Ces signes avant-coureur qui prédisent la démission de vos collaborateurs
26 juin 2023
5min
Il n'est jamais évident de voir l’un de ses collaborateurs partir, surtout lorsqu'il s'agit d'un talent prometteur et que son départ s'impose comme une mauvaise surprise. Sans virer paranoïaque, quels sont les signes qui peuvent vous mettre la puce à l’oreille, et qui sait, vous permettre de renverser la vapeur ?
Si toute entreprise est vouée à renouveler ses effectifs, il est un indicateur que les dirigeants regardent avec attention : le taux de turnover. Autrement dit, le pourcentage de collaborateurs qui claquent la porte de l’entreprise. S’il n’est pas possible - ni même souhaitable - de retenir indéfiniment ses talents, certains départs inattendus donnent parfois un sentiment de gâchis quand la flamme aurait pu être ravivée (pour de bonnes raisons). Sans oublier que certains départs peuvent en provoquer d’autres par effet domino : et là, c’est l’hécatombe ! Alors, comment les éviter ? À quels signaux se vouer ? Existe-t-il des outils fiables pour anticiper ces démissions ? Et quels bons comportements adopter pour éviter celles qui peuvent l’être ?
Le désengagement, ce signal qui en dit long !
Dans le lexique des mots les plus redoutés par les RH, on retrouve le grand méchant « désengagement ». Pour Bénédicte Tilloy, DRH, autrice et experte du Lab, il s’agit effectivement du signal qui doit immédiatement alerter la tour de contrôle. Pour elle, il peut être de deux sortes et recouvrir de nombreux comportements :
Le désengagement quotidien : le collaborateur ne manifeste plus d’intérêt pour ce qu’il fait, il répond à côté de la plaque, ne lance plus de nouveaux projets, ne peaufine pas ses rendus, ne termine pas son travail à l’heure, a tendance à partir plus tôt que d’habitude ou à arriver en retard… « Ce sont des signaux qui se repèrent facilement chez des gens qui d’ordinaire font tout aux petits oignons. Bien sûr, certains arrivent à donner le change jusqu’au bout et sont plus indétectables », analyse-t-elle.
Le désengagement affectif : la relation avec les collègues et managers se distend. La personne ne participe plus ou pas autant aux afterworks, aux soirées d’entreprise, déjeune moins avec ses collègues, ne s’engage pas dans les side projects… « Il s’agit de tous les petits à côté, tous les rituels, qui font la culture d’entreprise », poursuit Bénédicte Tilloy. Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert des nouvelles gouvernances, conseille également de prêter attention à la formation de clans, qui n’augure jamais rien de bon, ou encore à l’usage d’un humour caustique dans l’équipe qui peut pousser à la démission certain·es salarié·es.
Lorsque le collaborateur est moins engagé et flirte avec la démission, il est intéressant de souligner que l’on peut observer deux types de comportements diamétralement opposés. « La personne peut être dans une forme de résistance affirmée sur un certain nombre de sujets. Mais elle peut également être à l‘inverse résignée, dire oui à tout, ce qui peut également être caractéristique d’une démission à venir, surtout, quand ce n’est pas sa personnalité d’ordinaire », observe Luc Bretones.
Et si on prédisait mathématiquement les démissions ?
Si le sujet de la démission est profondément humain, l’intelligence artificielle s’immisce de plus en plus dans la vie des entreprises pour les aider à anticiper ces départs. De grands groupes ont ainsi déjà mis en place des solutions à l’image de T.O.P. Cet outil de statistique évoluée permet de prédire les démissions dans les équipes, puis de mettre en place une suite d’actions préventives. « À ce jour, l’algorithme voit juste dans 80 à 90 % des cas. Nous avons développé ce projet il y a 18 mois et sommes nous-mêmes surpris de ces résultats », affirme Maxime Cariou, fondateur et CEO.
Mais alors, quelle est la formule magique permettant de prédire les démissions ? Pour des raisons évidentes, l’entreprise ne souhaite pas livrer tous ses secrets. Toutefois, elle dévoile que cette IA croise une vingtaine de données socio-professionnelles. Parmi les critères les plus susceptibles d’inciter un·e salarié·e à quitter sa boîte, on retrouve à la fois le relationnel avec le manager actuel, le nombre de collaborateurs dans l’équipe, le nombre d’enfants à charge, le nombre d’entreprises passées ou encore le salaire.
