@Balance ton quoi ? Ceux qui ont balancé leur boîte témoignent

22 févr. 2021

7min

@Balance ton quoi ? Ceux qui ont balancé leur boîte témoignent
auteur.e
Mathieu Viviani

Journaliste indépendant

Licenciement sans motif, harcèlement moral, homophobie, management tyrannique : ces jeunes actives et actifs ont vécu l’enfer à l’occasion d’un stage, d’un premier CDI, d’un poste rêvé ou d’une reconversion professionnelle. Profondément marqué·e·s, voire traumatisé·e·s pour certain·e·s, ils/elles (1) ont décidé de témoigner anonymement sur Instagram via les comptes « Balance ta Startup », « Balance ton Agency » ou « Balance ton Boss ». L’occasion de ne pas garder cette histoire pour eux, d’aider d’autres victimes, d’alléger leur esprit parfois, mais surtout de dénoncer les dérives d’entreprises ou de managers, qui ont violé leur dignité au travail. Anonymement, pour Welcome to the Jungle, ils racontent.

« Un stage noirci par un management tyrannique fait de peur et d’humiliation »

Léa, ancienne stagiaire dans une start-up de bijoux, 27 ans

J’ai eu l’occasion d’exercer mon stage de fin d’études au sein d’une start-up française de bijoux. Ce fut une expérience à la fois enrichissante et très déstabilisante. Enrichissante pour les rencontres professionnelles et personnelles que cela m’a apportées, mais aussi pour l’expérience de vivre l‘hypercroissance d’une marque en pleine expansion.

Cependant, ce souvenir est noirci par un management tyrannique fait de peur et d’humiliation. En tant que stagiaire, j’étais là pour apprendre. Dès le départ, on m’a confié beaucoup de responsabilités, travaillant directement avec la créatrice de la structure. Jusqu’à ce que cette dernière se rende compte qu’il fallait me former sur certains sujets. Très vite, je me retrouve isolée et livrée à moi-même sans aucun encadrement. J’encaisse régulièrement des remarques désobligeantes de la part de ma boss et en présence de mes collègues. Je perds confiance en mon travail, me remets constamment en question et suis de plus en plus terrorisée par l’attitude toxique de ma N+1. Finalement, je suis partie peu avant la fin de mon stage, et ce malgré une promesse d’embauche

Durant ces six mois de stage, j’ai quand même eu le soutien de certains collègues, dont la plupart vivaient la même situation de leur côté. Mais dans cette jeune structure, il n’y a pas de service RH. Je suis partie avec la frustration de ne pas avoir alerté sur ce management malveillant. Mais à ce moment-là, je n’en avais pas la force de toute manière, et j’avais peur que cela nuise à ma carrière si je parlais ou que j’engageais une procédure judiciaire. Beaucoup de souffrances ont émergé et j’ai réalisé à quel point cette expérience de travail avait été traumatisante… J’ai mis un an pour retrouver le chemin de l’emploi.

Le 19 janvier 2021, une amie me partage une story du compte Instagram @BalanceTaStartup. J’y découvre des témoignages anonymes d’anciens collègues. Cela me soulage de voir que je ne suis pas seule à avoir été victime de ce management toxique, et que le problème ne vient pas de moi. Je décide à mon tour de partager un témoignage anonyme. Mon but est assez simple : que le public prenne conscience de l’envers du décor désastreux de cette start-up, à l’image attractive et qui cartonne économiquement. C’est un premier pas pour, je l’espère, faire stopper ces pratiques managériales scandaleuses et engager une prise de conscience générale sur les conséquences de ce genre de comportement.

