Ce qu’un entretien d’embauche ne vous dit pas d’un candidat

04 mai 2023

6min

Ce qu’un entretien d’embauche ne vous dit pas d’un candidat

Biais cognitifs, intuition, graphologie ou test de personnalité, l’entretien fait la part belle aux méthodes ésotériques et à la « pensée magique ». Pourtant, il figure au premier rang des pratiques universelles de recrutement. Quelles sont les limites notables à la rencontre réelle du candidat ? Et comment y remédier ? Décryptage avec nos experts Laetitia Vitaud, Céline Méchain et Léo Bernard.

Quand l’entretien prédit l’adéquation d’un candidat à un poste

« Je vois bien ce candidat faire le job », « J’ai un bon feeling », « Je pressens que c’est la bonne personne… » En entretien, le recruteur c’est un peu Madame Irma sans sa boule de cristal, son tarot et ses feuilles de thé. Censé prédire l’adéquation entre un candidat et son futur poste, il laisse souvent libre cours à son interprétation et son intuition. Généralement fondée sur la lecture d’un CV et un entretien non structuré, la décision de recrutement repose in fine sur la première impression du recruteur.

Process d’évaluation cognitif rapide, non conscient et chargé d’émotions, l’intuition n’est pourtant pas une science exacte. De nombreuses études montrent, au contraire, qu’elle ne permet pas au recruteur d’évaluer avec précision la personnalité, les compétences et les capacités d’un candidat. « Il est difficile de dire si l’intuition a toujours tort ou toujours raison, explique Laëtitia Vitaud. C’est un moyen de prendre des décisions rapidement, mais elle repose sur l’analyse d’expériences passées. L’intuition fonctionne comme une base de données qui nous est propre. Elle n’est ni vraie, ni fausse, mais elle favorise la reproduction de ce que l’on connaît déjà et empêche ainsi la diversification. »

Or, à chaque étape du processus de recrutement, le candidat se trouve confronté à un entretien. « L’entretien est la pierre angulaire du processus de recrutement, reconnaît Céline Méchain. Pourtant, il ne constitue pas tout le processus de recrutement. Il revient simplement à répondre à la question “Est-ce que candidat et entreprise veulent travailler ensemble ?” Il doit être complété par des tests techniques qui permettent de vérifier les compétences et capacités du candidat. » La controverse ne vient donc pas tant de l’entretien en lui-même, mais de l’importance qu’on lui octroie dans le processus de recrutement.

« Le fait d’accorder cette place reine à l’entretien, comme une étape de sélection du profil du bon candidat avec cette idée selon laquelle c’est le moment où l’on voit tout et on laisse libre cours à son intuition et ses tripes, comme un coup de foudre, est très problématique, avoue Laëtitia Vitaud. Car, dans la majorité des cas, il y a un décalage assez fort entre les compétences qui sont mises en œuvre en entretien et celles recherchées pour le poste. Les critères qui déterminent le recrutement d’un candidat devraient davantage reposer sur des éléments objectifs : une étude de cas, un portfolio, une mise en situation… »

Entretien divinatoire : les limites notables à la connaissance réelle du candidat

Coups de chance, intuition et prédictions… comme la diseuse de bonne aventure, le recruteur a ses petits trucs. S’il peut ressortir d’un entretien avec bon nombre de certitudes, il ne prédit pourtant rien de l’avenir. Car, quel que soit son don de clairvoyance, l’entretien comporte certains obstacles à la connaissance réelle du candidat.

Le pouvoir des biais cognitifs

Biais mnésiques, biais de projection ou encore effet de halo, « l’entretien est par nature biaisé parce qu’il est fait par des humains, pour des humains, résume Céline Méchain. Notre façon d’apprécier un CV et de mener un entretien est prédéterminée par notre culture, notre perception, nos propres filtres. On peut toujours circonscrire le risque mais on ne peut éviter certains biais. Le recrutement est et demeure une prise de risque pour le candidat et l’entreprise. » Près de dix ans d’études sur les biais cognitifs ont en effet montré les erreurs de jugements que l’intuition et la première impression pouvaient véhiculer. « On s’est aperçu qu’on avait tendance à ne recruter que des personnes qui nous ressemblent, à accorder trop de poids à des critères secondaires comme le fait que quelqu’un ‘’présente bien’’, comme si cela présageait de ses compétences… Résultat ? On est passé à côté de gens talentueux », observe Laëtitia Vitaud. Alors que faire ? Se former à l’esprit critique ? Chasser le moindre petit biais ? « Certes, nous avons aujourd’hui davantage conscience des biais cognitifs, reprend l’experte. Pour autant, l’esprit critique ne suffit pas pour éviter les biais. Encore faut-il créer des processus qui permettent de les neutraliser en partie. Le recruteur doit donc créer son panel de critères avec indicateurs, tests et mises en situation pour pallier ses premières impressions. »

