Entretien de fin d'année : faut-il passer aux évaluations collectives ?

22 déc. 2021

5min

Entretien de fin d'année : faut-il passer aux évaluations collectives ?
auteur.e
Paul Herbert

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L’entretien annuel individuel vivrait-il ses dernières heures ? Massivement utilisé pour évaluer la performance des collaborateurs et fixer les contours de leur parcours pro, il est l’un des moments clés de la fin d’année. Pourtant, cet outil est loin de faire l’unanimité : 95 % des managers ne sont pas satisfaits du système d’entretien annuel et 70 % des responsables RH l’estiment inefficace (étude Deloitte 2017). Pour innover, certaines entreprises misent sur l’évaluation collective. Quels sont les avantages et les limites de cette pratique ? Décryptage.

C’est un fait, les entretiens individuels de fin d’année n’ont plus la cote.

Les raisons de cette défiance sont multiples :

  • Un manque d’objectivité : en ne prenant en compte que le prisme du manager, l’entretien individuel occulte la nature collective et l’interdépendance des relations entre les collaborateur·rice·s d’une équipe. Et comme il se déroule souvent en tête-à-tête, il favorise les personnes qui maîtrisent la négociation.
  • Une trop grande irrégularité : l’entretien annuel intervient trop tard et de manière trop espacée pour amorcer un véritable changement. De fait, il peut créer un sentiment d’injustice chez l’employé·e à qui on ne donne pas les moyens de s’améliorer au moment où il/elle en a besoin.
  • Une inadéquation avec les nouvelles attentes des salarié·e.s : l’entretien annuel vient renforcer la relation de subordination entre manager et managé·e.s, là où les nouvelles générations attendent discussion, collaboration et échange dans leurs rapports professionnels.

Face à ces problématiques, certaines entreprises font le pari de l’évaluation collective et du feedback permanent. Mais en pratique, comment organiser ces moments d’échanges en équipe ? L’évaluation collective constitue-t-elle la solution miracle ?

L’évaluation collective : mode d’emploi

Il existe plusieurs manières de mettre en place ces « évaluations collectives », mais le principe reste toujours le même : inviter d’autres membres de l’entreprise à donner leur avis sur le/la collaborateur·rice pour compléter l’évaluation du/de la manager. C’est le choix qui a été fait chez le cabinet d’audit et de conseil Mazars. « Une fois par an, nous avons une campagne 360° pendant laquelle chaque employé va s’autoévaluer et demander à un collège de répondants à la fois au-dessus, en dessous et au même niveau que lui, de l’évaluer sur ces mêmes compétences », explique Marine Galéa, responsable du développement des talents. Ce processus d’évaluation collectif fait la part belle à la responsabilisation : le/la collaborateur·rice va généralement pouvoir choisir les personnes qui vont l’évaluer dans son équipe en plus de son/sa manager.

Dans un processus d’évaluation collective classique, on peut donc voir ces étapes émerger :

  • Une phase d’auto-évaluation : qui permet au collaborateur de donner son ressenti sur sa performance de l’année,
  • Un entretien individuel classique : entre manager et managé,
  • Une phase d’évaluation par les pairs : encadrée par une charte d’entretien construite en amont qui permettra aux personnes interrogées de donner leur avis de la manière la plus constructive possible. Maja Wolkiewicz, talent acquisition manager chez Trustpair, travaille à la mise en place de cette pratique au travers « de fiches compétences par métier et par séniorité, qui permettront aux personnes choisies de donner une note au collaborateur, accompagnée d’un commentaire expliquant leur décision ».

S’ensuit alors une harmonisation entre les différentes sources d’évaluation pour renseigner les managers et les responsables RH dans le traitement de salaire ou l’octroi d’une éventuelle promotion.

Égalité et team building : les bénéfices de l’évaluation collective

L’entretien collectif ajoute des étapes au processus d’entretien annuel classique : on peut donc être tenté d’y voir des efforts superflus. Pourtant, les bénéfices que l’entreprise et les collaborateur·rice·s peuvent retirer de cette approche délinéarisée sont remarquables. Tout d’abord, via cet outil, on s’assure d’avoir une évaluation plus juste. Selon Céline Méchain, DRH de la société Platform.sh et experte du Lab Welcome to the Jungle, l’évaluation collective permet au/à la manager d’avoir une vision plus complète du collaborateur·rice évalué·e, dépassant ses propres biais. C’est donc un excellent moyen de gommer des inégalités d’opportunités et de salaires qui peuvent se développer à la suite d’un entretien individuel. « Ne plus être dans cette relation un peu perverse qui privilégie les personnes bonnes en négociation et en politique, donne plus de chance à la diversité, puisqu’on n’est plus sur une évaluation individuelle, mais sur une évaluation collective », précise-t-elle.

