Non, tout le monde ne doit pas forcément apprendre à coder

19 sept. 2019

4min

Non, tout le monde ne doit pas forcément apprendre à coder
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Tu as plus de 20 ans et tu ne sais pas coder ? Non mais allô quoi. L’apprentissage du code est de plus en plus présenté comme la solution à tous les maux du 21ème siècle. Au chômage ? Prends un peu de HTML. Catastrophe écologique ? Double dose de Python. Un rhume ? Du Java et un peu de repos pendant trois jours.

On a beaucoup lu, écrit (même nous !) et parlé du fait qu’il était devenu indispensable de savoir coder en 2019. Alors que l’insécurité du marché du travail inquiète et que de nombreuses professions sont appelées à disparaître, l’apprentissage de la programmation est porteur d’espoir dans l’imaginaire collectif. De quoi culpabiliser tous ceux qui n’ont jamais été attirés par cette discipline. Alors, si on remettait en question cette croyance (un peu trop) populaire ? Retour sur trois grandes idées reçues.

Idée reçue n°1 : le code est le nouvel alphabet

Les ignares du code sont-ils les analphabètes de demain ? Des plans de formations massifs sont mis en place pour répondre à un besoin croissant en compétences informatiques. PHP, HTML, CSS… des langages relativement simples permettant principalement de comprendre le fonctionnement du web.

Or, certains remettent en cause leur utilité dans les années à venir. « De plus en plus d’entreprises facilitent l’utilisation de leurs outils en créant ce que l’on appelle des API. Ces API permettent des configurations “on-click”, ils offrent ainsi la possibilité à des personnes qui n’ont jamais appris à coder de créer des sites web basiques par exemple. C’est ce que font des entreprises comme Wix. » explique Jimmy Roux, CTO chez Adok.

Le futur du code pourrait donc être… l’absence de code. C’est en tout cas ce que pense le pape de l’intelligence artificielle Laurent Alexandre. Dans son livre La Guerre des Intelligences, il décrit un futur proche dans lequel la programmation simple sera devenue une commodité et le code informatique “bas de gamme” entièrement automatisé. L’IA offre en effet des perspectives abyssales dans ce domaine, il n’est pas insensé de croire qu’elles écriront elles-mêmes des programmes informatiques, rendant obsolète l’apprentissage de nombreux langages de programmation.

Idée reçue n°2 : Le code est la nouvelle voie royale pour trouver un job

Après le latin et les mathématiques, il faudrait tout miser sur la programmation. L’Éducation Nationale y croit et l’a intégrée aux programmes scolaires de la rentrée 2019-2020. Les cours de mathématiques comprendront ainsi un cycle sur l’algorithmique et la programmation, pendant lequel les élèves écriront des algorithmes et des programmes dans le langage Python, retenu par le gouvernement pour sa simplicité.

Dans sa tribune sur Atlantico, Pascal-Emmanuel Gobry - chercheur à l’Ethics and Public Policy Center - revient sur la genèse de l’informatique pour mettre en avant les évolutions colossales qu’elle a connues, depuis les 1 et les 0 jusqu’à des applications de moins en moins abstraites. L’accélération de l’évolution des technologies est telle qu’un enfant du primaire se mettant au codage aujourd’hui rencontrera une réalité très différente lors de son arrivée sur le marché de l’emploi. Il nuance ainsi la pertinence de ces programmes éducatifs : « le concept même de programmation sera complètement différent de ce que nous connaissons aujourd’hui; en tous les cas, les technologies seront fort différentes. Il est donc probable qu’apprendre le codage aux enfants aujourd’hui ne serve absolument à rien. »

Si la réflexion intellectuelle qu’apporte l’apprentissage de cette compétence n’est pas remise en question, d’autres s’inquiètent du battage médiatique qui laisse penser que le code est LA solution face au chômage. Or, le monde de la programmation n’est pas une manufacture. Aux États-Unis, les experts craignent que le mouvement crée un déséquilibre, saturant le marché et conduisant à une main-d’œuvre moins coûteuse. En effet, lorsque tout le monde aura appris à programmer, les entreprises n’auront plus besoin d’offrir des salaires aussi concurrentiels qu’aujourd’hui.

Idée reçue n°3 : On peut devenir développeur en suivant des bootcamps et autres stages intensifs

Apprendre à développer en un mois : une promesse qu’affichent de nombreuses écoles en ligne ou physiques. « Ces bootcamps permettent de devenir un “technicien”, c’est-à-dire être capable de répondre à des problématiques précises sur une technologie donnée, apprise pendant ces cours. Il exécute un cahier des charges, reproduit une technique. En revanche, un développeur va proposer une approche adaptée aux attentes et de nouvelles solutions. » explique Simon Legroux, CTO chez Lecko. Être développeur ne se résume donc pas à l’apprentissage d’un langage et de sa syntaxe, la clé est de comprendre le concept.

En simplifiant certains concepts à outrance et en laissant penser qu’une expérience épisodique est suffisante, le risque est de faire passer la programmation pour un jeu d’enfant. Or, devenir développeur exige des efforts, de la persistance et beaucoup de patience. En 1996, le chercheur en informatique Leon Winslow a estimé qu’il fallait approximativement dix ans pour qu’un codeur novice devienne expert.

Car en parallèle, il faut prendre conscience que certaines facettes du développement sont plus ou moins complexes. « Dans le web, il est effectivement possible d’avoir des bases honorables assez rapidement. Mais ce n’est qu’une petite partie de ce que représente l’informatique. Les métiers de l’embarqué, de l’administration des serveurs ou encore la sécurisation des données sont bien plus difficiles à aborder dans de simples bootcamps », nuance Jimmy Roux, CTO chez Adok. Désolés, finir un tutoriel ne fait pas de vous un développeur.

Il faut du temps et beaucoup de travail pour percer les mystères du code. Le principal enjeu de demain serait plutôt d’avoir une culture numérique solide pour avoir les clés de lecture permettant d’anticiper la transformation des métiers, mieux échanger avec ses interlocuteurs dans un environnement de plus en plus technologique et saisir les opportunités à venir. « Nous savons tous compter, mais nous ne sommes pas pour autant tous mathématiciens » conclut Alexandre Zana, CEO et fondateur de Coding Days.

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Photo d’illustration by WTTJ