se cachaient derrière ça pour justifier certains de leurs comportements qui leur coûtaient ou coûtaient à leur entourage. C’est bien d’avoir un postulat qui explique des besoins et une manière de fonctionner, mais il faut ensuite se demander : d’accord, mais comment je fais bouger mon curseur ? Qu’est-ce que ce comportement me coûte, m’apporte, et de quoi j’ai envie ? Et pour moi là, il y a un point primordial : on a le droit aussi, à un moment, de ne pas vouloir bouger de sa zone de confort. Je prône la pleine et entière responsabilité : si tu n’as pas envie d’entreprendre le changement, si tu es bien dans ta vie aujourd’hui, alors ça ne sert à rien de t’agiter dans tous les sens.
Alain Manoukian : C’est intéressant ce que vous dites sur le droit ou non de sortir de sa zone de confort. Quand je parle d’agilité, je ne veux pas dire que l’on doit constamment s’inscrire dans une quête de changement et d’amélioration permanente. Il y a des moments où il faut souffler, trouver un espace où on se sent bien. En revanche, on se doit d’être dans une dynamique, ne jamais rester statique. C’est un peu l’image de la fusée : il faut énormément d’énergie pour qu’elle décolle et qu’elle quitte l’atmosphère, puis la fusée trouve une zone d’équilibre, se stabilise, pour continuer à avancer… Et c’est à cela que servent nos métiers de coachs : aider dans ces moments d’effort. Pour que la personne continue à être employable, à évoluer dans d’autres fonctions, à être compétiteur dans son marché etc. On a totalement le droit de rester là où on est, tant qu’on n’en ressent pas le besoin, mais il ne faut pas non plus oublier que nous avons une responsabilité envers nous-mêmes et l’entreprise qui nous emploie. Il s’agit donc de développer une agilité situationnelle.
« Il s’agit de poser de manière rationnelle et émotionnelle ses besoins, ses valeurs, ses envies, et la raison pour laquelle on fait ça. Pourquoi je sors de ce cadre et je veux en aborder un nouveau ? » Alain Manoukian
Nathalie Martin : Oui. Et ce qui freine finalement le changement c’est souvent les peurs, ou plutôt la compréhension de ces peurs. À partir du moment où je comprends que mes peurs font partie du chemin, je peux concevoir que c’est aussi extraordinaire parce que ça va me permettre d’évoluer. On comprend alors qu’on peut continuer à avancer même si on a peur. Il n’y a pas les courageux d’un côté et les trouillards de l’autre, nous sommes les deux à la fois. Après, on peut aussi avoir des croyances qui nous empêchent : si je crois que je suis nul, pas capable d’avoir ce poste là, ça va être beaucoup plus difficile pour moi de me mettre en mouvement. On pense souvent que nos freins sont extérieurs : ce qui nous empêche d’avancer c’est notre passé, notre éducation, notre situation familiale… On se cache derrière des choses, certainement pour se trouver des excuses de ne pas créer le changement… Mais le principal frein est intérieur. Comment fait-on pour desserrer ce frein ? La première chose à faire, c’est de prendre conscience de ces blocages, mais de réaliser aussi que ça ne va pas nous empêcher d’avancer. On va réussir à faire un premier pas, puis on va voir que ça marche.
