Valorisation de l'échec : « On gagnerait tous à sortir de cette fausse modestie »

Publié dans Psycho Boulot

13 déc. 2022

auteur.e
Albert MoukheiberExpert du Lab

Docteur en neurosciences, psychologue clinicien et auteur

PSYCHO BOULOT - Pourquoi procrastine-t-on parfois au travail alors qu’on est “sous l’eau” ? Pourquoi imagine-t-on toujours le pire au boulot comme dans la vie ? Pourquoi travaille-t-on 5 jours par semaine et pas 3, 4 ou 6 ? Ou encore, pourquoi a-t-on décidé que les weekends étaient une bonne idée ? Découvrez Psycho Boulo, la série qui vous offre un divan confortable où aborder les questions existentielles du monde du travail, et prendre (enfin) un coup d’avance sur votre cher cerveau grâce à notre expert du Lab Albert Moukheiber.

On vit une époque un peu particulière où l’échec semble être présenté comme quelque chose de positif, comme quelque chose de souhaitable, comme quelque chose de désirable. Mais je ne vais pas me lever, aller au boulot et me dire : « Aujourd’hui, je vais mal faire mon travail parce que dans mon entreprise, on a ce nouveau concept, qu’on voit énormément émerger : le droit à l’échec. » En vérité, pourquoi valoriser l’échec n’est pas TOUJOURS souhaitable ?

L’échec ou la réussite déguisée ?

Comment le biais du survivant nous fait voir uniquement le verre à moitié plein

Quand vous entendez des personnes vous parler de leurs échecs, vanter ces fois où elles ont raté, souvent, elles ne sont pas vraiment en train de parler de leurs échecs, mais davantage de leurs réussites. En gros, elles vont vous raconter comment elles ont échoué parce qu’au présent, elles sont des personnes qui ont réussi. Vous allez rarement avoir des interviews de personnalités qui vous disent : « En fait, j’ai échoué et l’histoire s’arrête là. »

Souvent, on va évoquer Steve Jobs qui s’est fait virer de sa boîte pour y revenir ensuite en conquérant, et créer l’iPod et l’iPhone. On va vous parler des entrepreneurs qui ont essayé de concevoir des projets de nombreuses fois depuis le garage de leurs parents, et qui sont maintenant à la tête de multinationales. On appelle ça le biais du survivant : le fait de compter uniquement les personnes qui ont réussi. Ce qu’on oublie de compter, en revanche, ce sont toutes les personnes qui sont encore dans le garage de leurs parents et qui n’en sont jamais sorties.

Comment l’internalité gomme tous les facteurs externes

Ce n’est pas vraiment une valorisation de l’échec qu’on est en train de faire quand on parle de cette place centrale de l’échec. On est en train de parler de la réussite, mais en s’habillant d’une sorte de modestie. Au lieu de dire : « Moi je suis le mec le plus top au monde et j’ai réussi. Je suis maintenant milliardaire. » Je vais dire : « Non, mais moi, en fait, ma route est un peu plus semée d’embûches. J’ai échoué une fois, j’ai échoué deux fois, mais j’avais la hargne de la réussite. »

On revient à cette sorte de mythe qu’on appelle l’internalité, selon lequel tout dépendrait de moi, alors qu’en réalité, la méritocratie est un peu aussi un mythe. Il y a plein de facteurs qui entrent en jeu, comme le hasard. Et donc tous les échecs ne se valent pas : si j’oublie d’envoyer un mail, ce n’est pas la même conséquence que si je fais une erreur si je suis chirurgien ou pilote d’avion.

Stop au dicktat de la valorisation de tous les échecs

Distinguer les “bons” des “mauvais” échecs

En réalité, on a besoin de situer l’échec dans un contexte.
Il y a :

  • d’un côté, les échecs qui sont prévus par design dans mon processus d’apprentissage : je suis en train de construire quelque chose et je vais itérer, je vais faire des prototypes. Par définition, un prototype, c’est quelque chose qui ne va pas fonctionner, qui va échouer. Je vais voir où est-ce que ça échoue pour l’améliorer et itérer jusqu’à arriver à mon produit final. Ces échecs sont acceptables. On sait que ça ne va pas marcher du premier coup parce que le sujet est complexe.
  • de l’autre, les échecs qui font mal, ceux qui ne sont pas prévus et pas souhaitables : si je fais une faute grave au travail, j’échoue, je me fais virer et je me retrouve sans boulot, ce n’est pas nécessairement une bonne chose. Ce serait une sorte de storytelling même toxique de se dire que je dois être content de m’être fait virer.

Apprendre à composer avec l’échec ET la réussite

Gérer nos échecs implique deux choses :

  • Identifier le type d’échec,
  • Arrêter de positiver tous nos échecs.

Parfois vous allez échouer et ça fait mal. Et on se sent comme de la merde et c’est normal. Aller mal est aussi un droit. Vous pouvez vous entourer de vos amis pour essayer de voir pourquoi vous avez échoué, tenter d’analyser, mais pas nécessairement. Ce n’est pas nécessaire de tout le temps trouver une sorte de raison, de justification. Parfois, on échoue et ça s’arrête là. Et ce n’est pas plus grave.

Au final, le revers de la médaille de l’échec, c’est la réussite. Parfois, on parle de l’échec pour mieux évoquer sa réussite. Mais est-ce que c’est une vision nécessaire ? Est-ce que parfois, je ne peux pas parler de ma réussite pour ce qu’elle est, c’est-à-dire avoir réussi à faire quelque chose pour lequel j’ai œuvré longtemps. Je pense qu’on gagnerait tous un peu à sortir de cette fausse modestie au final, qui fait qu’on va cacher nos réussites dans nos échecs.

Article édité par Soline Cuillère, photo par Thomas Decamps.

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