« 5 ans d'expérience sur un rôle similaire » : et si on arrêtait avec ces prérequis ?

31 oct. 2023

4min

« 5 ans d'expérience sur un rôle similaire » : et si on arrêtait avec ces prérequis ?
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

contributeur.e

Le monde du travail évolue, mais certaines normes persistent. Pourquoi les recruteurs continuent-ils d'intégrer ce type de mention dans leurs offres d'emploi ? Est-ce sans conséquence ? Et quelles alternatives imaginer ?


Trouver le candidat idéal, c’est parfois chercher une perle rare dans un océan d’huîtres. Dans un marché du recrutement de plus en plus compétitif, l’exigence d’un nombre d’années d’expérience minimum suscite des interrogations. Et à une époque où les compétences évoluent à une vitesse vertigineuse, ce prérequis sert souvent de filtre pour trier les candidatures et minimiser le risque de mauvais recrutement.

L’expérience comme indicateur de performance : une fausse bonne idée ?

Aujourd’hui responsable du recrutement chez Murfy, Carole David a pour habitude de recruter des profils sans expérience, au parcours atypique ou en reconversion. « Et c’est généralement un succès quand on a une organisation permettant d’accompagner la personne dans sa montée en puissance », observe-t-elle. Pourtant, elle reconnaît que cette ouverture à la diversité des profils n’est pas possible pour tous les postes.

« Récemment, nous avons cherché à recruter un développeur ou une développeuse, en décrivant notre contexte et en mentionnant les technologies sur lesquelles nous avions des attentes plutôt que des années d’expérience sur un poste similaire », explique-t-elle. L’entreprise reçoit alors une centaine de candidatures, pour un profil pourtant réputé pénurique. Mais rapidement, elle doit faire marche arrière. « 80 % des candidatures étaient des profils tout juste diplômés. Et si nous recrutons régulièrement des profils juniors ou en reconversion chez Murfy, nous n’avions pas la capacité dans cette équipe et à l’instant t d’accompagner une montée en compétences sur ce poste », reconnaît-elle.

Carole David publie une nouvelle annonce, avec un minimum d’expérience de 3 ans. « Il est probable que le niveau de séniorité attendu implique davantage d’années de pratique, mais on a volontairement indiqué cette durée, explique-t-elle. Il s’agit de dire qu’on a besoin d’un profil déjà autonome sur le plan technique. Néanmoins, au-delà de quelques années, je ne pense pas que la durée d’expérience associée à une compétence soit un véritable indicateur de réussite », analyse-t-elle.

Et la science lui donne raison. En effet, une équipe de chercheurs de l’Université de Floride a examiné 81 études afin d’étudier le lien entre l’expérience professionnelle antérieure d’un collaborateur et sa performance dans une nouvelle organisation. Breaking news : ils n’ont trouvé aucune corrélation significative entre les deux.

Quand l’entreprise se prive de talents

Si un nombre d’années sur un poste similaire n’est pas un indicateur suffisamment prédictif d’une prise de poste réussie, il a aussi un effet repoussoir sur certains candidats. D’après une étude du professeur Jean Pralong de l’EM Normandie sur l’auto-élimination des candidats, l’estimation des chances de succès de la candidature est le premier facteur de la décision de postuler. Or, certains ont davantage tendance à sous-évaluer ce facteur : « C’est encore une réalité aujourd’hui : les femmes ou les minorités, par exemple, postulent moins car elles croient - sans doute à juste titre - avoir moins leurs chances que les autres », explique le psychologue et auteur Albert Moukheiber.