Et puis à l’échelle de l’entreprise, c’est aussi montrer que le travail d’équipe compte. C’est replacer le collaborateur·rice dans un collectif. En considérant l’avis des employé·es, on valorise « le partage des connaissances, la cohésion, la collaboration et l’engagement plutôt que l’aspect compétitif », affirme Céline Méchain. À terme, l’entreprise se retrouve gagnante car ses membres ne jouent plus les un·e·s contre les autres, mais collaborent en bonne intelligence.

Pas de place pour l’impro

Si l’évaluation collective semble être une solution toute trouvée pour pallier les défauts du traditionnel entretien annuel, elle nécessite tout de même d’importants efforts de mise en place et, mal exécutée, elle peut avoir des conséquences néfastes sur les équipes et l’entreprise. C’est ce que confirme Maja Wolkiewicz, qui a observé des dérives dans une entreprise pour laquelle elle a collaboré : « Cela peut parfois être anxiogène, quand il y a des feedbacks trop forts ou trop durs, une évaluation collective mal conduite peut causer quelques départs. »

C’est pourquoi il est important d’assurer une formation continue de tou·te·s les collaborateur·rice·s dès leur arrivée dans l’entreprise. Pour Céline Méchain, il est vital d’accompagner les personnes qui participent à l’exercice, sans quoi, le retour ne sera pas de qualité : « Cela ne s’improvise pas. On n’est pas forcément formé à donner un avis, il faut savoir prendre du recul. Il faut être extrêmement factuel, éviter les jugements de valeur. Il y a une manière de donner un retour pour que cela soit bienveillant et utile. L’objectif est d’apporter au collaborateur des critiques constructives qui lui permettront de grandir. » Il faut donc prévoir de sensibiliser le personnel, d’établir des guidelines pour structurer les feedbacks, de faire de la pédagogie auprès des managers – qui seront peut-être encore habitué·e·s aux entretiens individuels.
Le feedback permanent, l’autre face indispensable de l’évaluation collective

Avec l’évaluation collective, un autre problème persiste : en n’intervenant qu’une ou deux fois par an, l’entretien collectif ne permet pas à une équipe et aux individus qui la composent de réagir assez vite face aux changements quotidiens qui interviennent dans une entreprise. Pour Luc Bretones, expert du Lab Welcome to the Jungle et co-auteur du livre L’Entreprise Nouvelle Génération, quand on manage une équipe, il faut entrer dans un mode d’évaluation continue : « Les gens ont besoin d’avoir des feedbacks tous les jours et des retours d’expérience cadencés sur le mois ou la semaine plutôt que sur le trimestre ou le semestre ». Pour pouvoir s’adapter rapidement, il faut pouvoir évaluer à chaud, au plus près de ce qui est fait afin de « faire évoluer les collaborateurs et non les accabler ».

Le feedback permanent permet de rectifier cette rigidité que peut avoir l’entretien annuel, qu’il soit collectif ou individuel. C’est pour cela qu’en plus de leurs évaluations collectives, les employé·e·s de Mazars peuvent aussi demander à recevoir un feedback ou le donner à n’importe quel moment de l’année et idéalement, le plus souvent possible. Ces feedbacks se déroulent toujours en face-à-face et à l’oral pour éviter les incompréhensions de l’écrit. En complément, un outil en ligne permet de consigner ce qui a été dit et de faire un suivi régulier, à la fois pour la personne qui reçoit le feedback et pour celles qui le donnent.

Voilà qui présente un double avantage : d’une part, cela améliore la performance des collaborateur·rice·s et plus généralement de l’équipe, puisque les problèmes peuvent être abordés aussitôt. D’autre part, cela facilite grandement l’exercice de l’entretien annuel car il n’est plus nécessaire de retracer toute l’histoire du collaborateur·rice et de son année. Grâce au feedback, on peut réaliser une synthèse de ses missions, tout en mettant l’accent sur son évolution plutôt que sur ses succès et ses erreurs. Au final, ce parti pris permet de suivre l’évolution des collaborateur·rice·s et de réagir au compte-goutte pour mieux les accompagner dans leur réussite… Et ça, « les employés le reçoivent très bien, ça les rassure même », conclut Maja Wolkiewicz.

Photo par Thomas Decamps
Article édité par Héloïse De Montety et Ariane Picoche

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