Et si on s'inspirait des freelances pour mieux télétravailler ?

20 janv. 2022

6min

Et si on s'inspirait des freelances pour mieux télétravailler ?
auteur.e
Pauline Allione

Journaliste independante.

Il y a ceux qui, trois jours par semaine, se lèvent à 6h tapantes pour faire un peu de sport avant d’installer leur ordinateur sur la table de la cuisine, ceux qui snoozent leur réveil pendant une heure, et ceux qui n’acceptent de quitter leur pyjama que pour les visioconférences. Mais il y a aussi ceux qui, après deux ans de crise sanitaire, ne parviennent toujours pas à s’habituer au travail hybride, entre boulot sur site et télétravail. Face à l’explosion du cadre traditionnel du travail salarié, piloter ses missions de façon autonome et s’affranchir du 9h-17h peut s’avérer plus compliqué qu’il n’y paraît. Et si les freelances, libérés depuis longtemps des normes du monde de l’entreprise et des digues du présentéisme, avaient beaucoup à nous apprendre ?

Comparé à nos voisins européens, les Françaises et Français sont moins friands de télétravail. Une étude de l’Ifop pour le centre de réflexion politique Fondation Jean-Jaurès, publiée le 5 janvier 2022, révèle que l’on ne compte que 34% de télétravailleurs dans l’Hexagone, pour une moyenne idéale de 1,8 jour de télétravail par semaine, et seulement 57% des Français ont déclaré trouver en ce mode de travail « une façon de travailler qui leur correspond davantage ». Difficile en effet de s’affranchir du boulot tel qu’on le connaît et de tout réinventer lorsque l’on se retrouve lâché dans la jungle du télétravail. « Quand un freelance démarre, je lui demande de se poser une question : Si j’avais 100% de liberté, à quoi ressemblerait ma semaine idéale ? », avance Thomas Burbidge, créateur de contenus pédagogiques pour indépendants et entrepreneurs, et auteur du podcast Young, Wild & Freelance.

Pour trouver le rythme qui vous convient, le spécialiste du travail en autonomie invite à l’introspection : l’idée est d’analyser votre propre fonctionnement afin d’identifier les moments pendant lesquels vous êtes le plus productif et de protéger ces plages horaires. « La fondation la plus importante de la semaine, ce sont ces temps de productivité, auxquels vont venir s’ajouter d’autres activités que l’on va regrouper dans des blocs temporels. » Cela peut se diviser entre des moments de concentration intense, des rendez-vous clients, le traitement de ses mails, des échanges sur Slack… « Au fur et à mesure, cela dessine votre semaine type. Elle ne se déroulera jamais exactement comme prévu, mais c’est un guide vers lequel tendre pour rééquilibrer les choses. Votre semaine type va évoluer avec le temps et c’est normal, l’idée n’est pas non plus de trouver le truc qui marchera pour les dix prochaines années », abonde Thomas Burbidge. Une fois votre fonctionnement idéal esquissé, il est primordial d’en parler avec votre manager, vos collègues et ceux qui partagent votre foyer. Afin que les premiers identifient les moments pendant lesquels vous êtes collaboratif, et que les seconds participent à préserver votre équilibre professionnel et personnel en évitant d’interférer dans vos moments de travail. Aussi, plusieurs indépendants, rodés à l’autonomie, ont accepté de nous livrer les secrets de leur productivité.

4 techniques à piquer aux freelances pour tirer le meilleur du télétravail

Suivre son rythme

  • Marion, consultante en création d’entreprise, à côté de Zurich, en Suisse

« La flexibilité fait partie des raisons qui m’ont poussée à lancer mon activité, et j’ai trouvé assez facilement l’organisation qui me convient. Mon emploi du temps est agencé selon deux facteurs : mon rythme biologique et les contraintes annexes, notamment familiales. J’ai toujours été du matin, c’est un moment pendant lequel j’ai l’impression d’être en avance sur tout le monde et de 8h à midi, je sais que je fournirai mon travail ayant le plus de valeur ajoutée. L’après-midi, je suis plutôt cool jusqu’à 16h, puis je me remets au travail jusqu’à 20h. Sur cette plage horaire je suis moins dans la productivité que dans l’interaction : je prends les appels entrants, je traite les urgences et je suis les personnes que j’accompagne et qui ne sont libérées de leur activité qu’en fin de journée. Ce creux en début d’après-midi me permet d’éviter que mon temps personnel ne soit cannibalisé par mon activité : je travaille le matin et le soir, mais l’après-midi je suis off. Je profite de mon conjoint qui a également des horaires décalées par rapport au rythme classique, je promène le chien quand il fait encore jour l’hiver, je fais mes courses quand il y a moins de monde… »

