Work in Progress en BD : « Futur du travail et du loisir sont intimement liés »

16 mai 2022

6min

Work in Progress en BD : « Futur du travail et du loisir sont intimement liés »
auteur.e
Etienne Brichet

Journaliste Modern Work @ Welcome to the Jungle

Animé par les réflexions et questionnements qui entourent le futur du travail, Samuel Durand, auteur, consultant et expert du LAB Welcome, a voulu transposer son documentaire Work in Progress (2021) en bande dessinée. Dans Work in Progress. Et si on travaillait autrement ? (2022, Ed. Eyrolles), Sam, une jeune diplômée, a des doutes sur son avenir professionnel et part en expédition à la découverte des nouvelles façons de travailler. Entre digital nomadisme, freelancing et nouveau métier de créatrice de contenu, les pérégrinations de Sam sont l’occasion de dresser une fresque du futur du travail…

Pourquoi avoir voulu adapter ton documentaire, Work in Progress, en bande-dessinée ?

Les éditions Eyrolles m’ont approché pour écrire un livre et au même moment je venais de sortir WIP, qui était donc mon premier documentaire. Le choix de la BD s’est imposé parce que je voulais avoir une approche plus pédagogique, ludique et romancée. J’ai eu envie de raconter plus librement et plus fidèlement ma vision du travail par rapport au documentaire. J’ai aussi voulu toucher un public plus jeune qui, dès la fin du collège et le début du lycée, doit se poser la question de son avenir. Moi, j’ai découvert qu’on pouvait s’éclater dans son job et que le travail ce n’était pas forcément s’habiller en costume et aller dans une grande tour cinq jours sur sept, donc je voulais leur partager ça.

Au cours de ton voyage pour ce premier documentaire, tu as étudié les nouvelles méthodes de travail dans différents pays. Quel a été ton principal choc culturel et quelles critiques du système français peux-tu faire ?

Je n’ai pas eu de choc culturel par rapport aux pays. En revanche, j’ai eu des chocs avec des entreprises. J’en ai rencontré qui n’ont pas ou peu de bureaux et qui fonctionnent quand même avec des milliers de salariés. J’imaginais qu’une boîte en full remote pouvait marcher avec quinze, cinquante, cent salariés mais pas avec mille ou deux mille salariés. Pour ces entreprises, il y avait une vraie culture du travail à distance et ils avaient quand même des temps forts où ils se voyaient entre eux. Ce ne sera sûrement jamais le cas pour de grands groupes français. Et c’est regrettable car ce modèle asynchrone en entreprise (le fait de ne pas travailler aux mêmes horaires et rythmes, ndlr.) est surpuissant dans le sens où ça laisse aux travailleurs la possibilité de choisir les moments synchrones qu’ils vont avoir, au lieu de les subir. L’asynchrone permet d’avancer à son rythme.

En ce qui concerne la France, en ce moment on impose un format hybride qui ne convient à personne. On reste dans la logique de présentéisme qui existait auparavant. C’est une logique de contrôle de rythme de travail à distance qui n’est pas saine. La vraie force du télétravail, ce n’est pas de travailler à distance, c’est d’être asynchrone avec la liberté et la confiance qui vont avec. En France, on n’arrive pas à avoir cette culture du vrai hybride où on laisse chacun décider.

En parlant de “décider”, le personnage de ta BD, Sam, ne sait pas trop quoi faire de sa vie et de sa carrière… À ton avis, faut-il continuer à demander aux enfants ce qu’ils veulent faire plus tard, quand de jeunes adultes comme Sam sont encore paumés ?

Ce questionnement doit arriver le plus tôt possible, pas tellement pour y trouver une réponse mais juste pour découvrir ce qui existe. Faire venir les entreprises dans les écoles c’est sain pour montrer aux jeunes ce qui est possible. Ça reste intéressant de rencontrer dès le plus jeune âge plein de métiers, même si dans une majorité de cas on ne trouve pas de vocation immédiatement. Il ne faut pas attendre des jeunes qu’ils choisissent leur métier dès douze ans.

Quand on leur demande, les jeunes sont nombreux à répondre qu’ils·elles souhaitent devenir influenceur·euse·s et/ou vidéastes, ce que Sam envisage à un moment. N’y a-t-il pas là une forme d’hypocrisie à leur demander ce qu’ils·elles veulent faire pour ensuite leur dire que leur choix n’est pas sérieux ?

Ce n’est pas un choix de vie conventionnel, c’est nouveau et c’est encore très mal compris. J’avais envie de faire un chapitre sur ce sujet dans la BD parce qu’il y a une mauvaise compréhension de ces métiers. Mon message c’est qu’il faut aller défricher et créer tout en n’ayant pas cette ambition de professionnalisation au départ. On peut juste avoir envie de créer une communauté, de s’amuser, de partager ses intérêts, etc. Peut-être que ça fonctionnera et que ça deviendra une source de revenus. Peut-être que ce sera juste un projet passion à côté d’autre chose, et tant mieux. Comme c’est peu conventionnel, il n’y a pas de garanties de succès.

