Auto-élimination : ces candidats qui ont tout pour plaire et n'osent pas postuler

08 mars 2023

7min

Auto-élimination : ces candidats qui ont tout pour plaire et n'osent pas postuler
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

contributeur.e.s

Nombreux sont les talents intéressés par vos offres d'emploi, qui ne franchissent pas le pas de postuler, persuadés de « ne pas remplir les cases ». Décryptage de ce phénomène largement sous-estimé avec nos experts Léo Bernard et Albert Moukheiber.

Parmi les causes inhérentes à un marché du recrutement en tension actuellement, une est assez peu mise en avant : l’auto-élimination des candidats. Près d’un candidat sur deux s’abstiendrait ainsi de soumettre une candidature, alors même que les annonces sont adaptées à leurs profils et qu’ils sont en recherche active. Quelles en sont les raisons et comment y remédier ?

Pourquoi un candidat… ne candidate pas ?

Les candidats seraient-ils plus exigeants qu’avant ? C’est ce que semblent penser certains. Mais Léo Bernard, formateur en recrutement et expert du Lab, tempère ce point de vue, trop largement répandu : « Ils assument simplement avoir des attentes et des besoins qu’ils n’osaient pas nécessairement revendiquer jusqu’ici », explique-t-il. Et aujourd’hui, dans beaucoup de secteurs, la pénurie des talents le leur permet. Pourtant, votre entreprise propose des horaires flexibles et un salaire attractif… alors pourquoi les candidats ne se bousculent-ils pas à votre porte ?

L’estimation des chances de succès : le critère n°1

Rangez les tickets-restaurants. D’après une récente étude du professeur Jean Pralong de l’EM Normandie, l’estimation des chances de succès de la candidature est le premier facteur de décision. Et ce, loin devant l’affinité avec le poste ou avec l’entreprise elle-même. Une surprise ? Pas pour le psychologue et auteur Albert Moukheiber : « L’explication est presque mécanique : on n’essaie pas des choses que l’on ne pense pas pouvoir réussir. Si un poste s’ouvre au PSG, il est peu probable qu’un joueur de ligue 2, même excellent, postule de lui-même », explique-t-il.

Et parce que les candidats ignorent tout du contexte de l’annonce et de leurs compétiteurs, ils utilisent un outil malheureusement peu fiable : le doigt mouillé, aussi appelé la « perception du fit ». Le problème ? Cette perception repose sur l’estimation d’une proximité entre les caractéristiques du poste et leurs propres caractéristiques. « Il y a les compétences réelles… et les croyances que j’ai sur moi-même. Et de multiples facteurs conduisent une personne à penser qu’elle est capable, ou pas, de réaliser certaines choses », ajoute Albert Moukheiber.

Ces vraies et fausses croyances que l’on a de soi

Origines sociales et culturelles, éducation, expériences de vie, exposition à certains métiers ou à des « role models »… autant de facteurs qui influencent cette perception de soi. Et pour le psychologue clinicien, deux facteurs sont particulièrement dominants quand il s’agit d’envoyer ou non un CV :

  • Les facteurs systémiques : « C’est encore une réalité aujourd’hui : les femmes ou les minorités, par exemple, postulent moins car elles croient - sans doute à juste titre - avoir moins leurs chances que les autres », illustre-t-il. À l’inverse, un homme même moins qualifié pour un poste a davantage tendance à se lancer dans une candidature.
  • Les croyances limitantes : de nombreux candidats s’auto-éliminent simplement parce qu’ils pensent ne pas avoir les compétences ou les soft-skills nécessaires pour répondre à une offre, et ce de manière subjective. « Et ces croyances limitantes peuvent prendre leur source dans des facteurs systémiques… Oui, c’est un cercle vicieux », ajoute-t-il. Outch.

