Micromanagement : pourquoi n'en vient-on (toujours) pas à bout ?

13 juin 2023

6min

Micromanagement : pourquoi n'en vient-on (toujours) pas à bout ?

Décrié depuis plusieurs années, le micromanagement parvient pourtant à résister. Rien à faire, cette attitude parasite du manager lui colle à la peau, répandant diverses pathologies autour d’elle : burn-out, dépression, turn-over… Comment expliquer ce phénomène ? Et pourquoi ne parvient-on (toujours) pas à l’éradiquer ? Éléments de réponse avec nos experts du Lab Ludovic Girodon et Luc Bretones.

Le micromanagement : ce micro parasite qui vampirise tout

Marion est COO dans le retail. Sa fonction consiste à s’assurer quotidiennement du bon fonctionnement des opérations logistiques, en particulier la gestion des stocks et la qualité des produits. « Je travaille avec l’équipe logistique que je surveille de près, raconte-t-elle. Je dis “surveiller de près’’ parce que, pendant longtemps, j’ai clairement adopté une posture de micro manager. Tous les jours, je contrôlais l’arrivée des préparateurs-livreurs, le départ des livraisons… J’avais une obsession sur la bonne organisation et la gestion des stocks au point d’être tout le temps sur le dos des autres. Non seulement, je surveillais leurs moindres faits et gestes : retards, oublis… Mais en plus, j’en devenais parano. J’étais persuadée qu’on piquait dans les stocks. Plus d’une fois je me suis surprise à me connecter aux aurores sur la caméra de vidéo surveillance de l’entrepôt pour voir ce qu’il se passait en mon absence. Je mettais une pression folle à mes collaborateurs. Un jour, mon n-1, le responsable logistique, a démissionné. On m’a fait comprendre que c’était en partie à cause de mon comportement “étouffant”. J’ai alors pris conscience que j’avais un problème et qu’il fallait lâcher du lest. »

Il existe, selon l’expert en management Ludovic Girodon, deux types de pratiques managériales dommageables : le sous-management et le micromanagement. Dans le premier cas, il y a une carence managériale. « Cela revient à dire à son collaborateur : “gravis cette montagne’’ », explique l’expert. À l’inverse, le micro manager est surinvesti. « C’est celui qui demande à son collaborateur de gravir une montagne en étant en permanence derrière son dos. Il intervient sans cesse, de manière aléatoire et pernicieuse. C’est donc quelqu’un qui est dans l’ultra control par peur que ce soit mal fait ou pas fait, au risque d’étouffer ses collaborateurs. Dans micromanagement il y a “micro’’, c’est à dire qu’il se perd dans les détails et y attache une trop grande importance, au lieu de garder une vision d’ensemble. » Guide de haute montagne oppressant ou tique qui vous pompe votre sang, peu importe la métaphore, le comportement est indéniablement toxique.

Micro parasite, grandes conséquences

Pour décrire ce phénomène, Luc Bretones ne mâche pas ses mots : « C’est un véritable déni d’intelligence et d’humanité. Cela consiste en une ingérence chronique dans l’activité des autres. Le micromanagement est destructeur et même criminel. » Ce comportement « pathologique » est, selon lui, manifeste chez les personnes qui présentent une tendance à l’addiction. Dans ce cas précis, ils seraient alors « addicts au control ». L’auteur de L’Entreprise Nouvelle génération affirme avoir développé « un radar à micro managers ». Selon son analyse, ils présentent des caractéristiques communes parmi lesquelles : une tendance à promouvoir la transparence en entreprise, à se rendre indispensable à toutes les discussions et prises de décision, et à tenir un tableau de bord complet sur la data de l’entreprise. En clair, c’est Big Brother : il voit tout, participe à tout et entend tout.

Aussi micro soit-il, le micromanagement entraîne d’importantes conséquences, toutes néfastes pour l’entreprise. Selon une étude réalisée par les chercheurs de la faculté de médecine de Harvard, il est responsable de nombreuses pathologies : stress, burn-out, turn-over, dépression… À cet égard, nos experts sont unanimes. « Ce type d’attitude agace et démotive, assure Ludovic Girodon. Le comportement brise la relation manager/managé et empêche toute prise d’initiative du collaborateur. Il brise la confiance en soi. » Luc Bretones va plus loin : « C’est destructeur. Travailler sous le joug d’un micro manager est très difficile à vivre et cela entraîne de graves pathologies. On est très proche du harcèlement. » Selon lui, certains managés vont jusqu’à développer un syndrome de Stockholm, qui consiste à adopter une approche micro par mimétisme. Le managé devient alors une « courroie de transmission d’informations » de son manager. Un comportement qui n’est pas seulement néfaste pour l’équipe, mais aussi pour le manager lui-même, affirme Ludovic Girodon : « Le temps est la ressource la plus précieuse du manager. Tout contrôler jusque dans les moindres détails est une immense perte de temps et une charge mentale qui l’écarte de ses priorités et risque de l’épuiser. »