Dans ce que tu dis, on comprend qu’un projet passion n’est pas forcément ce qui permet d’avoir des revenus, surtout avec le facteur chance. Plus largement, la voie du travail passion est-elle impossible à atteindre de nos jours ?

Je pense que la voie du métier passion est impossible dans le sens où on est très peu à travailler de notre passion. Je trouve que le terme de passion est un peu dangereux et je lui préfère le terme d’économie des créateurs. Cependant, je pense qu’il y a la place de trouver un job qu’on aime et qu’on ne va pas subir. L’idée de cette BD c’est aussi de prendre conscience qu’il n’y a pas qu’une seule voie, c’est-à-dire la voie classique dans laquelle tout le monde s’engouffre et qui est assez confortable, mais qu’il y en a des milliers et qu’il faut aller chercher quelque chose qui nous correspond.

Dans la BD, Sam découvre des nouvelles façons de travailler dont le digital nomadisme lors de ses vacances à Bali. Être un·e digital nomade permet de faire de nombreuses découvertes culturelles. Cependant, le poids de la solitude et le fait de ne pas avoir de point d’attache ne rendent-ils pas ce mode vie difficile ?

Oui clairement, on soulève ce problème de solitude. Je pense qu’on est tous plus ou moins fait pour le nomadisme, mais sur un laps de temps assez court. Ce n’est pas quelque chose qui se fait à vie, c’est une parenthèse qui dure parfois quelques mois, souvent quelques années. Il ne faut pas voir ça comme un choix de vie qui serait réservé à certaines personnes. On bénéficierait tous du nomadisme mais pas avec des voyages réguliers en avion parce que cela soulève le problème de la viabilité du modèle. On pourrait être nomades sur des zones géographiques plus réduites.

Tu parles de viabilité du modèle, mais au fond les critiques sur le digital nomadisme sont nombreuses. Cela crée des déséquilibres entre les arrivants et les populations locales et c’est un mode de travail encore considéré comme très polluant. Ne faut-il pas inciter les travailleurs·euses à se diriger vers des pratiques plus vertueuses ?

Il y a très clairement un déséquilibre parce que les digital nomades sont des populations qui vivent entre elles, ne s’ouvrent pas tellement à la vie locale et ont un pouvoir d’achat bien supérieur aux locaux. Au-delà du nomadisme, c’est aussi un malheur que vivent déjà la plupart des villes avec le tourisme. On sait que Venise s’est vidée des touristes et maintenant la ville veut attirer les digital nomades alors qu’il n’y a plus qu’un tiers des logements qui sont occupés par les habitants. Cependant, l’image du nomade qui a les pieds dans le sable à Bali, qui va à Mexico le lendemain et qui retourne en Europe deux semaines plus tard est assez erronée. Il existe des modèles de nomadismes viables avec des voyages sur des modes doux. Je prends le train et je me balade dans toute l’Europe, toujours dans des cercles restreints. Beaucoup de nomades ont décidé de délaisser leur voiture pour être en plus en accord avec la nature. Nomadisme et viabilité sont compatibles.

Sam exprime son envie de s’éloigner du salariat, préférant la liberté permise par le modèle du freelancing. Si cela permet plus d’indépendance, est-ce que cela signifie aussi être en sécurité en termes de droits du travail et de salaire ?

Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas sur le plan du salaire mais il y a des pertes du point de vue social parce qu’il n’y a plus de droits de chômage et il n’y a pas les mêmes cotisations pour la retraite. On y perd en sécurité et l’indépendance n’est pas faite pour tout le monde dans le sens où on a un système de société fondé sur le salariat. Si quelqu’un cherche la sécurité dans un travail, il ne la trouvera pas en étant indépendant. Heureusement, il y a un écosystème, avec des banques, des assurances et des mutuelles qui recréent partiellement cette sécurité. C’est plus facile d’être indépendant en 2022 mais c’est un choix de vie où l’on sait que l’on perd en sécurité.

À travers ta BD, on comprend qu’il existe des solutions pour travailler moins et mieux. N’y a-t-il pas une envie pour les travailleur·euse·s d’avoir davantage de temps libre ? En pensant le futur du travail, comment imagines-tu le futur du temps libre ?

Plus que du temps libre, c’est du temps choisi. Pour moi, le futur du travail et le futur du loisir sont intimement liés dans le sens où poser la question de la vie pro et perso, c’est aussi se demander si on peut passer des moments professionnels avec des gens qui sont nos amis. Est-ce qu’on peut développer de vraies relations amicales avec des gens avec lesquels on a des relations de travail, et même de subordination ? Pour moi oui, on doit pouvoir tout mélanger à ce niveau là. À partir du moment où l’on ne fait pas un travail qui est subi, on a envie de tout mélanger. Le futur du loisir est dans le fait de mieux aimer son travail.

Article édité par Clémence Lesacq
Photos par Thomas Decamps pour WTTJ

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