« Il y a encore des préjugés autour du mot “boss” quand on parle d'une femme »

09 janv. 2024

6min

«  Il y a encore des préjugés autour du mot “boss” quand on parle d'une femme »
auteur.e
Chloé Ferret

Journaliste

contributeur.e

À seulement 33 ans, Mélody Madar est une entrepreneuse accomplie. Depuis une dizaine d'années, elle s'est donnée pour mission de mettre en lumière les femmes : via le média “Les Éclaireuses”, le podcast “C'est qui la boss ?”, ou encore l'incubateur de start-up Propuls'her. Son petit dernier : le livre « C'est vous la Boss ! » (Éditions Fayard), est une aide pour les aider à transformer leurs peurs en moteur, afin qu'elles deviennent les boss de leur vie. L’occasion d’une interview 100% girl power.

Votre livre s’intitule « C’est vous la Boss ! ». Pour vous, c’est quoi être une boss ?

C’est une femme qui a des rêves, des projets, des ambitions, et qui met tout en œuvre pour les réaliser. On assimile beaucoup ce mot à la vie professionnelle, mais on peut aussi l’être dans sa vie personnelle. C’est un état d’esprit plutôt qu’un statut. Cela passe d’abord par la confiance en soi, puis en affirmant ses ambitions.

« La femme ambitieuse était toujours la femme aux dents longues, capable d’écraser tout le monde sur son passage pour réussir. »

Pourquoi avoir écrit ce livre, et pourquoi avoir demandé à d’autres femmes d’y collaborer ?

J’avais envie, au bout de 10 ans d’entrepreneuriat, de partager mon expérience et les meilleurs conseils que j’aurais aimé qu’on me donne quand je me suis lancée. Et c’était une évidence de mettre en lumière d’autres femmes, car j’ai eu la chance de rencontrer une multitude de personnalités de tous les horizons, de tous les métiers. Les côtoyer, les interviewer, entendre leurs histoires et prendre leurs conseils m’a fait grandir, et je me suis dit que tout le monde devrait en bénéficier.

Dans « C’est vous la Boss ! », vous donnez des exemples au cinéma de personnages féminins à des postes importants qui sont caricaturaux. Trouvez-vous que la femme dirigeante est toujours mal vue ?

Quand on a grandi comme moi dans les années 90, ou même avant, la femme ambitieuse était toujours la femme aux dents longues, capable d’écraser tout le monde sur son passage pour réussir. Mais peu à peu, on a vu des séries ou des films avec une autre vision de cette femme. Je cite notamment Shonda Rhimes, qui est une super réalisatrice et productrice (Grey’Anatomy avec Meredith Grey, ou Scandal avec Olivia Pope notamment) qui a contribué à changer l’image de la femme dirigeante, en montrant aussi son empathie, ses engagements, ses fragilités. Mais c’est vrai qu’il y a encore des préjugés autour du mot boss quand on parle d’une femme.

« Certains nouveaux dessins animés proposent plus d’inclusivité, plus d’héroïnes qui ont d’autres uniques buts dans la vie que celui de se marier et fonder une famille. »

Vous parlez aussi de l’impact des dessins animés sur les petites filles : nous sommes nombreuses à avoir été biberonnées aux histoires de princesses en attente du Prince charmant… En 2023, les choses ont heureusement changé, non ? Il y a de nombreuses autres héroïnes pour servir de modèles aux petites filles…

J’ai trois filles de 4 ans, 2 ans et 3 mois donc je suis en plein dans ces réflexions-là ! C’est la docteure en psychologie Jennifer L. Hartstein, dont je parle dans le livre, qui a conceptualisé ce “syndrome de la princesse”. La majorité des enfants nés entre 1980 et 2000 ont été biberonnés à ces contes de fée, et cela serait, selon elle, en partie responsable de notre vision erronée de la société et du manque de confiance en nous. « Les filles auraient du mal à comprendre en grandissant que l’intelligence, la générosité et la passion sont des valeurs plus importantes », écrit-elle. Heureusement, vous avez raison, certains nouveaux dessins animés proposent plus d’inclusivité, plus d’héroïnes qui ont d’autres uniques buts dans la vie que celui de se marier et fonder une famille.

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Vous comparez dans le livre les systèmes éducatifs français et américains, notamment sur le fait qu’en France, on travaille sur nos points faibles, alors que c’est l’inverse aux États-Unis, où l’on peut davantage se concentrer sur ses points forts et donc exceller finalement… Pensez-vous qu’en France, on prépare mal les enfants au monde du travail ?

J’ai fait une partie de mes études au Canada, et j’ai été assez surprise de la différence. Je ne sais pas si la France prépare mal, mais en tout cas j’ai trouvé qu’en Amérique du Nord, on préparait mieux. On y développe beaucoup ce qu’on appelle les soft skills. On va par exemple apprendre à développer sa curiosité, la prise de parole en public, sa flexibilité… des compétences qui nous servent dans le monde du travail et dans la vie en général.