Le coût psychologique d’une candidature

Une candidature, c’est un investissement en temps. Chacun sait qu’il est fortement recommandé de peaufiner et d’adapter son CV et son éventuelle lettre de motivation aux caractéristiques du poste. Mais ce n’est pas tout. C’est également un investissement psychologique. « Cela touche directement à l’estime de soi », continue Albert Moukheiber.

Un candidat qui estime qu’il a peu de chances de correspondre aux attentes des recruteurs peut chercher à s’éviter les émotions négatives engendrées par un potentiel refus. « Bien sûr, cela dépend avant tout de comment on justifie l’échec, de quelle histoire on se raconte derrière. Certains vont immédiatement se l’attribuer en doutant de leurs compétences, quand d’autres sont capables de se dire que les autres candidats étaient simplement meilleurs et qu’ils feront mieux la fois suivante », ajoute-t-il. Et cette posture face à l’échec, on vous le donne en mille : elle est, elle aussi, déterminée par des facteurs systémiques.

Anatomie d’une annonce qui fait fuir

Si « perception de fit » implique l’image de soi du candidat, celle-ci résonne face à l’annonce d’une offre d’emploi elle-même. « On oublie parfois que l’on ne recrute plus aujourd’hui comme on recrutait il y a 5, 10 ou 20 ans. J’observe que beaucoup d’annonces sont simplement rédigées par des personnes dont ce n’est pas le cœur de métier. Et même chez les recruteurs et recruteuses, certains ne sont pas suffisamment formés ou utilisent les mêmes templates depuis 20 ans », observe Léo Bernard.

Voici les détails, plus ou moins subtils, qui affaiblissent et compromettent cette perception pour le candidat :

  • L’absence d’informations de base : pas de fourchette salariale, de localisation du poste, d’indication sur le type de contrat ou sur la politique de télétravail… des informations de base qui, quand elles sont absentes, découragent plus d’un candidat à se lancer dans l’envoi d’un CV ou la rédaction d’une lettre de motivation. « Ce sont pourtant ce que j’appelle des “anti-critères” : ce n’est pas ce qui fera qu’un ou une candidate postulera, mais leur absence peut le ou la conduire à ne pas postuler. Par exemple, préciser les conditions de télétravail ne va pas être l’élément déclencheur pour postuler, mais ne pas le préciser sera l’élément déclencheur pour ne pas postuler ! Les dernières études en la matière montrent, par exemple, qu’une annonce à 80 % de clics en plus, et 30 % de conversion, quand elle indique le salaire lié au poste », indique Léo Bernard.

  • Des exigences trop spécifiques : quel étudiant sortant major d’un IAE postule à une annonce qui spécifie cibler des candidats avec un Bac + 5 et une école de commerce ? Aucun (ou presque). « Au-delà de l’image élitiste que l’on se donne, on élimine d’office des dizaines de candidats qui ne cochent pas cette case et auraient tout à fait les compétences adéquates », alerte encore l’expert en recrutement.

  • Une liste de compétences floues : de la même manière, les dernières analyses en la matière indiquent qu’un nombre d’années d’expérience ne prédisent que de 7 % la performance future des candidats. La fin des « 10 ans d’expérience attendue sur un poste similaire » ? « À l’inverse, il vaudrait mieux être plus spécifique et ouvrir la porte à des candidats avec moins d’expérience globale, mais des compétences suffisantes. Par exemple, en indiquant : “Nous recherchons un candidat qui a déjà géré une campagne marketing avec un budget de X milliers d’euros” ».

  • La dissymétrie d’attention entre ce que l’entreprise demande et ce qu’elle donne : « Quand un candidat voit une liste de 15 compétences et missions, et seulement 3-4 avantages offerts en échange, c’est normal qu’il se questionne. Il faut être cohérent entre ce que l’on demande et ce que l’on peut offrir en échange », rappelle le fondateur du bootcamp T-Shaped.

  • Les mots bullshits : vous les avez peut-être déjà écrits vous-même, avec beaucoup de sincérité : « entreprise en croissance », « esprit start-up », « équipe jeune et dynamique »… « Même si c’est vrai, il faut expliquer, dire comment cela se traduit concrètement. Sans quoi, les candidats sentent le bullshit RH à plein nez et passent leur chemin ! », observe enfin Léo.