« Je subissais des remarques lourdes, intrusives et déplacées sur mon homosexualité »

Marc, ancien chargé de communication digitale, 27 ans

2017 : je signe mon premier CDI dans une petite agence de communication digitale. Je suis enthousiaste à l’idée de rejoindre un univers créatif dans lequel je peux m’épanouir. Le contexte de travail est assez difficile : une charge importante, des horaires à rallonge, un salaire peu attractif et pas beaucoup de reconnaissance du management. Mais à la limite, je m’y attendais un peu, c’est gérable. Ce qui l’est moins, ce sont les remarques lourdes, intrusives et déplacées sur mon homosexualité de la part d’un co-fondateur de l’agence. À longueur de semaine, je reçois des remarques du style : « Alors, qui fait l’homme, qui fait la femme dans ton couple ? / Est-ce que tu es libertin ? / S’il-te-plaît, ne flash pas sur moi ! / Allez avoue, on sait ce que tu vas faire entre midi et deux ! »

Au début, je laisse passer car il s’agit de mon supérieur hiérarchique et que j’ai peur des représailles. D’autant plus qu’il a un caractère assez dur et autoritaire. Mais vu que je ne mets pas de limites, les choses s’aggravent au fil des mois et je perds pied jusqu’à prendre des anxiolytiques. Mon compagnon m’encourage finalement à me faire arrêter par mon médecin, ce que je fais. Je m’effondre en larmes pendant mon rendez-vous médical. Une semaine après, je reviens au travail et pose ma démission. En aparté, mon chef harceleur me convoque et me tient un discours culpabilisant en me disant grosso modo que ma démission est synonyme de faiblesse. Après un an de contrat, je quitte l’agence, épuisé et fragilisé psychologiquement…

Mon témoignage sur le compte Instagram @BalancetonAgency est avant tout une manière d’être solidaire vis à vis des personnes qui subissent ce genre de comportement. J’ai l’espoir que cela les aidera à mettre des mots sur ce qui leur arrive et à trouver la force de s’en sortir. Je veux leur montrer qu’après avoir touché le fond, il est possible de remonter la pente et de trouver un équilibre vie pro-vie perso. Aussi, témoigner me permet de laisser une trace écrite de ce que j’ai vécu et de récolter l’avis de personnes en dehors de mon cercle proche, peut-être plus objectif. Grâce à elles, j’ai pris conscience que j’ai effectivement été victime d’un harcèlement à caractère homophobe et qu’il n’y avait pas lieu de minimiser.

« On a tenté de me licencier pour une faute grave que je n’ai jamais commise »

Julia, ancienne conductrice de bus dans un grand groupe de transport, 35 ans

Après une réorientation professionnelle, je suis devenue conductrice de bus en 2018. Tout se passe pour le mieux jusqu’au 21 décembre 2018, où je reçois un recommandé m’annonçant mon licenciement… sans qu’aucun motif ne soit mentionné. Quelques jours avant la réception de ce courrier, j’avais annoncé à mon manager que j’étais enceinte de jumeaux et que mon médecin me mettait en arrêt maladie car mon poste n’était pas compatible avec une grossesse. Lors de cette annonce, mon manager s’était montré rassurant, m’encourageant à me mettre au repos…

Mais lorsque je l’appelle pour lui demander des explications sur ce licenciement, son attitude change radicalement : il me dit que c’est comme ça, puis réfléchit et m’annonce… que j’ai renversé un cycliste lors d’un service ! Abasourdie, je lui demande des preuves de ce qu’il avance mais il ne m’en donne aucune, prétextant que l’enquête est en cours. L’entreprise n’en a toujours pas fourni à ce jour. Un membre de ma famille qui est juriste, me fait comprendre qu’on tente de me licencier en m’accusant d’une faute grave que je n’ai jamais commise et que je suis discriminée parce que je suis enceinte. Choquée, déprimée, angoissée à n’en plus dormir la nuit, les semaines suivantes sont un véritable calvaire. Mais le point culminant de ma souffrance sera le décès de mes jumeaux à cinq mois de grossesse… Selon les médecins, le stress extrême est une des causes potentielles de ce drame. C’est la pire épreuve de ma vie en tant qu’être humain… J’ai été en partie détruite par celle-ci et je lutte contre la dépression depuis.

