Heuristique d'affect : l'ennemie du recrutement
14 sept. 2020
3min
NOUS SOMMES TOUS BIAISES - C’est un fait : nous sommes tou·te·s victimes des biais cognitifs. Vous savez ces raccourcis de pensée de notre cerveau, faussement logiques, qui nous induisent en erreur dans nos décisions quotidiennes, et notamment au travail. Dans cette série, notre experte du Lab Laetitia Vitaud identifie les biais à l’oeuvre afin de mieux comprendre comment ils affectent votre manière de travailler, recruter, manager… et vous livre ses précieux conseils pour y remédier.
Explication
En psychologie, une heuristique de jugement, c’est une opération mentale rapide et intuitive — le mot vient du grec ancien eurisko (« je trouve »). Quand nous sommes pressés par le temps, peu motivés ou fatigués, nous nous reposons davantage sur notre mode de pensée rapide et instinctif. L’heuristique d’affect, c’est le raccourci mental qui nous permet de prendre des décisions et de résoudre des problèmes en utilisant nos émotions. Par exemple, si avant de prendre une décision de recrutement, vous voyez une photo d’un.e candidat.e avec un large sourire, la petite “émotion” provoquée aura une influence sur votre décision.
C’est un processus inconscient qui se produit à de nombreux moments de la journée. La plupart du temps, cela n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose ! Il ne nous serait pas possible de passer par des réflexions lentes pour chaque décision qui doit être prise dans la journée. C’est ce qu’expliquait très bien Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie, dans son livreSystème 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée (Thinking, Fast and Slow, 2011) : le « Système 1 » est rapide, instinctif et émotionnel, tandis que le « Système 2 » est plus lent, réfléchi, contrôlé et logique.
L’heuristique d’affect fait l’objet de nombreux travaux depuis les années 1980, lorsque le psychologue américain Robert Zajonc a montré que les réactions affectives à des stimuli influencent la manière dont nous traitons l’information. Dans les années 2000, d’autres chercheurs / chercheuses se sont intéressé.e.s au lien entre l’heuristique d’affect et la perception du risque et ont montré que quand quelque chose nous est plaisant, nous minimisons le risque qui y est associé (par exemple, nous ne pensons plus aux risques de contamination quand il s’agit de partir en vacances).
Conséquences pour les ressources humaines
S’il est « naturel » de prendre des décisions avec ses émotions, c’est en revanche une mauvaise idée de les laisser prendre le dessus pour ce qui concerne les décisions de ressources humaines, notamment de recrutement. L’heuristique d’affect est l’ennemie du recruteur / de la recruteuse qui voudrait éliminer les biais cognitifs du processus de recrutement.
Les décisions de recrutement prises en fonction de l’état d’esprit du moment sont biaisées par des événements qui n’ont pas grand-chose à voir avec les qualités du candidat / de la candidate. Si vous vous êtes disputé.e avec votre conjoint.e le matin d’un entretien, votre colère va rejaillir sur le / la candidat.e. Si il / elle a, par exemple, le malheur de ressembler à votre conjoint.e, sa candidature pourrait en faire les frais !
Il est donc essentiel d’adopter des stratégies et des processus pour reposer uniquement sur le « Système 2 » quand il s’agit de décisions de recrutement ou de management. C’est ce qu’expliquent Liz Fosslien et Mollie West Duffy dans leur livre Le guide détendu des émotions au travail : « Vous ne devez jamais vous fier à votre instinct pour recruter ». « Si vous faites confiance à vos émotions pour prendre la décision d’embaucher quelqu’un ou non, vous finissez par engager des personnes avec qui vous vous sentez bien. » Mais ce que l’on ressent quand on parle avec quelqu’un n’a pas grand-chose à voir avec les capacités de cette personne pour le poste concerné. Nous sommes trop biaisé.e.s pour baser nos décisions de recrutement sur nos émotions. Le plus important est donc d’essayer d’empêcher nos préjugés d’influencer nos décisions.
Comment y remédier ?
Quand il s’agit de prendre une décision professionnelle, toutes les émotions n’ont pas la même valeur. Il ne s’agit pas de ne rien ressentir, mais d’apprendre à distinguer les émotions « pertinentes » de celles qui sont « hors sujet ». La dispute que vous avez eue le matin de l’entretien engendre des émotions « hors sujet » qui ne doivent pas prendre le dessus. En revanche, l’inquiétude que vous inspire la remarque d’un.e candidat.e à propos d’un sujet lié au travail peut être « pertinente ». Les émotions sont des signaux qu’il s’agit d’apprendre à mieux interpréter.
Apprenez à séparer le bon grain de l’ivraie en matière d’émotions, à distinguer clairement entre les émotions pertinentes des émotions hors sujet. Si vous êtes en colère parce qu’il est vous est arrivé quelque chose qui n’a rien à voir avec l’entretien d’embauche, ne prenez pas de décision. Il est prudent d’attendre avant de prendre une décision, ou de s’en remettre à un.e collègue. Il peut être bon aussi de pratiquer une activité physique pour se changer les idées.
Structurez et standardisez vos entretiens, et gardez une trace écrite objectivable. L’entretien non-structuré est une conversation libre dont l’évaluation repose surtout sur des impressions subjectives. En revanche, un entretien structuré requiert une longue préparation (liste de questions et grille d’évaluation) qui permettra de mieux évaluer les candidat.e.s par la suite.
Inspirez-vous davantage sur : Laetitia Vitaud
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