Vous pensez au taf à la maison et vice versa ?... Dédramatisez !

21 nov. 2022

4min

Vous pensez au taf à la maison et vice versa ?... Dédramatisez !
auteur.e
Sandra Fillaudeau Expert du Lab

Coach, consultante et formatrice spécialiste de l’équilibre de vie pro/perso

TRIBUNE - Vie pro, vie perso, équilibre, frontières à placer ou à effacer… Comment fait-on en tant qu’individu ou entreprise, pour garantir le bonheur et la réalisation de soi, au travail comme à la maison ? C’est le questionnement perpétuel de notre experte du Lab, Sandra Fillaudeau, créatrice du podcast Les Équilibristes et de la plateforme de conseil pour entreprises “Conscious Cultures”. Chaque mois, pour Welcome to the Jungle, elle nous livre son regard juste et mesuré sur un épisode de nos vies de travailleurs.

Imaginez la scène : on est vendredi soir, vous êtes tranquillement installé·e autour d’un verre avec des ami·es, vous attendiez ce moment depuis ce matin, quand vous avez eu l’envie soudaine d’organiser cette soirée. Vous vous en êtes réjoui·e toute la journée. Et là – boum – elle fait irruption. Je ne parle pas de la voisine, ni d’une comète, mais d’une pensée liée au boulot. Quelque chose que vous avez oublié de faire, et qu’il vous faudra absolument boucler à la première heure lundi matin. Et cette pensée soudaine, ça vous agace. Vous étiez pourtant bien, là. Pourquoi faut-il que ce type de pensées vous parasite même en dehors des heures de travail ?

La scène vous parle ? Vous n’êtes pas seul·e ! C’est une des problématiques que j’entends le plus souvent chez mes auditeurs·trices aussi bien que chez mes client·es. Et il se pourrait bien que changer votre angle d’attaque de ce “problème” vous aide à le résoudre…

Sortir du fantasme de l’équilibre

Quand j’entends cette plainte : « Je pense au travail le soir et à ma liste de courses la journée », j’ai envie de répondre : « Et alors ? ». Parce qu’en soi, il n’y a rien de mal à cela. C’est juste une donnée, un fait, sur lequel on plaque un jugement négatif. Pourquoi ? À mon sens, à cause de cet idéal d’équilibre erroné et peu réaliste que nous nous imposons. On s’imagine que l’équilibre des temps de vie, ce sont des barrières hermétiques, des cloisons, qui préservent chacune des sphères de nos vies de l’influence des autres. Et nos pensées ne devraient pas faire exception. C’est intéressant, parce que je constate qu’il y a différents niveaux de tolérance, en fonction du sens dans lequel se fait l’intrusion – s’il est devenu acceptable de rêvasser sur sa liste de courses pendant sa journée de travail, on voit souvent d’un oeil beaucoup plus mauvais l’intrusion de réflexions pro dans notre sphère privée. Comme un aveu d’échec : « décidément, mon travail prend trop de place, je suis incapable de couper ». Avec l’injonction culpabilisante qui va bien : « Déconnecte ! » Un temps pour tout, n’est-ce pas ? Si seulement c’était si simple.

Ce que nous disent les spécialistes du fonctionnement du cerveau

En s’intéressant à cette question, on trouve des aiguillages très utiles auprès de celles et ceux qui étudient le fonctionnement de notre cerveau. Ramener de la science dans ces questionnements permet d’ajuster nos attentes à un niveau réaliste, qui tienne compte de la physiologie humaine, plutôt que de les caler sur un équilibre (de vie, de temps) fantasmé.

Albert Moukheiber, psychologue clinicien, docteur en neurosciences (et également membre du Lab Welcome to the Jungle) nous rappelle la chose suivante : « Si à peu près la moitié de mon temps est dans un certain lieu, pour mon cerveau, ce lieu est très important, et donc je vais y penser beaucoup plus. Aussi, mon taf me permet de gagner ma vie, c’est une base d’entrée très importante dans la société moderne, donc quelque part c’est normal que notre cerveau soit envahi par cette activité principale qui rythme nos sociétés. » Ouf. Nous voilà déjà rassuré·es.