L’influence du stress

Biaisé, l’entretien est également un exercice stressant. « Il est tellement mal pratiqué en général qu’on appréhende d’être maltraité ou mis sur la sellette », déplore Léo Bernard, fondateur de Blendy et expert en recrutement. Même si l’entretien a aujourd’hui évolué vers un échange plus bienveillant entre candidat et recruteur, il demeure angoissant et ne permet pas de rencontrer sereinement l’autre tel qu’il est. « Nous n’avons pas tous la même capacité à gérer ce type de stress très ponctuel, constate Laëtitia Vitaud. Des personnes peuvent être tétanisées durant l’entretien, ce qui ne prédit en rien de leurs capacités à gérer un stress plus diffus au travail. Ce stress n’est pas de même nature. Il y a des personnes qui perdent leurs moyens en entretien et d’autres qui, au contraire, se dépassent ou surperforment. » Selon la réaction au stress de chaque candidat, il sera en mesure de révéler ou non ses pleines capacités.

Les méthodes innovantes pour en finir avec l’entretien « boule de cristal »

Stress, biais cognitifs, intuition erronée… le processus de recrutement n’est clairement pas infaillible. Pour autant, il existe des méthodes innovantes plus précautionneuses des dérives de l’entretien. Petit tour avec Léo Bernard de ces techniques qui rendent le recrutement moins ésotérique.

Faire de l’entretien de découverte une rencontre humaine

L’entretien de découverte ne doit pas être abordé comme un entretien d’évaluation. Aujourd’hui conçu comme un entretien de pré-qualification, sorte de check-list des compétences élémentaires du candidat, il ne laisse aucune place à l’échange. Au lieu d’un premier entretien « mécanique et trop académique », Léo Bernard préconise une rencontre « humaine et empathique ». « Il faut au contraire arriver à gagner la confiance des candidats, explique-t-il. À ce stade, le rôle du recruteur n’est pas d’évaluer le candidat ou de lui donner envie de rejoindre la boîte, mais simplement de comprendre la personne qu’il a en face de lui. Toutes les questions qu’il pose doivent être liées à la personne et ont pour visée de comprendre qui elle est. »

Évincer les biais avec l’entretien structuré

Qu’il s’agisse de l’entretien de découverte ou de l’entretien structuré, pour pallier les errances intuitives du recruteur, Léo Bernard recommande l’usage de l’entretien structuré. « L’idée de l’entretien structuré est d’associer à chaque étape du process de recrutement un objectif, détaille le formateur. À tous les niveaux, le recruteur doit s’interroger : qu’est-ce qu’on va évaluer en termes de soft skills, de hard skills, de motivation, de potentiel ? Idéalement, l’entretien devra être réalisé par deux personnes distinctes. » Globalement, l’entretien structuré suit toujours le même cadre : « le kick off » est une réunion de concertation qui détermine les compétences recherchées et l’objectif de recrutement. Puis, le recruteur élabore une grille de questions (une trentaine) afin de vérifier chacune des compétences. Enfin, « le recruteur doit définir ce qu’est une bonne ou une mauvaise réponse aux questions posées », insiste l’expert. Une dernière étape souvent négligée qui permet de noter le score de chaque candidat de façon objective.

Par-delà les prédictions : les mises en situation

Test, cas pratique, business case, mise en situation… autant d’appellations pour désigner ces moyens concrets de vérification des compétences avancées sur un CV. « L’objectif est de voir le candidat exploiter de vraies compétences, détaille Léo Bernard. Par exemple, il sera demandé à un candidat community manager de réaliser une campagne de posts sur les réseaux sociaux. C’est l’opposé d’un test de personnalité qui est abstrait et décorrélé des compétences. » Une méthode d’évaluation qui figure parmi les plus fiables tant que les compétences testées sont en adéquation avec le poste à pourvoir.

Jouer la carte de la transparence avec le « kit candidat »

Enfin, pour jouer la carte de l’authenticité de la rencontre et éviter les confusions liées au stress que génère un entretien, le formateur suggère d’adresser un « kit candidat » en amont du premier entretien. « La transparence sur les détails du processus de recrutement permet de relativiser ce stress, analyse-t-il. Recevoir les questions qui seront posées au cours des entretiens assure un échange dans des conditions optimales. Quand on sait avec qui on va parler, pendant combien de temps, pour vérifier quelles compétences et à partir de quelles questions, inévitablement le stress retombe. »

« Je vois, je vois… » Un processus de recrutement personnalisé à chaque candidat. Et si l’avenir c’était ça ? C’est la vision utopique du recrutement du futur que se plaît à imaginer Léo Bernard. « Dans un monde idéal, précise-t-il, à la manière de ‘’l’adaptative learning’’, on pourrait avoir un ‘’adaptative interviewing’’, un process de recrutement qui s’adapte au candidat que l’on a en face de soi. Pour vérifier une même compétence, on pourrait ainsi proposer à chaque candidat de choisir entre : un cas pratique maison, un test jeu vidéo et un entretien structuré. » Faut-il y croire ? Impossible à vérifier. En attendant, recruteurs, méfiez-vous de l’intuition et redoublez de précautions dans vos prédictions.


Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