Vis ma vie : l'expérience de cohésion d'équipe rêvée ?

28 juin 2023

5min

Vis ma vie : l'expérience de cohésion d'équipe rêvée ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

contributeur.e

Le concept de « Vis ma vie » appliqué à l’entreprise permet à des salarié·es de passer un certain temps à un autre ou plusieurs postes. Le but ? Faire découvrir un métier, favoriser la cohésion ou encore accélérer la montée en compétences. Mais à quelles conditions est-il pertinent de le mettre en place ? Décryptage avec Luc Bretones, expert du Lab Welcome to the Jungle.

Le dispositif « Vis ma vie » n’est pas vraiment une idée neuve. Chez Michelin, l’immersion dans les ateliers de production à Clermont-Ferrand demeure un rite de passage pour chaque nouveau·elle venu·e. Au sein de WL Gore, les salarié·es entrant·es disposent de quelques semaines pour faire le tour des projets afin de proposer leur contribution. Quant à Babilou, les managers du siège ont droit à une journée complète d’immersion au sein d’une crèche du réseau pour prendre connaissance du terrain. Aujourd’hui, les entreprises y voient toujours un moyen efficace de favoriser la compréhension mutuelle entre métiers, de renforcer la collaboration et d’améliorer la communication au sein de l’entreprise.

« C’est une manière de mixer des personnes à des postes très différents, ce qui produit des mélanges inédits et imprévisibles avec une richesse incroyable dans les échanges », explique Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert en nouvelles gouvernances. En effet, se plonger pleinement dans le quotidien d’un collègue permet de déjouer les idées reçues au sein de structures parfois (encore trop) silotées et peu transversales. Mais dans quelles conditions un « Vis ma vie » est-il vraiment pertinent ? Quels sont les nouveaux formats existants ? Ou encore les pièges à éviter lorsqu’on se lance dans sa mise en place ?

« Vis ma vie » : un concept et des déclinaisons aux objectifs variés

En mode « task force » pour renforcer une équipe ciblée

Lors de pics d’activité, certain·es salarié·es viennent prêter main forte aux équipes dont la charge est trop importante comme chez Orange. À Noël - ou toute autre période de forte affluence type Black Friday - les collaborateur·rices du siège viennent en magasin afin d’aider les équipes opérationnelles. « Il s’agit d’immersions périodiques, où l’on soutient les équipes à l’accueil ou à la logistique par exemple. C’est du volontariat, tout le monde y participe, dirigeants compris. Je l’ai pratiqué personnellement dans les centres techniques et en SAV lorsque je travaillais au sein du groupe », raconte Luc Bretones. Les bénéfices ? « Le dispositif permet aux fonctions qui ne sont pas sur le terrain de vivre pleinement les conditions de travail. Cette forme de solidarité est très appréciée en interne car elle génère aussi des conversations et de l’écoute entre les salarié·es. »

Un stage découverte pour le boss

Le « Vis ma vie » est une immersion intéressante pour le/la manager, notamment dans le cas de larges équipes aux expertises techniques plutôt diversifiées. « Chez Orange, j’ai managé des populations commerciales ainsi que des techniciens : mes équipes comptaient plus de 1 000 personnes. Au départ, je ne connaissais pas tous les métiers ni l’ensemble des collaborateur·rices ! Chaque semaine, j’ai décidé de passer une journée avec une personne différente de mon équipe afin de vivre, avec lui/elle, son quotidien et ses problématiques », explique Luc Bretones. Et les avantages sont là aussi multiples : « *En allant à la rencontre des gens, sur le terrain, on découvre des situations sociales parfois difficiles. Dans son bureau, assis confortablement, c’est impossible de comprendre cette réalité. » Sans compter que la démarche est très appréciée des équipes : « Le fait de socialiser, de s’intéresser aux personnes, cela permet de créer du lien et faire remonter de l’information*. »