La lecture du Cerveau funambule de Jean-Philippe Lachaux, Directeur de recherche à l’INSERM au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, nous en apprend aussi beaucoup sur ces pensées intrusives, sur lesquelles nous aimerions bien avoir le contrôle. Il parle de PAM (propositions d’action immédiate), ces pensées qui nous donnent envie de bondir pour agir, et explique qu’un système préattentif signale ces pensées comme importantes et les amplifie, justement pour déclencher ce que nous ressentons comme une alerte. Il distingue deux grandes catégories d’alertes : les craintes, qui nous préviennent qu’une menace se profile à l’horizon (pour reprendre mon exemple du début : « Je dois achever dans les temps mon travail, sinon je serai décrédibilisé·e, vu comme un mauvais élément », etc.), et les envies, qui nous encouragent à abandonner ce que nous sommes en train de faire pour quelque chose de plus agréable ou intéressant (là je suis sûre que vous avez plein d’exemples en tête). Rien d’anormal, donc, à ce que nous vivions ces pensées de manière forte et intrusive.

Que faire de ces pensées ?

Quand plus haut, je vous disais que je répondais : « Et alors ? », c’était un peu facile, et un peu rapide. Ce n’est pas parce que c’est “normal” d’un point de vue du fonctionnement du cerveau, que c’est agréable à vivre. Là encore, les spécialistes nous proposent des clés et outils précieux (et très efficaces) pour nous aider. Voici quelques idées :

  • La première règle d’or, que si peu d’entre nous les respectent, c’est de fuir absolument le “multitâche, qui n’est qu’une illusion de faire plusieurs choses en même temps (en réalité, nous n’en faisons qu’une, et mal), et qui épuise notre cerveau, en lui demandant de changer sans arrêt d’une tâche à une autre, de se reconcentrer, etc. C’est catastrophique pour l’attention, tous les spécialistes le disent. Notre attention est comme un muscle, et s’astreindre à perdre cette mauvaise habitude a des effets bénéfiques en cascade. La méditation de pleine conscience, si vous n’avez jamais essayé, est une alliée précieuse pour contribuer à travailler cette pleine présence recherchée. Un peu l’équivalent de la salle de sport pour notre attention (ce qui suppose, oui oui, d’y aller régulièrement, sans quoi les effets se perdent).

  • Ensuite, Jean-Philippe Lachaux nous apprend que notre cerveau s’interdit de remettre à plus tard une action qui lui semble importante, pour ne pas risquer de l’oublier. Parfois, la noter peut suffire à rassurer que, oui, la tâche a bien été prise en compte et sera traitée plus tard. Parfois, ce n’est pas suffisant, et il faut alors aller plus loin en décomposant cette tâche en actions plus simples. Par exemple, plutôt que de noter sur un post-it « présentation réunion ventes », il sera plus judicieux de découper cette grosse tâche en plus petites tâches, et d’en estimer la durée : « récupérer et traiter données des ventes (2h) + demander à Jeanne de faire l’intro (10 minutes) + réserver la salle (10 minutes) » etc.

  • Enfin, se rappeler que l’irruption permanente de pensées liées au travail peut aussi créer un stress à long terme, délétère. Il est bien sûr question ici de curseur et de vigilance – si ces pensées sont omniprésentes, que vous n’arrivez jamais à déconnecter, que vous en souffrez, n’ayez pas peur de solliciter l’aide d’un·e professionnel·le de santé

La multiplication des sollicitations, les technologies qui abolissent les frontières entre nos domaines et moments de vie, le côté infini de nos tâches et des informations à notre disposition – tout cela contribue aussi à cette sensation de débordement que tant de personnes vivent et décrivent. Pour retrouver une sensation d’équilibre (bien différente d’un équilibre fantasmé), la question du soin porté à notre attention, à notre capacité à être dans l’instant, est une brique essentielle à travailler. Histoire de pouvoir enfin boire tranquillement votre verre avec vos amis.

Article édité par Clémence Lesacq ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ

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