Patrick Légeron : « L'anxiété sociale a un impact certain sur le choix de carrière »

23 mars 2023

6min

Patrick Légeron : « L'anxiété sociale a un impact certain sur le choix de carrière »
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Dans leur essai La nouvelle peur des autres (éd Odile Jacob), Christophe André, Patrick Légeron et Antoine Pelissolo explorent toutes les facettes de l’anxiété sociale et montrent combien la peur des autres peut avoir un impact négatif sur la vie professionnelle des personnes qui y sont sujettes. Mais plus que de parler des différentes pathologies anxieuses, les trois psychiatres proposent des moyens de s’en libérer en donnant des conseils accessibles à tous et en faisant le tour des thérapies existantes.

En 1995, vous aviez déjà écrit La peur des autres avec Christophe André, pourquoi vous être de nouveau emparé du sujet presque trente ans plus tard ?

Patrick Légeron : L’anxiété sociale et toutes les problématiques qui en découlent ont beaucoup évolué en trente ans avec l’apparition des réseaux sociaux et l’évolution du monde du travail. Pendant des décennies on s’est uniquement intéressé aux compétences techniques des salariés, maintenant, on leur demande d’avoir des compétences humaines et sociales, avec ce que l’on regroupe sous le terme de soft skills. Il faut aussi qu’ils soient plus engagés et présents, un peu comme si la vie professionnelle devait se superposer voire se substituer à la vie personnelle. Et paradoxalement, les interactions se sont distendues avec la crise sanitaire et le boom du télétravail. Bien sûr que les relations aux autres ne se sont pas dégradées pour tout le monde, mais elles ont changé que l’on ait des problèmes d’anxiété ou non.

Autre point important, cette fois-ci nous avons voulu écrire cet ouvrage avec Antoine Pelissolo, le chef du service psychiatrie de l’hôpital Mondor à Créteil, parce qu’en trente ans, la prise en charge thérapeutique pour soigner l’anxiété sociale s’est nettement améliorée. La palette de traitements disponibles est bien plus large. Finalement, le but de cet ouvrage, c’est de faire passer un message fort à toutes les personnes qui sont sujettes à ce genre de problématiques : arrêtez de croire que vous devez rester seul avec vos souffrances ! Quelque soit vos peurs, vous pouvez bénéficier d’un accompagnement efficace. Alors, ne vous pourrissez plus la vie pour rien.

Les nouvelles technologies sont censées faciliter les interactions sociales et pourtant, elles apparaissent comme une source supplémentaire de stress pour les phobiques sociaux. Or ces derniers n’en ont pas forcément conscience en recherche d’emploi. Comment expliquez-vous cette idée reçue ?

Avant de se lancer dans l’écriture de cet ouvrage, nous avons recueilli de nombreux témoignages et c’est en effet ce qui ressort de notre enquête de terrain. Par exemple, certains de nos patients étaient d’abord soulagés de faire des réunions à distance plutôt que de faire des présentations devant leurs collègues ou leur hiérarchie et pourtant, beaucoup sont un peu décontenancés par cette pratique. Ils ne savent pas où regarder, ni quelle attitude avoir, ils ont du mal à être naturels, ils se sentent observés… Pas étonnant qu’ils soient de plus en plus nombreux à couper leur caméra ou feindre avoir une mauvaise connexion Internet pour éviter de s’infliger ce stress. L’histoire d’Ismaël, que vous pouvez lire dans le livre, est assez symptomatique de ce problème. Au départ, il a choisi de travailler dans l’informatique pour être seul avec ses ordinateurs. Et ça a été le cas au début de sa carrière. Problème, avec l’évolution de l’entreprise, on lui a demandé de jouer collectif, de présenter des réunions et ça a accentué son mal-être. Les réseaux sociaux évitent certes certaines rencontres en face-à-face, mais la peur du jugement des autres est toujours aussi présente. En deux mots, je dirais que les technologies peuvent parfois constituer un refuge, mais leur usage est à double tranchant, rendant les interactions physiques plus rares… Et donc plus angoissantes.

« Il n’est pas rare qu’une personne qui souffre d’anxiété sociale choisisse un métier dans le secteur de la communication parce qu’elle pense que c’est en forçant les interactions sociales qu’elle va pouvoir s’en sortir », Patrick Légeron, psychiatre.

Selon vous, la peur des autres et des interactions sociales peut-elle avoir un impact sur le choix de carrière ?

Il y a différentes situations où l’on peut avoir peur des autres. Il y a des personnes qui redoutent d’accomplir une prestation ou une performance devant un public, d’avoir une discussion informelle, superficielle ou approfondie avec une personne inconnue, d’exprimer ses sentiments ou un désaccord, de donner son avis, faire une réclamation…. Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’est pas rare qu’une personne qui souffre d’anxiété sociale choisisse un métier dans le secteur de la communication parce qu’elle pense que c’est en forçant les interactions sociales qu’elle va pouvoir s’en sortir. Après, il y a toujours des personnes comme Ismaël qui choisissent sciemment des métiers où ils vont plus ou moins réussir à s’en préserver. Le milieu social, la famille ont un impact certain dans le choix du métier ou du secteur, ça a été documenté, mais je pense que les peurs le sont tout autant.

