Indépendants : « face à la crise, j'ai dû troquer mon activité contre une autre»

01 avr. 2020

5min

Indépendants : « face à la crise, j'ai dû troquer mon activité contre une autre»

Philippe Barbosa est photographe vidéaste indépendant depuis 12 ans. Face à la propagation du coronavirus, toutes ses missions ont été annulées, du jour au lendemain. Et il est loin d’être le seul dans ce cas. Parmi les secteurs d’activité les plus touchés, ceux de l’événementiel et du service, au sein desquels sont habituellement sollicités nombre de freelances. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux ne peuvent plus travailler. En effet, alors que le gouvernement promet des aides pour les entreprises et les commerces, la situation est plus problématique pour ces travailleurs indépendants, certains se retrouvant même contraints de trouver une activité alternative pour s’assurer des revenus.

Après l’annonce du confinement par Emmanuel Macron le 16 mars, Philippe a donc rangé ses caméras pour se concentrer sur un tout autre métier, celui de développeur web, qu’il connaît pour l’avoir exercé. Il nous a raconté comment cette crise sanitaire l’a amené à opérer un changement inédit dans l’exercice de ses missions et les difficultés auxquelles ce revirement de situation l’ont confronté. Témoignage.

Nouveau contexte, nouvelle casquette

« Mon matériel photo étant à l’arrêt forcé pour une durée indéterminée, je profite pour rappeler que je propose aussi à mes clients des services de développement web » peut-on lire sur la page LinkedIn de Philippe à l’heure actuelle. On comprend assez vite quand il nous explique son parcours : « J’ai une formation de photographe mais je me suis reconverti il y a quelques années en développeur web. C’est lorsque j’ai été développeur salarié que mon business photo a commencé, j’ai alors décidé de me lancer en indépendant. » En tant que freelance, il commence sa carrière en alternant entre ses deux univers de prédilection : la photographie, dans lequel il se spécialise en événementiel et en communication d’entreprise, et le web. Il code la journée et, dès 18 heures, part couvrir un événement corporate, un gala, une remise de prix, une conférence… Ce slasheur assumé partage alors son portefeuille clients et son temps entre l’intégration web et les shootings.

Mais plus les années passent, plus ses activités liées à la photo prennent le dessus. Il précise : « Depuis le mois de septembre, je ne fais que de la photo, je suis complètement sorti du réseau web. » D’où son désarroi lorsque, début mars, les shootings prévus pour le mois commencent à être annulés, les uns à la suite des autres. Des événements qui, en majorité ne seront pas reportés. Cela représente une dizaine d’annulations pour le seul mois de mars, son dernier shooting ayant eu lieu le 4, in extremis… « Je suis indépendant et dans l’événementiel. Le statut et le secteur les plus en galère dans cette crise. » constate, Philippe, amer.

La prospection à l’heure d’un confinement, une épreuve à part entière

Philippe se rassure, il a la chance d’avoir cette autre expertise technique et digitale à son actif : le web. Sans cela, il n’aurait pas su comment continuer à gagner sa vie. Mais créer un réseau en période de crise n’est pas une mince affaire et les missions tardent à se concrétiser. On sent son appréhension au bout du fil. Comment créer une clientèle et signer des contrats dans des délais si restreints, lorsque toutes les entreprises ne semblent pouvoir maîtriser l’ampleur des répercussions économiques sur leur activité ? « J’ai commencé par réactiver mon réseau. Je retourne dans l’historique de mes mails, j’envoie des messages et je relance certaines pistes inabouties datant de l’été dernier. Mais pour le moment, ça ne mord pas » nous confie-t-il. Difficile également de mener à bien sa prospection avec les enfants dont il faut à tout prix s’occuper. Une situation qui le rend perplexe. « Concrètement, là, je suis à la maison, je ne travaille pas, je m’occupe de mes deux enfants pendant que leur mère télétravaille chez elle. »

Pour mettre toutes les chances de son côté, il veut établir une stratégie de communication réfléchie. Mais il a eu peu de temps pour la mettre en place : il commence tout juste à publier des posts sur LinkedIn et à envoyer des mails à ses contacts et prospects dans lequels il détaille ses offres et compétences. « J’ai une base de prospects à qui j’envoie une newsletter tous les deux mois. Je pense que je vais passer à une newsletter par semaine pour relancer la machine. Loin de moi l’envie de spamer, mais c’est l’une des solutions les plus prometteuses », affirme-t-il. Mais Philippe compte également sur les plateformes de freelance comme Malt pour trouver de nouveaux clients.

