La liquidation judiciaire est un traumatisme : comment s’en remettre ?

24 avr. 2023

5min

La liquidation judiciaire est un traumatisme : comment s’en remettre ?
auteur.e
Barbara Azais

Journaliste freelance

Pour beaucoup de dirigeants, mettre la clé sous la porte représente un traumatisme. Stress, fatigue et honte en poussent certains à s’isoler, voire à tomber dans la dépression. Mais il existe des solutions pour rebondir après une liquidation.

« Au moment de la liquidation, on est déjà épuisé par les mois de redressement judiciaire, de souffrance et de stress. On veut sauver ce qu’on a construit, mais un jour il faut se rendre à l’évidence et liquider l’œuvre d’une vie. C’est un vrai traumatisme. » Christian, 42 ans, a récemment liquidé le magasin de sport qu’il avait ouvert en région parisienne en 2010. « À l’époque, je réalisais mon rêve. Ce magasin c’était mon bébé. » Comme beaucoup d’entrepreneurs, son affaire n’a pas résisté à la crise sanitaire et aux différents confinements. « Les aides du gouvernement et le chômage partiel m’ont aidé à tenir, mais quand il a fallu commencer à rembourser le prêt garanti par l’État, j’étais beaucoup trop endetté. »

Selon l’Observatoire consulaire des entreprises en difficulté (OCED) établi au 1er janvier 2023 en France et en Île-de-France, le nombre de défaillances – c’est-à-dire les redressements et les liquidations judiciaires – est en hausse depuis septembre 2022 : + 49 % à l’échelle nationale et + 35% en Île-de-France. La Banque de France observe que « le nombre de défaillances poursuit la progression amorcée à l’automne 2021 ». Ainsi, entre mars 2022 et février 2023, on dénombre 43 886 défaillances contre 29 124 un an plus tôt. « En ce moment, je liquide une dizaine d’entreprises par semaine, estime Stéphanie, mandataire judiciaire. Quand on ouvre un dossier de redressement judiciaire, il y a 6 mois d’observation renouvelable une fois, voire deux si le procureur en fait la demande. Le but est de monter un plan de redressement pour sauver la boîte. Ça peut durer jusqu’à 10 ans. » Mais peu de structures survivent à un redressement judiciaire : entre 2010 et 2016, 67 % des entreprises en redressement judiciaire ont été liquidées, selon le département économie de France Stratégie.

Quel est l’impact psychologique d’une liquidation ?

« C’est extrêmement éprouvant, confie Hélène, 37 ans, qui a dû liquider la chaîne de restaurants qu’elle tenait depuis 10 ans. C’est un peu comme un deuil, on passe par plusieurs étapes comme le rejet, la colère, etc. Je ne veux jamais le revivre. J’ai même peur que ça recommence, qu’on ne soit pas rentable, alors que je suis simple salariée. J’ai une phobie du redressement judiciaire. » Le redressement et la liquidation judiciaire ont un impact psychologique considérable sur les entrepreneurs qui en sont victimes. « Ils peuvent perdre en qualité de sommeil, être stressés, anxieux, moins concentrés, moins performants, moins aptes à prendre les bonnes décisions, avec une tendance marquée à l’isolement », explique Coralie Schmitt, psychologue du travail spécialisée dans l’accompagnement des dirigeants en souffrance. Nombre d’entre eux ont tendance à se replier sur eux, à feindre que tout va bien devant leurs équipes, fournisseurs, clients et investisseurs. La charge mentale est telle que certains nient l’évidence. « Le déni protège l’intégrité psychique », précise la spécialiste.

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On vous en dit plus ?

3 conseils pour dépasser le traumatisme de la liquidation judiciaire

1. Changer sa perception de l’échec

Heureusement, il est possible de rebondir après une liquidation judiciaire, aussi bien sur le plan personnel que professionnel, notamment en changeant de regard sur l’échec. « L’échec est mal perçu en France, c’est culturel, observe Claire Flin, entrepreneuse et cofondatrice de l’association Les Rebondisseurs. Les entrepreneurs qui y sont confrontés sont donc souvent stigmatisés. » Dans l’Hexagone, l’échec est en effet associé au fait d’être incompétent et mauvais, ce qui impacte l’estime de soi et constitue une vraie souffrance personnelle et sociale. Alors qu’aux États-Unis, le droit à l’erreur est valorisé car il symbolise l’audace, l’ingéniosité et le courage. Dans son livre Les vertus de l’échec (Allary Editions), le philosophe Charles Pépin insiste sur les bienfaits de l’échec pour rebondir, se réinventer, ajuster ou se réorienter. « Il y a les échecs qui nous donnent la force de persévérer dans la même voie, et ceux qui nous donnent l’élan pour en changer, écrit-il. Il y a les échecs qui nous rendent plus combatifs, ceux qui nous rendent plus sages, et puis il y a ceux qui nous rendent simplement disponibles pour autre chose. »