Utiliser des outils organisationnels

  • Lise, journaliste, Lyon

« J’utilise un bullet journal (une méthode d’organisation personnalisable, à la croisée du calendrier, de l’agenda et du rappel, ndlr) depuis des années, c’est un carnet qui me permet de ne rien oublier et de tenir mes objectifs. J’ai une double page par semaine, avec à gauche la to-do hebdomadaire et mes notes en vrac, et à droite mes to-do quotidiennes. À chaque fin de journée, toutes les tâches quotidiennes doivent être cochées : une croix si c’est fait, une flèche vers la droite si je reporte au lendemain, une flèche vers la gauche si je reporte à un autre jour, et une barre si c’est annulé. L’avantage du bullet journal, c’est que ce n’est pas un outil figé, je peux aussi consacrer des pages à de la prise de note sur une réunion, une liste d’idées pour un projet… tout est au même endroit ! J’utilise également un streamdeck soit une sorte de clavier digital dont chaque bouton, qui est un petit écran, est programmable en y associant un raccourci. C’est beaucoup utilisé pour streamer mais je m’en sers aussi pour bosser : un bouton m’envoie sur mon fichier comptabilité, un autre sur tous les sites dont j’ai besoin pour travailler… Le bullet journal et le streamdeck me servent à poursuivre le même but, c’est-à-dire d’avoir un environnement de travail le plus clean et le plus net possible. Je jongle avec plusieurs clients différents, c’est impératif pour ne pas s’y perdre ! »

S’éloigner des distractions

  • Thomas Burbidge, créateur du podcast Young, Wild & Freelance, Paris

« De nombreuses études montrent que le simple fait d’avoir son téléphone dans son champ de vision, même retourné, suffit à distraire le cerveau. Dès qu’une page internet charge un peu lentement ou qu’une personne part se faire un thé pendant un appel, on va attraper son téléphone pour combler ces deux minutes et se perdre dedans. Pour s’éloigner de cette distraction, j’ai investi dans une boîte cadenassée sur laquelle il y a un minuteur. Si je la programme sur 3 heures, ce sont 3 heures pendant lesquelles la boîte est verrouillée et il m’est impossible de prendre mon téléphone. À part si je me lève et que je sors consciemment de mon « flow », rien dans mon champ visuel ne doit venir me perturber. J’ai aussi la chance d’avoir un bureau chez moi, et lorsque j’ai vraiment besoin d’être concentré, je pose un écriteau sur la porte en demandant à ne pas être dérangé jusqu’à une certaine heure. Je veux être pleinement présent dans mon travail et pour les personnes avec qui je vis, mais pas n’être qu’à moitié dans l’un et dans l’autre en même temps. »

Définir ses priorités

  • Rebecca (prénom d’emprunt), créatrice d’une start-up juridique en région parisienne

« Je suis maman d’une petite fille et d’un adolescent autiste qui n’est scolarisé que partiellement, et dont l’auxiliaire de vie n’est pas toujours présente. J’ai une nounou de secours, mais mes journées de travail sont hachées par de multiples rendez-vous avec l’école, l’orthophoniste, l’ergothérapeute, le psychomotricien, le psychologue… Il m’arrive souvent de travailler la nuit, parce que c’est un moment calme où il n’y a aucune urgence à gérer, ni personne pour solliciter mon attention. La journée, je limite les visioconférences avec un minuteur, pour ne pas me laisser déborder par le travail. Mon emploi du temps est entièrement conditionné par mon fils, toujours dans le respect mutuel de mes clients : tous mes interlocuteurs savent que si l’école me téléphone, je peux décoller dans la minute. C’est une organisation stricte et adaptée à ma famille, et je mise plus sur le résultat que sur l’emploi du temps ! Je me donne toujours pour objectif de finir une tâche à une certaine date, et je fais mon maximum pour respecter cette deadline. Mes collaborateurs ont compris et accepté mon fonctionnement, et ils savent que j’effectue mes missions dans les temps. »

Sortir de son lit le matin, rester concentré sur ses tâches, ne pas se faire happer par Netflix ou le placard à gâteaux, jongler entre les cris des enfants et les visios avec son N+1… Le chemin vers un télétravail efficace est semé d’embûches, mais si celui-ci est mis à profit et que les conditions matérielles sont réunies, il peut aussi devenir une source d’épanouissement. « Beaucoup de freelances choisissent cette voie pour reprendre le contrôle de leur existence, que ce soit par la géographie, l’emploi du temps ou sur ce quoi ils travaillent. Ce que l’on sait moins, c’est qu’un salarié aussi peut redesigner son temps », appuie Thomas Burbidge. La nuance réside dans le fait que le salarié ne compose pas avec ses clients ou collaborateurs, mais avec ses supérieurs et collègues. Casser les codes traditionnels de l’entreprise et du présentéisme peut ainsi permettre de repenser sa méthode et pourquoi pas, de tendre vers un fonctionnement plus malléable et productif. Selon le spécialiste de la vie en freelance, les indépendants peuvent indéniablement souffler de nouveaux rythmes de travail aux salariés : « L’accélération du télétravail vient challenger nos normes, à nous de nous questionner sur ce qui est le plus au service des objectifs et besoins de chacun. »

Article édité par Romane Gannevale
Photo de Thomas Decamps

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