Comment se garantir un gagne-pain à l’heure d’une crise totale, où bon nombre de clients sont frileux d’investir ? Philippe a l’espoir que les entreprises profitent de cette pause dans leur activité pour optimiser leur site internet. « C’est peut être le moment en cette période de rafraîchir votre site afin de mieux rebondir pour l’après ! » écrit-il sur sa page Linkedin. Il espère recevoir des réponses positives dans les prochains jours. Mais en attendant, il s’inquiète pour ses rentrées d’argent, et plus globalement pour son avenir…

Le statut freelance : je t’aime moi non plus

Le gouvernement a mis en place quelques mesures pour aider les freelances dans cette période de crise mais aucune ne semble véritablement satisfaisante. Philippe se tient régulièrement au courant des aides, mais le report de paiements de cotisations sociales et de certaines taxes et d’impôts (CFE, prélèvement à la source) ne suffit pas pour pallier le manque de ressources financières. Quant à l’indemnisation mensuelle de 1 500€, elle semble poser des conditions trop spécifiques : il faut justifier de 70% de perte de chiffre d’affaire en mars 2020 par rapport à mars 2019 ou avoir fait l’objet d’une fermeture administrative. « Bien sûr, c’est mieux que rien, mais la réalité est telle que dans deux mois, je n’ai plus de trésorerie » déplore Philippe. Comment vont faire tous les indépendants sans emploi pour payer toutes leurs charges fixes, leur loyer, assurances et emprunts ?

Philippe peut sans doute compter sur le nouveau syndicat Independants.co pour faire valoir ses droits et porter sa voix. Lancé fin février, Independants.co milite pour l’autonomie des indépendants sans qu’ils aient à renoncer à leur sécurité. « Les risques auxquels nous sommes confrontés vont croissant : précarisation, instabilité des revenus, difficulté d’accès au crédit bancaire, au logement, faible assurance chômage… Nous ne pouvons pas nous résigner à cette situation. Nous souhaitons nous mobiliser et dessiner collectivement les contours d’une société qui respecte et protège les travailleurs indépendants. » peut-on lire dans leur tribune. Et pour rendre compte de la réalité de la situation des indépendants et mesurer à quel point ces derniers vont être touchés, un questionnaire a été lancé. Pour Philippe,l’insécurité des indépendants s’incarne aussi dans des revenus trop bas. « Je vois plein d’indépendants qui n’arrivent pas à vendre leurs prestations à leur juste prix, parce que d’autres indépendants, qui ne savent pas se vendre, nivellent les prix vers le bas. »

Malgré ces quelques mesures, Philippe « galère ». ll n’est pas bon d’être indépendant en ces temps de crise. Cette dernière ne fait qu’exacerber des difficultés auxquels ces travailleurs devaient déjà faire face avant le confinement. Philippe en va même jusqu’à douter ; il n’est plus certain de vouloir continuer à exercer ses activités en tant que freelance. Cette crise pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. « Si ça ne reprend pas, je me mets à la recherche d’un CDI pour 2020. Être freelance, c’est trop d’insécurité à gérer. » Il espère cependant ne pas tirer un trait définitif sur l’événementiel. « Les shootings sont de parfaites occasions pour aller à la rencontre d’inconnus et découvrir des nouveaux lieux et de beaux espaces. D’autant plus que les gens adorent se faire photographier ! » nous confie-t-il tout en sachant qu’il doit aujourd’hui se concentrer sur le développement web, qu’il chérit aussi.

Philippe a tout de même envie de croire au happy end. Il reste enthousiaste et plein d’espoir : « Peut-être que je vais pouvoir rattraper mon retard une fois que le virus sera passé. Les gens voudront sortir, faire la fête, les entreprises organiseront des événements rassembleurs. J’espère que nous mettrons davantage l’humain au centre de nos vies. Auquel cas, j’ai ma chance, la photo sera un bon créneau, un parfait témoignage d’une renaissance. » Et nous nous surprenons à rêver des prochains rassemblements…

Suivez Welcome to the Jungle sur Facebook pour recevoir chaque jour nos meilleurs articles dans votre timeline !

Photo by WTTJ

Les thématiques abordées
Vous êtes à la recherche d’une nouvelle opportunité ?

Plus de 200 000 candidats ont trouvé un emploi sur Welcome to the Jungle.

Explorer les jobs