La façon de noter n’est pas non plus la même. Quand on a appris son cours au Canada, on aura une bonne note, le but est d’encourager les élèves. Alors qu’en France, on a un système punitif où on va aller chercher la petite phrase du cours qui nous aurait échappé. D’ailleurs, si un jour je devais me reconvertir, pourquoi pas créer une école !

« Quand vient le moment de négocier, je perds tous mes moyens. C’est un sujet commun à beaucoup de femmes. »

Vous dites aussi que l’école française empêche les enfants de se tromper, entraînant la peur de l’échec. Pensez-vous qu’il faut encourager les enfants à échouer ?

C’est un peu bateau, mais c’est la vérité : je pense que l’échec est constructif. Mais uniquement s’il est analysé, pour en tirer un enseignement. Je parle d’ailleurs dans le livre de l’interview d’une personnalité qui m’avait énormément marquée. Sara Blakely (femme d’affaires américaine, fondatrice de Spanx, ndlr.) avait expliqué à Tony Robbins (célèbre coach de développement personnel, ndlr.) comment son père l’encourageait à échouer chaque jour. Il essayait ainsi de changer sa définition de l’échec, et de lui montrer que ce n’était pas quelque chose de grave, au contraire. Du coup, les seules fois où elle a trouvé qu’elle avait vraiment échoué, c’est quand elle n’avait pas tenté.

En parlant d’enfants, vous abordez également le thème de la maternité, la charge mentale qui va avec, et le fait que les mères sont souvent mises de côté en entreprise…

Le premier conseil dont je parle dans le livre, que donne Sheryl Sandberg, c’est de “ne pas partir avant d’être partie”. Quand on est enceinte, on sait qu’on va faire une pause dans sa carrière, donc on s’auto-freine et on prépare notre départ. Or, pour avoir envie de retourner au travail après avoir eu un enfant, il faut avoir un métier que l’on aime, qui nous challenge, et qu’on sera heureuse de retrouver ! C’est pour cela qu’il faut anticiper notre départ et notre retour, en continuant de prendre plus de responsabilités, ou en développant des projets stimulants.

Restent les inégalités salariales entre hommes et femmes, qui commencent dès l’enfance avec l’argent de poche…

Mon mari a dit de moi que je savais faire de l’argent, mais pas en gagner. Je sais faire des choses qui marchent, mais quand vient le moment de négocier, je perds tous mes moyens. Je trouve que c’est un sujet commun à beaucoup de femmes. Nous n’avons pas eu les clés pour gérer, épargner, et faire fructifier notre argent. C’est d’ailleurs pour ça qu’on avait envie de lancer un média qui s’appelle Cash sur table, pour parler de l’éducation financière.

« Subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille peut prendre le pas sur la poursuite de son job de rêve. Mais c’est important d’être toujours curieux, même si on a des contraintes et que c’est difficile. »

Vous dites aussi que la clé pour être épanouie professionnellement, c’est la passion et que cela peut évoluer avec l’âge, entraînant des reconversions professionnelles. Mais les entreprises sont-elles prêtes à embaucher des gens ayant eu un parcours atypique ?

Je pense que c’est plus facile dans l’univers start-up. En tout cas, pour ma part, ça fait 10 ans que je n’ai plus regardé un CV. Tout se joue plutôt en entretien.
Mais il y a de grandes reconversions comme il peut y en avoir de petites. C’est ce qu’on fait au quotidien aussi dans notre groupe. Quand une personne ne se sent plus à sa place, on va voir comment lui trouver un autre poste plus approprié. C’est important d’aimer ce qu’on fait, puisqu’on passe une grande partie de sa vie au travail.

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Mais tout le monde n’a pas la possibilité de choisir son travail, de prendre le temps et l’argent pour se reconvertir… Parler de l’importance de la passion peut être culpabilisant pour de nombreuses personnes, non ?

J’ai conscience que dans beaucoup de cas, subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille prend le pas sur la poursuite de son job de rêve. On peut alors essayer d’apporter des passions dans sa vie personnelle. C’est important d’être toujours curieux, même si on a des contraintes et que c’est difficile. Il y aura forcément des opportunités à saisir.

Vous dites aussi qu’il n’y a pas assez de femmes dans l’entrepreneuriat (elles ne représentent que 30 % des entrepreneurs). Ce sont elles qui ont peur, ou la société qui n’est pas prête ?

Un peu des deux. Même si les chiffres ont beaucoup évolué en 10 ans, on voit toujours que les start-up fondées ou cofondées par des femmes ont très peu de chances de lever des fonds. C’est une réalité. Et ce qui me fait encore plus peur concerne le Web3 avec l’intelligence artificielle. Cela va bientôt chambouler nos modes de vie et notre manière de travailler. Mais c’est encore une fois un monde qui est en train de s’écrire au masculin, sans les femmes, et tout le travail d’équité qu’on aura fait depuis des années risque d’être perdu. Je pense que c’est un des futurs gros sujets d’égalité qu’il faut traiter en urgence.

Êtes-vous tout de même optimiste pour l’avenir des femmes ?

L’ère post-Me Too est assez incroyable - même s’il y a encore beaucoup de combats à mener - donc oui, je suis optimiste !

Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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