Oui, dans le climat économique actuel, la tentation de se focaliser sur le recrutement de candidats avec une expérience avérée sur un poste similaire est grande. Pourtant, Carole David alerte sur un autre travers de cette approche : « Est-ce que le fait d’avoir pratiqué le même métier dans une autre entreprise ne remet pas en question la capacité à s’adapter à un nouveau contexte, à de nouvelles manières de faire ? C’est un raccourci tout aussi courant utilisé pour écarter des profils qu’on jugerait “trop expérimentés”. On peut donc dire tout et son contraire si on se focalise sur le niveau d’expérience quantitatif. ». CQFD.
Lorsque les entreprises se retranchent derrière des exigences strictes, elles courent le péril de l’immobilisme, un état de déclin qui sape la vitalité et l’ingéniosité. En réalité, les candidats provenant de différents horizons apportent avec eux un réservoir d’idées fraîches et de pratiques novatrices, susceptibles de catalyser la transformation et la croissance. « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », dit le proverbe. Si l’ouverture à cette diversité de talents est aussi le point de départ d’une dynamique positive, quelles alternatives envisager pour trouver la perle rare… sans prendre le risque de rater son recrutement ?

Wanted : perle rare pour prise de poste immédiate

« Le recrutement consiste à trouver la bonne personne, pour le bon poste, au bon moment. Ce n’est donc pas toujours celle que l’on a sous la main, ni le copier-coller de celle qui vient de partir », soulève Carole David. Pour elle, il est intéressant de chercher le « dénominateur commun » des personnes qui performent dans un métier. Ainsi, la curiosité et la capacité à trouver des informations sont de vrais marqueurs du métier de recruteur, qu’il est possible de trouver en dehors des formations et des expériences dans les ressources humaines.

Par ailleurs, de nombreux candidats ont des « compétences transférables ou transversales », utiles à tout employeur, qui peuvent compenser un manque ou une absence d’expérience sur un poste similaire. De la communication à la maîtrise d’Excel, les hards et soft skills qui font le squelette d’un poste ne sont pas toujours spécifiques à un métier ou un secteur d’activité. Et ces compétences peuvent naître de diverses expériences, professionnelles ou bénévoles.
Aussi, quand le recrutement par aptitude n’est pas applicable, Carole David recommande de mettre en place des entretiens structurés, des études de cas ou des tests techniques qui permettent d’évaluer qualitativement les compétences à réaliser une mission. C’est ainsi que Murfy a récemment engagé un comptable fraîchement reconverti après une douzaine d’années dans la restauration : « On a mis en place un test technique qui nous a permis de nous affranchir du nombre d’années d’expérience dans la pratique de la comptabilité, et on a trouvé un profil qui avait de la maturité professionnelle nécessaire pour le poste, malgré une formation courte et une seule année de mise en pratique », illustre-t-elle.

Par ailleurs, l’experte insiste sur la nécessité de rédiger des annonces à la fois complètes et transparentes. « Pour moi, le premier réflexe, c’est de bien décrire le contexte et la situation dans laquelle la personne va être intégrée : est-ce qu’elle sera seule à exercer cette fonction dans l’entreprise ou bien aura-t-elle la possibilité de collaborer avec des pairs ou un manager du même métier, sur quelles technologies et avec quels outils va-t-elle travailler… ? », explique-t-elle. Une manière, d’après Carole David, d’inviter les candidats à s’auto-censurer (ou, à l’inverse, à postuler sans avoir l’expérience attendue) pour les bonnes raisons.

En fixant des prérequis rigides en matière d’expérience, les recruteurs prennent le risque de laisser échapper des candidats exceptionnels, capables d’apporter des compétences et des perspectives intéressantes, même sans l’expérience traditionnellement exigée. Il est donc temps d’élever le jeu en matière de recrutement, car les candidats recherchés sont déjà en train d’exceller ailleurs. « Il ne faut pas s’interdire de s’ouvrir à des profils qui ne cochent pas toutes les cases. Et pour cela, rien de tel que d’ajouter une mention à chaque offre d’emploi, invitant ceux qui pensent avoir quelque chose à apporter à postuler en argumentant leur candidature, même s’ils n’ont pas toutes les compétences ou l’expérience attendue », conclut-elle. Oui, le recrutement de demain se fera, aussi et surtout, sur le potentiel.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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