Alain Manoukian : Parmi ces freins chez mes clients, je retrouve aussi souvent la notion de valeurs familiales. On peut, par rapport à notre famille et notre milieu social, ne pas vouloir quitter son milieu, ne pas vouloir “trop réussir”. On peut également avoit été marqué par ce qu’on appelle une des cinq blessures : la trahison, le rejet, l’abandon, l’humiliation ou l’injustice. Toute cette histoire personnelle se retrouve dans les dires et les non dires de la personne, et nécessite un accompagnement dans le temps. Ensuite, comment avancer ? Déjà, en sortant de la plainte, comme l’écrivait François Roustang (dans La fin de la plainte, le thérapeuthe invite à ne plus se plaindre et à moins écouter son égo, pour s’ouvrir davantage au monde ndlr). Puis, il s’agit de poser de manière rationnelle et émotionnelle ses besoins, ses valeurs, ses envies, et la raison pour laquelle on fait ça. Pourquoi je sors de ce cadre et je veux en aborder un nouveau ? Le pourquoi est essentiel. Il faut travailler et faire mûrir cette envie. Ensuite, le coach va accompagner sur les trois niveaux : le quoi, le pourquoi, et le comment je le fais. Et le comment, c’est sûrement le plus dur… Nathalie, vous savez sûrement comment mange un éléphant ?
Nathalie Martin : Oui ! Bouchée par bouchée ! (Rires)
Alain Manoukian : Voilà, comme tout le monde. Donc c’est pareil pour quelqu’un dont l’objectif est de faire des conférences devant 1 000 personnes : le premier pas, il peut être fait lors d’une réunion de famille, quand on se lève et que l’on dit : « Je suis heureux que vous soyez tous là », avant de se rassoir. Cela paraît anodin mais c’est énorme parce que ça permet de gagner en confiance et en capacité énergétique pour aller plus loin.
« Le fossé est grand entre ce que nous sommes capables de faire, et ce que nous pensons être capables de faire » Nathalie Martin
Nathalie Martin : Vous dites un mot juste, c’est cette importance du petit pas. J’ajouterais qu’une fois qu’un petit pas est fait, il faut préparer le suivant. Car ce qui tue le changement c’est bien souvent qu’on va poser une action et qu’ensuite on va attendre le résultat. Non : il faut maintenir le mouvement dans des actions qui font sens. Par exemple, sur la confiance : souvent on attend d’avoir confiance en nous avant d’entreprendre le changement, comme si ça allait nous prendre un matin en nous levant. Mais c’est le changement que j’entreprends qui va au contraire bâtir ma confiance. Parce que j’ai osé faire ce petit pas, je découvre que je suis “capable”, et ça c’est déjà une victoire. L’important pour moi ce n’est pas d’atteindre un objectif en soi. On le sait tous, et ça m’est arrivé aussi : parfois on se fixe des objectifs, on donne tout ce qu’on peut, et ça ne marche pas comme on l’aurait souhaité. Et c’est ce qui finalement est essentiel à comprendre : que je choisisse de rester ou de sortir de ma zone de confort, d’aller agrandir et explorer ce que je suis capable de faire, ce qui compte c’est qui je deviens quand j’avance sur mes objectifs.
Alain Manoukian : Oui. Pour moi le coaching c’est vraiment l’art de l’action, de mettre quelqu’un dans l’action. Un bon exemple : j’ai récemment accompagné un profil polytechnicien brillant. Fils de polytechnicien, il se plaçait dans un schéma de reproduction d’une certaine perfection et il était incapable de prendre la parole lors des comités de direction de son entreprise, quand bien même c’était lui l’expert scientifique et technique… Ultra-perfectionniste, il n’arrivait pas à s’exprimer car sa plus grande peur, c’était de se tromper. On a avancé peu à peu, on a déconstruit certaines croyances, et il a réussi à prendre la parole, même lorsque toutes ces données et informations n’étaient pas parfaitement vérifiées. Et surtout, ses troubles psychosomatiques ont disparu. Je trouve ça formidable. C’est un beau métier que l’on fait à accompagner ainsi des gens.
Nathalie Martin : Oui. Pour conclure cela me fait penser à quel point le fossé est grand entre ce que nous sommes capables de faire, et ce que nous pensons être capables de faire. Il faut retrouver ce que nous faisions enfant : nous passions notre temps à sortir de notre zone de confort, on touchait et on goûtait à tout, parfois à nos dépends, mais nous avions une véritable curiosité et une vraie capacité d’exploration.
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