Bien que ce soit mal perçu, échouer est créateur de valeur et d’expérience. « La plupart des entrepreneurs ont une grande résilience et se relèvent, fait valoir Claire Flin. Ils peuvent se réinventer en apprenant de ce qu’ils ont vécu. Ils ont assez d’expérience pour mettre d’autres garde-fous en place ». L’échec est la preuve qu’à un moment donné, vous avez fait ce que beaucoup n’ont jamais osé faire. Vous vous êtes lancé et vous êtes maintenant en mesure de réajuster le tir. Comme disait Nelson Mandela : « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends ».

2. Sortir de l’isolement et intégrer des communautés

Il est aussi important de ne surtout pas s’enfermer dans l’isolement. « La pire des choses à faire, c’est de se recroqueviller et de se couper du reste du monde », prévient Claire Flin. « Les personnes qui sont en capacité d’aller demander de l’aide sont celles qui s’en sortent le mieux, assure de son côté la psychologue Coralie Schmitt. Car elles sont capables d’aller trouver des ressources au sein d’associations, de communautés, auprès d’amis ou de leurs familles. Elles peuvent rebondir plus vite. » Il existe de nombreuses associations comme Les Rebondisseurs ou encore 60 000 rebonds, qui accompagnent les entrepreneurs après une liquidation judiciaire. Elles leur permettent de rencontrer d’autres dirigeants dans la même situation, d’échanger, de nouer des liens, mais aussi d’être accompagnés et soutenus dans leur rebond.

« Chacun peut parler sans tabou et sans jugement à des gens qui se trouvent dans la même posture, explique Claire Flin. Il est essentiel d’intégrer des réseaux, d’avoir des contacts de proximité avec ses pairs. C’est un vrai soutien. Il ne faut pas se cacher. Être dans des dynamiques collectives permet de se nourrir du vécu des autres. Les différents témoignages et partages d’expérience rassurent les participants sur le fait que l’échec fait partie du parcours des entrepreneurs. Il y a des rendez-vous mensuels, des webinars, des clubs en région et des publications sur des thématiques variées. » Chez 60 000 rebonds, les entrepreneurs sont accompagnés dans leur rebond par un coach ainsi qu’un parrain ou une marraine afin de se remettre du traumatisme de la liquidation judiciaire et de reconstruire un projet professionnel basé sur des fondations solides.

L’association Apesa France intervient quant à elle auprès des entrepreneurs les plus en souffrance. « On est formés à détecter le risque suicidaire d’un dirigeant, explique Stéphanie, la mandataire judiciaire. Quand je vois que la personne ne va pas bien, je lui propose de bénéficier d’un soutien psychologique et elle est prise en charge gratuitement par un psychothérapeuthe d’Apesa France. »

3. Prendre le temps…

Enfin, il est essentiel de prendre le temps ! Prendre le temps de digérer et de se remettre du redressement et de la liquidation judiciaire, de tout ce que ça a impliqué émotionnellement, physiquement et psychologiquement pendant des mois, voire des années. Mais aussi prendre le temps de faire le deuil de son entreprise et de tout ce qu’elle représentait, de se faire à son nouveau quotidien, de retrouver des repères. « Certains marchent et ont besoin d’une coupure de quelques mois pour se remettre », explique Claire Flin.

Et parfois, la liquidation est la solution que les entrepreneurs n’attendaient plus. « Il fallait que je me repose », raconte Délia, 49 ans, suite à la liquidation de son agence de communication qu’elle a tout fait pour éviter. « J’étais épuisée, j’ai fait un burn out, je ne pouvais même plus me lever. Cette crise m’a sauvé la vie. En 2021, je me suis reposée, j’ai pris le temps et là, je crée une nouvelle entreprise. La liquidation, c’est une étape dans ma vie d’entrepreneure. Et ce n’était finalement pas tant une mauvaise chose. C’est juste une page qui se tourne. Je suis arrivée au bout d’une histoire, c’était une opportunité d’ouvrir d’autres portes. »

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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