La tique dont on peine à se débarrasser…

L’endormir à l’éther, l’arracher par la force ou le tourner dans tous les sens pour le retirer, on a tout essayé : rien n’y fait. Malgré les nombreuses mises en garde, le micromanagement persiste en entreprise. Une des premières raisons de sa résistance est tout simplement l’absence de prise de conscience. Car, le micro manager est le plus souvent un control-freak qui s’ignore. De fait, « ce style managérial s’est imposé comme la norme dans les années 70-80, précise Ludovic Girodon. Dans l’esprit commun, le manager est donc celui qui contrôle et distribue des bons points. Cette tendance est renforcée par le fait que beaucoup de managers sont des experts. Cette supériorité technique les place inévitablement dans une posture de supervision. »

Un schéma dont on peine à se débarrasser, y compris sur les bancs des écoles de commerce. « Aujourd’hui, on continue à enseigner des méthodes de management archaïques. Les professeurs dans cette discipline ont un âge avancé et une pratique qui est totalement obsolète », assure Luc Bretones. Une autre explication réside dans le profil type de ces micro managers. « Bien qu’ils soient en minorité en entreprise – environ 20 % – on les retrouve particulièrement parmi les dirigeants », observe-t-il. Alors que faire ? Rendre les armes et sonner la victoire du manager-tique ? Sur ce point, Luc Bretones se montre plus optimiste : « *Il y a incontestablement une évolution. On assiste à une fuite des talents vers des entreprises qui pratiquent des méthodes de management plus innovantes. Je crois que le changement se fera “par les pieds’’. Cette aspiration des salariés au mouvement est déjà perceptible. De nombreuses entreprises le réalisent et mènent des audits pour développer l’autonomie en interne et entreprendre une transition d’un mode de management directif vers un mode de management plus participatif*. »

Micromanagement : les techniques pour en venir (vraiment) à bout

Pour venir à bout de ce micro parasite, encore faut-il avoir remarqué sa présence. « La prise de conscience et le changement de mindset du manager représentent 50 % du travail », certifie Luc Bretones. Pour le reste, il faut s’en remettre aux nombreux outils managériaux innovants. Voici, selon nos experts, certains remèdes appropriés.

L’accompagnement resserré

Puisque le micromanagement c’est l’anti-responsabilisation, « la clé, c’est de responsabiliser son collaborateur », préconise Ludovic Girodon. Il recommande donc au manager d’identifier le sujet sur lequel le collaborateur a besoin d’un accompagnement resserré et de découper le travail en étapes. « Si l’on part du principe que l’objectif final c’est d’arriver à tel niveau et à telle échéance, le manager découpera ce projet en sous-tâches intermédiaires, précise-t-il. Ainsi, au lieu d’avoir une montagne à gravir, le collaborateur n’a plus que des étapes à franchir. »

La structuration des échanges manager/managé

Ludovic Girodon est formel, tout ce qui participe à cadrer la relation « évitera au manager d’intervenir en permanence pour contrôler l’avancée de son collaborateur ». L’astuce consiste à lui annoncer clairement les règles du jeu : à quel moment il peut l’interrompre pour poser ses questions, à quel créneau et conditions le manager est disponible… « En définissant un mode d’emploi ensemble et des rendez-vous fixes, cela permet de borner le parcours et de réduire la peur du collaborateur d’aller “déranger’’ son manager. En retour, cela limite l’ingérence du manager dans le travail du collaborateur. »

Le pilotage par objectifs

On l’a vue émerger avec l’apparition des modes de travail hybrides. Le pilotage par objectif ou méthode OKR consiste à se concentrer sur le résultat : l’objectif est atteint ou non. « Cette vision est inspirée de la culture anglo-saxonne : on fixe un point de départ et un point d’arrivée, entre les deux peu importe, explique Ludovic Girodon. Ce qu’il faut, c’est réussir à insuffler cette confiance et autonomie. C’est parfois mal compris en France, on attend que le collaborateur ait fait ses preuves pour lui accorder notre confiance alors que c’est l’inverse qu’il faut faire : c’est un pari, on lui accorde une totale confiance en lui disant “débrouille-toi’’ mais en lui donnant ce cadre dans lequel il peut nous solliciter si besoin. »

Les outils collaboratifs et participatifs

Qu’il s’agisse de réunions ou de prises de décision, cette méthode que préconise Luc Bretones permet de placer le manager au même rang que ses collaborateurs. « Les rôles sont répartis plus équitablement et tous les pouvoirs ne se concentrent plus en une seule main », explique-t-il. Une pratique qui permet d’anéantir le despotisme et de favoriser la prise de décisions collégiales.
Tic-tac, tic-tac… Pas de doute, ce micro parasite résiste à l’épreuve du temps. Il faut le reconnaître, lente est la prise de conscience. Toutefois, Luc Bretones est formel, il observe bien une « lame de fond qui pousse à un management plus participatif ». Une tendance qui serait, selon lui, « un one way ticket ».

Coaching, formation, méthode OKR, feedbacks en maillet, usage de la rétrospective… Il existe une multitude de moyens pour venir à bout du micromanagement en entreprise. Ne nous laissons pas impressionner ! Après tout, « ce n’est pas la petite bête qui va manger la grosse ».

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.