L’onboarding immersif pour les nouveaux entrants

C’est l’une des déclinaisons les plus répandues : lors de la période d’intégration, le/la nouvel·le entrant·te est plongé·e dans différents métiers afin d’acquérir une vision globale de l’entreprise et de mieux comprendre sa mission. Chez Tunstall Vitaris, leader français et européen de la téléassistance, qui, depuis 8 ans, propose un « Vis ma vie » sur-mesure en onboarding, en fonction des besoins individuels et du métier. « Les nouvelles recrues passent plusieurs jours avec d’autres équipes pour mieux s’intégrer, comprendre la réalité du terrain et adhérer plus rapidement aux engagements portés par l’entreprise », explique Camille Siraud, DRH du groupe. Parmi les activités suivies, il y a notamment l’installation à domicile du matériel ou une immersion auprès d’un référent métier expérimenté au centre d’écoute et de prise en charge psychologique. « Ces initiatives permettent d’apporter une vision globale de l’entreprise, de la mission dans laquelle s’intègre le poste. »

Une gestion de carrière plus dynamique et autonome

La Banque Populaire AURA a lancé le concept « TestUnMétier », afin de permettre aux personnes détectées pour une mobilité ou une évolution interne d’entrer en contact avec des salarié·es au poste visé. « C’est un dispositif intégré au processus de gestion des carrières : après les revues du personnel, les collaborateurs détectés, s’ils sont d’accord, vont prendre en main leur propre plan de développement en allant découvrir, eux-mêmes le métier », explique Léna Basile, consultante RH et ancienne directrice du développement RH. Concrètement ? Via une plateforme digitale, ils/elles s’inscrivent pour organiser plusieurs rendez-vous avec leurs collègues. « Cela peut prendre la forme d’une immersion, d’un café ou d’une visio : l’objectif étant de rendre les salarié·es acteurs de leur parcours, de donner de la visibilité sur les carrières et de faciliter les connexions entre les 3 200 salariés de la BP AURA », souligne Léna Basile.

5 clés pour réussir son parcours « Vis ma vie »

1. Sortir de la logique statutaire

Les personnes en immersion doivent faire preuve d’humilité en misant sur un indice d’enseignabilité élevé. C’est un prérequis selon Luc Bretones : « Il faut aller à la rencontre des autres, s’intéresser à eux en mettant les galons de côté : c’est la seule façon de créer des apprentissages pertinents. »

2. Outiller et sensibiliser les managers

Le rôle du manager est essentiel dans la réussite du projet. « Il/elle est responsable d’organiser les rencontres transversales avec les autres métiers lors de l’onboarding », explique Léna Basile. Au sein de la Banque Populaire AURA, un guide managérial a été créé en ce sens pour faciliter l’organisation des parcours « Vis ma vie ». Quant au programme « TestUnMétier », les managers sont parties prenantes des différentes rencontres : « Sur la plateforme, le/la manager est notifié·e lors de la demande de rendez-vous de son collaborateur et doit la valider. Ce processus assure une transparence nécessaire à l’adoption du projet par les équipes managériales. »

3. Cadrer et piloter le dispositif

« Les différents projets de “Vis ma vie” sont cadrés et pilotés pour éviter les débordements en termes de temps, notamment. Dans le cadre de “TestUnMétier”, le nombre de rendez-vous peut-être limité à trois par an par exemple », souligne Léna Basile. Tunstall Vitaris demande un bilan après la période d’intégration afin de vérifier la satisfaction du/de la collaborateur·rice et recueillir les retours du manager. C’est également une directive de L’Aract qui insiste sur l’importance de mener un bilan à chaud juste après l’expérience, suivi d’un bilan à froid pour identifier les apprentissages.

4. Communiquer le plus possible

Le dispositif doit être mis en valeur en interne pour que les managers et les collaborateur·rices - participant·es et référent·es - comprennent ses enjeux et ses bénéfices. « Je conseille à mes clients de beaucoup communiquer sur les différents programmes via des vidéos témoignages avec les référents métiers ou encore en organisant des portes ouvertes par service », explique Léna Basile. La communication externe est également une caisse de résonance à exploiter : « C’est un argument d’attractivité pour les candidats : les participants partagent souvent sur leur réseau professionnel leur expérience, ce qui fait rayonner le dispositif au-delà des frontières de l’entreprise. »

5. Valoriser les référents métiers

Le rôle de référent·e est une composante importante du projet à penser en amont. « Il faut qu’ils/elles soient volontaires et motivé·es. Pour cela, plusieurs actions pour valoriser leur rôle peuvent être mises en place telles qu’un courrier de remerciement signé de la direction générale ou la valorisation des compétences développées dans les entretiens annuels, par exemple. Leur expertise et le travail de transmission qu’ils mènent sont un tremplin potentiel dans leur évolution de carrière », conclut Léna Basile.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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