Les "serial candidats" : ces salariés sont accros aux entretiens d'embauche

20 oct. 2022

5min

Les "serial candidats" : ces salariés sont accros aux entretiens d'embauche
auteur.e
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

À la manière d’un éternel adepte des préliminaires, certains salariés ne boudent pas leur plaisir quand il s’agit de passer des entretiens, qu’ils soient ou non en recherche active. Quelles sont leurs motivations ? Simple coup de boost ou inclinaison constructive ? Et surtout, cette infidélité peut-elle comporter des risques ? Quand faut-il savoir s’arrêter ? On fait le bilan.

Des candidats qui sont en veille permanente et multiplient les process de recrutement de manière simultanée ? La chose est plus commune qu’il n’y paraît. C’est ce que nous confirme Émilie Narcy, Directrice des opérations chez Approach People Recruitment. Une curiosité qui représente une aubaine pour les cabinets de recrutement et les entreprises, « puisque nous avons besoin d’avoir de nombreuses personnes dans le pipe pour trouver le candidat idéal ». En France, le phénomène est plutôt nouveau, mais beaucoup plus fréquent dans les pays du Nord de l’Europe où quitter un job tous les deux ou trois ans est gage de stabilité, comme l’atteste notre interviewée dont le cabinet œuvre à l’international.

Une autre question nous brûle les lèvres : ce goût pour les entretiens serait-il davantage symptomatique chez les jeunes générations ? Pas forcément, selon notre experte. Comme en amour, la phase des trois ans demeure toujours charnière pour un employé qui a généralement besoin d’évoluer une fois qu’il maîtrise parfaitement son job. Reste qu’il semble naturel pour les jeunes diplômés de multiplier les process et les jobs avant de réellement se trouver. « On ne se marie plus comme avant avec son entreprise. L’entreprise consomme de la main-d’œuvre en échange d’un salaire. Il n’y a pas de raison que les candidats ne consomment pas l’entreprise à l’inverse. Avec la fluidification du marché du travail, le rapport de forces s’est rééquilibré, et c’est bien », lance Émilie Narcy.

Des process de recrutement plus sexy

Pour attirer les candidats, les entreprises ont gamifié leur recrutement et changé leur mode opératoire. Les phases d’approche laissent une large place à la rencontre humaine (via les entretiens de culture fit par exemple), quand les phases finales permettent au candidat de s’immerger pleinement dans l’entreprise et de pouvoir appréhender au maximum les enjeux et modes opératoires de la société qu’ils vont peut-être rejoindre.

Une évolution qui a fait mouche auprès de Corentin, 37 ans, Directeur Général d’une PME. Alors que le couple qu’il formait avec son PDG battait de l’aile, il s’est lancé dans une longue série d’entretiens, afin de trouver une nouvelle opportunité professionnelle. « J’ai été approché par une célèbre licorne française, et j’ai beaucoup apprécié les échanges que j’ai eu avec la personne qui m’a contacté. C’était une opérationnelle, car cette société valorise le recrutement par les pairs. J’ai pu obtenir de nombreuses informations sur l’entreprise, et le feeling est vraiment bien passé. » Une autre fois, Corentin a rencontré le fondateur d’une entreprise avec lequel le courant est particulièrement bien passé. Bref, en quelques mois, il a cumulé de nombreuses expériences positives.

Une manière de s’évaluer sur le marché de l’emploi

Pour Émilie Narcy, passer des entretiens présente plusieurs avantages, même si vous n’avez pas envie de claquer la porte de votre entreprise : « Cela permet non seulement de savoir ce que l’on vaut sur le marché, mais aussi de faire évoluer son poste actuel en prenant du recul. » D’ailleurs, des entreprises comme Netflix encouragent leurs candidats à se faire chasser et à donner du feedback pour rectifier ce qui doit l’être. Jauger sa valeur sur le marché de l’emploi, c’est notamment ce qui motive Stéphanie, directrice commerciale dans l’hôtellerie, à passer des entretiens, environ deux fois par mois. Il faut aussi savoir que dans son secteur, 80% des opportunités transitent directement par le réseau. « En passant des entretiens, je vérifie mon employabilité. Cela m’a permis par exemple de me rendre compte que j’avais des lacunes sur l’aspect digital de ma profession », rapporte-t-elle.

Le goût du challenge et du networking

Il ne faut pas non plus le cacher : passer de nombreux entretiens, c’est un peu comme multiplier les flirts. Et parfois, ça peut donner le tournis. C’est ce que nous confie Marlène, 33 ans, responsable marketing. « J’ai toujours du mal à me décider quand je dois prendre un nouveau poste. J’ai notamment peur de l’engagement en CDI. C’est vrai que je prends beaucoup de plaisir dans les phases d’entretiens, parce que c’est valorisant de plaire et de s’ouvrir au maximum le champ des possibles. Au moment de conclure, il peut alors m’arriver de paniquer car je ne suis pas vraiment certaine de vouloir intégrer l’entreprise », souligne-t-elle.