Avec le consentement du salarié, et toujours en respect de la RGPD et bientôt de l’IA Act, l’outil peut également se connecter à LinkedIn pour voir si la personne s’est mise en recherche active (sans que cela soit visible sur son profil). Difficile d’imaginer qu’un collaborateur y consente, à moins de vouloir lancer un message on ne peut plus clair à son manager ! Mais dans tous les cas, les performances de l’IA démontrent qu’un certain nombre de critères objectivables peuvent conduire un·e salarié·e à démissionner. L’outil se charge alors d’envoyer des alertes et des recommandations adaptées selon le ou les critères qui bloquent.
Retenir ou ne pas retenir, telle est la question ?
« Il est évident qu’on ne peut pas retenir les gens à tout prix. Mais on peut aider les managers à prendre de la distance avec ce qui se passe, essayer de réancrer la relation dans la durée, ou, si c’est trop tard, d’anticiper un futur recrutement », analyse Maxime Cariou. De son côté, Luc Bretones est catégorique : si le management est de piètre qualité et/ou le niveau de sécurité psychologique insuffisant, toutes les solutions inimaginables ne seront que du mercurochrome. « Je suis terrorisé par les entreprises de type machine à laver qui enregistrent un fort taux de turnover. Mais endiguer les départs quand on ne s’attaque pas à la source du problème, c’est inefficace. Le pire étant certainement de retenir les gens en ne travaillant que sur le salaire. C’est une solution à court-terme », martèle notre expert. Quels outils faut-il alors mettre en place pour éviter les sorties de route ? Pour anticiper les démissions en cascade, le problème est intimement lié à sa solution : l’écoute.
Pratiquer des entretiens rapprochés
« Je crois beaucoup plus aux solutions relationnelles que transactionnelles », lance Bénédicte Tilloy. Le problème selon notre experte, c’est que les managers n’écoutent souvent que d’une oreille, ou n’ont pas forcément conscience qu’une démission est en jeu. Pour détecter les signaux faibles, des entretiens réguliers de feedback doivent être organisés. Il peut s’agir de seulement 15 minutes toutes les semaines. Cela permet d’éviter l’effet d’accumulation : parfois, il suffit d’un petit caillou supplémentaire dans le rouage pour que tout explose !
Rectifier le tir immédiatement
Écouter, c’est bien. Agir, c’est mieux ! « Avoir le bon management, c’est être en permanence au contact du corps social et être capable de détecter, se dire les problèmes, et les solder en temps réel si cela est possible. Car il faut le dire, on ne peut pas nécessairement répondre à toutes les demandes. Par exemple, toutes les boîtes ne vont pas passer à la semaine de 4 jours. Mais sur d’autres sujets, il sera possible de rectifier le tir », affirme Luc Bretones. Cela nécessite une forme de courage managérial, d’humilité et de bienveillance envers ses équipes. Notre expert en revient donc à la notion de sécurité psychologique des collaborateurs, seulement permise dans un univers familier du feedback, dans lequel on autorise le droit à l’erreur. Cette sécurité permet ensuite d’éviter un décalage entre le mode de fonctionnement de l’entreprise et les aspirations au travail.
Utiliser des outils scientifiques
L’IA est un outil qui va de plus en plus s’imposer, et qui doit permettre d’aider à objectiver certaines situations. « L’intérêt que j’y vois, c’est par exemple dans le cas d’un manager défaillant. Cela permet de constituer des preuves tangibles si l’on observe un fort taux de turnover avec l’un d’eux, plutôt que d’entrer dans le registre “c’est la parole du manager contre celle du collaborateur” », soutient Bénédicte Tilloy. Dans la gestion de son entreprise, Luc Bretones utilise, lui aussi, un logiciel basé sur les recherches en management et neurosciences qui lui permet de suivre la santé de son équipe toute l’année. Il s’agit de 153 questions (17 minutes de temps de réponse) auxquelles sont soumis les collaborateurs plusieurs fois par an. « On observe que dans les zones dysfonctionnelles, il peut y avoir des départs. Avec cet outil, on peut identifier les angles morts et détecter les désalignements et donc les frustrations », confie-t-il.
Autant d’outils pour réduire le turnover qui doivent venir renforcer le travail sur la raison d’être et les valeurs de l’entreprise, ainsi que les bons comportements et ceux inadaptés. « Et puis parfois, il vaut mieux laisser partir les gens plutôt que les retenir à tout prix et détériorer la situation. Cela fait 40 ans que je travaille, et je peux vous dire que j’ai recroisé de nombreuses personnes sur mon chemin. Alors, soignez les départs ! », conclut Bénédicte Tilloy.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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