Déterminée à vaincre cette terrible injustice, je me suis engagée dans la bataille contre mon ex-employeur par la voie judiciaire - toujours en cours -, sur le front médiatique en témoignant dans différents médias et sur les réseaux sociaux via le compte @BalancetonBoss. Mon premier but est d’interpeller l’opinion sur les dérives d’un grand groupe qui communique beaucoup sur son exemplarité en matière de lutte contre la discrimination. Malheureusement, je ne suis pas la seule victime. Suite à mon témoignage, de nombreux collègues m’ont contactée pour m’apporter leur soutien ou m’expliquer qu’ils avaient vécu des agissements de même nature… Je suis aussi devenue une sorte de porte-voix pour de nombreuses mamans victimes des mêmes dérives. Grâce à cette démarche, je peux leur apporter mon soutien. De mon côté, ça m’aide à surmonter ma souffrance qui je le sais, ne s’arrêtera pas tant que ma procédure est en cours. J’espère également que cette médiatisation déclenchera un audit interne des méthodes de cet employeur.

« Témoigner, c’est un acte de dénonciation tout autant que de solidarité »

Charlie, ancien manager dans un grand groupe de conseil en stratégie digitale, 34 ans

En 2017, je décroche le job de mes rêves : un poste de manager au sein d’un grand groupe de consulting en stratégie digitale. Très consciencieux, je fais une demande de formation en management dès ma prise de poste, qui restera lettre morte. Durant les premiers mois, je fais de mon mieux pour créer la cohésion avec mon équipe. Jusqu’à ma première difficulté : un de mes managés, plus ancien que moi dans l’entreprise, fournit un travail de plus en plus irrégulier et fait preuve d’une certaine fronde à mon égard. J’essaye de sonder ce qu’il se passe avec ouverture et empathie. En vain… J’en parle à mon N+1, celui-ci me dit de laisser courir. Mais notre client finit par se plaindre du travail de ce collaborateur, ce qui motive une réunion avec ce membre de mon équipe et mon N+1. Cela se passe très mal… Je m’en prends plein la figure et suis identifié comme le fautif. Mon collègue m’enfonce et mon N+1 le soutient, remettant en cause mon attitude et mon travail.

C’est un moment extrêmement déroutant… Le début de mon cauchemar. Tout mon travail sera désormais « fliqué » par mon N+1, qui me met une pression constante. Après deux arrêts maladie, mon chef m’annonce texto que je suis « mis au placard ». Je n’ai plus d’équipe à gérer et suis assigné à des tâches sous-qualifiées. Mes rendez-vous avec mon DRH n’aboutissent à aucun soutien mais à davantage de reproches et de pression de la part de mon N+1. La médecine du travail compatit mais ne peut pas faire grand chose. Quant aux syndicats, ils ne peuvent pas agir directement et me conseillent de consigner mes échanges avec mon manager par mail. Sous anxiolytique, dépité, isolé, je demande une rupture conventionnelle qui m’est sèchement refusée, accentuant davantage mon désarroi. À la question « Vous me poussez à bout, vous voulez que je saute par la fenêtre ? » Ma direction me répond « tant que ce n’est pas une rupture »… Heureusement, j’ai le soutien, crucial, de mon épouse et de ma famille. Je finis par contacter une avocate grâce à laquelle j’obtiens ma rupture conventionnelle. Je sors enfin de cet enfer, profondément marqué…

J’ai découvert le compte Instagram @BalanceTonAgency grâce à des anciens collègues. Y partager mon témoignage est comme une suite logique. Après avoir souffert de cette histoire, je voulais la partager plus largement. Je pense que ça a libéré quelque chose en moi. Mon premier but est d’aider les gens à prendre conscience des dérives d’un grand groupe qui se targue d’être attractif et soucieux de ses collaborateurs. Je le fais aussi dans l’espoir que les entreprises changent de comportement et misent sur l’humain. J’espère également pouvoir encourager les personnes très isolées à se libérer de la tourmente du harcèlement. En fait pour moi, témoigner, c’est un acte de dénonciation tout autant que de solidarité pour les autres victimes.

(1) Les prénoms ont été modifiés

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Photo d’illustration by WTTJ

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