Aussi et c’est ce que je vois dans mon cabinet, l’anxiété sociale pousse certaines personnes à faire des choix professionnels catastrophiques. Le refus de promotion pour éviter de gérer et fédérer une équipe ou prendre la parole en public est très fréquent. On estime que 58 % des employés disent appréhender d’occuper un poste de direction par peur de devoir s’exprimer en public. Mais ça me fait aussi penser à cette jeune femme qui était vraiment angoissée à l’idée de se rendre aux pots organisés par l’entreprise parce qu’elle se sentait mal à l’aise un verre à la main avec des personnes qu’elle ne connaissait pas toujours. Eh bien, à force d’éviter ces moments de socialisation, elle a été identifiée comme désagréable, pédante et hautaine. Et pour elle, même si ça a eu un impact négatif sur sa progression de carrière, c’était toujours mieux que d’être perçue comme une timide.

Combien de personnes souffrent d’anxiété sociale ?

Si vous me demandez un nombre précis de personnes qui sont touchées par cette problématique, il est presque impossible de répondre tant la maladie mentale est stigmatisée et le sujet évité dans notre société. Que ce soit dans ces formes graves avec la bipolarité ou la schizophrénie, ou plus mineures avec les phobies ou les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), il est mille fois plus simple de dire qu’on souffre d’un problème cardiaque ou de toute autre maladie fonctionnelle que parler d’un trouble ou d’une maladie psychique. C’est d’ailleurs un énorme problème puisqu’on estime qu’une personne sur deux n’est pas prise en charge et ne cherche pas d’aide pour améliorer son bien-être mental.

Mais pour simplifier, on dit souvent qu’il y a plusieurs formes d’anxiété sociale : d’abord, celle qui relève de la maladie psychiatrique et qui toucherait entre 2 et 3% de la population. Ça peut être une personne qui va regarder vingt fois dans l’oeilleton de sa porte d’entrée avant de sortir pour être sûre qu’elle ne va pas croiser ses voisins, ou qui va se retrouver au chomâge de longue durée simplement parce qu’elle est incapable d’intéragir avec des collègues ou de prendre les transports en commun… Après, il y a 80% de la population, qui a ressenti au moins une fois un trac très fort au moment de monter sur scène pour faire un discours, qui a été mal à l’aise à l’idée de rendre un cadeau qui ne leur plaisait pas… Au total, on considère que près 30% de la population est dans une forme de souffrance. Reste 15% de la population qui n’a jamais eu peur du regard de l’autre. Et ce n’est pas forcément mieux : comme ces personnes se fichent de ce que l’on peut penser d’elles, elles n’ont aucun garde fou, elles peuvent potentiellement faire n’importe quoi et blesser les autres sans s’en rendre compte.

« Tous les jours, on parle d’entreprise bienveillante, mais que fait-elle concrètement pour déceler les signaux faibles et aider les personnes en souffrance ? », Patrick Légeron, psychiatre.

Vous dites aussi que l’entreprise a un rôle à jouer sur la problématique de l’anxiété sociale, pouvez-vous l’expliquer ?

Selon moi, l’entreprise a aussi son rôle à jouer face à l’anxiété en déstigmatisant les salariés qui sont touchés, mais aussi en repérant celles et ceux qui ne vont pas bien en leur proposant des accompagnements spécifiques. Tous les jours, on parle d’entreprise bienveillante, mais que fait-elle concrètement pour déceler les signaux faibles et aider les personnes en souffrance ? Rien. Malheureusement, les problèmes de santé mentale sont encore perçus comme des signes de faiblesse au travail. On préfère avoir l’air autoritaire ou hautain, ce qui renvoie à une image de solidité plutôt que d’être vu en train de rougir, de balbutier, ou d’avoir les mains moites. Et pourtant, les anxieux ont beaucoup à apporter à l’entreprise : ce sont généralement des personnes qui sont plus attentives aux autres et qui sont plus dans l’empathie. C’est pour ça qu’il est grand temps de valoriser ces profils !

Dans votre ouvrage collectif, il y a beaucoup de témoignages dont celui d’Émile, chercheur en physique qui perd systématiquement ses moyens lorsqu’il passe un entretien d’embauche. Que conseillez-vous à des profils tels que le sien ?

L’anxiété se manifeste par un corps qui se tend, par une difficulté à trouver ses mots, l’apparition de palpitations… La pratique régulière de la méditation ou de la relaxation sont des remparts efficaces pour éviter de perdre ses moyens. Après, quand mes patients doivent passer un entretien ou faire une présentation à l’oral, je leur conseille de bien se préparer en amont pour éviter de se retrouver paralyser en répétant l’exercice avec leurs proches. Je pense aussi que le théâtre est une bonne piste. Combien de fois, j’ai entendu des personnes mal à l’aise en public dire que cette pratique les a aidés à se dépasser et c’est tout à fait logique parce qu’en jouant la comédie et un autre personnage, on prend de la distance avec soi-même et on se rend compte qu’on est tout à fait capable de gérer une situation réelle stressante.

Article édité par Gabrielle Predko

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