Vos candidats cherchent-ils un emploi, de l’employabilité ou une carrière ?

Tous les candidats n’ont pas les mêmes attentes, et ne sont pas attentifs aux mêmes éléments à la lecture d’une annonce. « Les différents problèmes que nous venons de citer vont faire écho à des profils différents, en fonction de leur situation », explique Léo Bernard. D’après l’étude citée plus haut, ainsi qu’un article de Samuel Leduc, trois grandes stratégies se distinguent :

  • La recherche d’emploi : une personne peu qualifiée ou en recherche urgente s’intéresse avant tout aux conditions d’emploi, et est donc attentive à ces « anti-critères » comme la localisation ou le salaire.
  • La recherche d’employabilité : lorsque la « qualité » d’un parcours est « moyen », les candidats vont rechercher les indices qui leur permettent de savoir si les missions ou le poste qui vont leur permettre de développer leurs compétences à court terme… et donc l’attractivité de leur CV.
  • La recherche de carrière : lorsqu’une personne a la chance d’être attractive sur le marché de l’emploi et qu’elle le sait, elle serait davantage attirée par les informations qui laissent deviner les perspectives d’évolution, ainsi que l’affinité avec l’entreprise.

« Au-delà de l’estimation des chances de succès d’une candidature, moins l’annonce est claire sur les critères qui intéressent le profil visé, moins il est probable que le candidat fasse l’effort d’y postuler », résume Léo.

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Comment rédiger des annonces plus inclusives ?

En plus de la rédaction d’offres plus complètes qui troquent les buzzwords contre des informations claires et spécifiques, il existe d’autres manières d’augmenter le « fit perçu » dans la rédaction d’une annonce. Et elles permettent notamment d’attirer les profils qui ont le plus tendance à s’auto-éliminer du fait de ces « facteurs systémiques » : les femmes, les minorités… Léo Bernard nous partage ses « trucs », faciles et simples à mettre en place, pour inviter les candidats qualifiés pour un poste à postuler :

  • Inverser les titres féminins et masculins des annonces : Léo Bernard observe que le genre associé à un mot a un impact sur la perception d’adéquation d’une personne pour le poste. « En mettant simplement “Directrice ou Directeur Marketing”, je remarque que l’on augmente les chances d’attirer des candidatures féminines, sans réduire les candidatures masculines », dévoile-t-il.
  • Porter une attention à chaque mot : les mots ont un pouvoir. De la même manière, utiliser l’écriture inclusive ou l’écriture épicène - qui consiste à privilégier l’utilisation de formes neutres (« les personnes » ou « les talents ») lorsque le genre n’est pas important - va aider un plus large panel de personnes à candidater.
  • User et abuser des astérisques : si de plus en plus d’annonces se clôturent par la mention « Tous nos postes sont ouverts aux personnes porteuses d’un handicap », Léo Bernard estime que les entreprises peuvent aller encore plus loin. « J’ai vu des annonces qui demandent 3 à 5 ans d’expériences pour un poste, mais qui précisent que si le candidat a moins d’expérience mais pense correspondre au poste, il est invité à postuler et en discuter », partage-t-il. De la même manière, il recommande d’indiquer des mentions comme « Si vous ne cochez pas 100 % des critères mais que vous pensez être la personne qu’il nous faut, postulez et expliquez-nous pourquoi ! ».

Le « fit » entre le candidat et le poste est important, mais ne suffit pas. Non seulement les annonces doivent être plus complètes et claires dans leurs propositions, mais elles doivent aussi encourager cette « perception du fit ». Et donc, augmenter l’estimation des chances de succès et contrer la peur d’un espoir déçu pour le candidat. Serait-ce donc ça, le secret : être inclusif et savoir rassurer ? D’après nos experts, c’est en tout cas une approche à expérimenter.

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Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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