Pour Stéphanie, c’est le goût du challenge qui l’emporte. « Il y a un vrai enjeu à passer les étapes. Ce stress positif me booste, j’ai envie de plaire », nous confie-t-elle. Il est vrai que les entretiens peuvent donner un petit coup de boost à l’ego quand ils se soldent par l’envie pour les recruteurs d’aller plus loin. Pour Émilie Narcy, passer des entretiens permet de renforcer la confiance en soi, notamment si cela fait longtemps que l’on n’a pas mis le pied à l’étrier. De plus, les entretiens aujourd’hui sont faits de telle sorte qu’il ne s’agit plus de se cantonner aux questions plan-plan comme les fameuses qualités et défauts. Un point apprécié par Stéphanie qui se plaît à développer ses soft skills à chaque rencontre : « Je suis quelqu’un de très énergique. Cela plaît ou déplaît. Mais lorsqu’un entretien n’aboutit pas, j’essaie de réfléchir à ma posture pour la prochaine fois. À chaque fois, c’est constructif, dans un sens ou dans l’autre ». Elle nous confie ainsi qu’il lui arrive de demander du feedback au recruteur quand elle ne comprend pas les raisons d’un refus, afin de continuer à progresser.

Quelques mises en garde contre l’excès d’entretiens

S’il s’avère généralement positif de passer des entretiens, reste que cela ne doit pas prendre toute la place, à moins que l’on soit complètement certain de vouloir quitter le navire. « Quand je passais beaucoup d’entretiens, j’étais à 80% dans mon travail. Or, à un poste de DG, je dois être à 100% », rapporte-t-il, avant de nous révéler son verdict final : à savoir qu’il n’a pas quitté son entreprise. « J’ai clairement dit à mon patron que je cherchais ailleurs. On a eu une discussion franche et nous avons pu redresser la barre », rapporte-t-il.

Concentrez-vous sur trois points

Outre le risque d’être totalement défocalisé de son travail, l’idée n’est pas non plus de faire perdre son temps au recruteur. Pour cela, Émilie Narcy conseille de se concentrer sur trois points avant de se lancer dans un processus de recrutement : êtes-vous vraiment intéressé par le poste, l’entreprise, et le contexte de travail (salaire, politique de télétravail etc) ? « On ne peut pas prendre un job que pour des motifs financiers. Il faut qu’au moins deux des critères soient cochés pour se lancer dans le process. Passer des entretiens doit servir une quête de sens, permettre de construire son projet professionnel », souligne-t-elle. Elle ajoute aussi qu’il incombe aux entreprises et cabinets de recrutement de savoir démêler ce qui relève ou non de la bonne motivation chez un candidat pour tenir sur la durée.

Préparez-vous même si vous n’êtes pas très intéressé.e

Enfin, notre experte en recrutement recommande de venir toujours préparé à un entretien, même s’il s’agit juste d’aller voir ce qui se passe ailleurs sans grande conviction. Fiche de poste, identité de l’interlocuteur, informations minimales sur l’entreprise… (la base) ! C’est essentiel parce qu’il s’agit autrement d’un manque de respect pour le recruteur. Mais pas que. Vous ne savez jamais de quoi demain sera fait, et il se peut que vous recroisiez ce même recruteur dans une autre entreprise, qui, cette fois-ci, vous intéressera vraiment.

Vers une érosion du désir ?

Si le contexte actuel est propice à la multiplication des rencontres, les choses pourraient évoluer à la faveur de deux éléments. Tout d’abord, « si le marché vient à se retendre, les candidats seront beaucoup plus frileux à aller voir ailleurs », analyse Émilie Narcy. Elle souligne aussi que tout comme les développeurs - véritables golden candidates ces dernières années - une certaine lassitude peut se créer lorsque l’on passe beaucoup d’entretiens. « Aujourd’hui, les développeurs n’ont plus envie d’être chassés. Ils ne veulent postuler que dans les entreprises qui les intéressent vraiment », poursuit-elle. Il se pourrait donc que le même phénomène se produise au sein de la population générale.

Alors, que vous soyez ou non un aficionado des entretiens, ne vous détournez jamais du sens que vous mettez ou trouvez dans vos interactions. Que vous décidiez ou non de quitter votre entreprise, passer des entretiens doit toujours demeurer constructif. Vous pouvez également proposer à des personnes dont le job vous intéresse à prendre un café avec vous. Il s’agit d’ailleurs d’une pratique très courante dans l’univers des startups. Cela est moins engageant et vous apportera les mêmes bénéfices en matière de networking !

Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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