Entretien d'embauche : identifiez et surmontez le biais de contraste

22 mai 2024

4min

Entretien d'embauche : identifiez et surmontez le biais de contraste
auteur.e
Barbara Azais

Journaliste freelance

contributeur.e.s

Il est parfois difficile de prendre du recul et d’être objectif lors d’un processus de recrutement. Notamment à cause du biais de contraste qui altère le jugement et peut nous faire passer à côté d’une pépite. Voici comment atténuer son impact.

« Lorsque j’ai reçu ce candidat en entretien, j’ai été impressionnée par son aisance et son charisme, raconte Délia (1), 37 ans, manager dans le tourisme. Il semblait si sûr de lui, si qualifié pour le poste, que sa candidature s’est tout de suite démarquée des autres. J’ai vu d’autres candidats par la suite, mais aucun ne semblait l’égaler. Je l’ai donc embauché… » Ce que Délia décrit s’appelle le biais de contraste (ou effet de contraste). Il s’agit d’une altération de la perception, du jugement et de l’objectivité. Dans le recrutement, cela peut se produire lorsqu’un recruteur reçoit un excellent CV ou un excellent candidat en entretien : cela crée un standard dans son esprit, auquel il va inconsciemment comparer toutes les autres candidatures ou personnes qu’il va recevoir. Et bien entendu, le contraste entre ce profil jugé incroyable et les autres (qui peuvent être bons aussi) impacte son objectivité. En comparant une chose bien à une chose exceptionnelle, nous avons tendance à la juger moins qualitative qu’elle n’est en réalité.

En témoigne la suite du récit de Délia : « Lors de ce processus de recrutement, j’ai également rencontré une candidate assez timide, poursuit-elle. Elle ne me semblait pas aussi convaincante que le candidat charismatique, mais je l’ai tout de même recrutée pour un autre poste. Résultat : elle s’est révélée être compétente, vive et engagée. Contrairement à celui qui m’avait subjuguée par sa prestance, mais qui ne saisissait rien et n’était finalement pas du tout investi ». Selon Marie-Sophie Zambeaux, fondatrice du cabinet de conseils ReThink RH et spécialiste du recrutement, « même si une personne se démarque des autres par effet de contraste, il n’est pas forcément le candidat adéquat pour pourvoir le poste ». En outre, bien qu’il s’agisse d’un biais cognitif naturel, ce phénomène peut induire les recruteurs en erreur. Et surtout, les faire passer à côté de bonnes candidatures.

Alors comment garder la tête froide en entretien et comparer les candidats en toute objectivité ? Comment ne pas se laisser « aveugler » par ce qui semble être un profil en or et ne pas passer à côté d’une pépite ?

5 conseils pour contourner le biais de contraste

1. Informez et formez les recruteurs

« Tout d’abord, rappelons qu’il est impossible d’éradiquer les biais cognitifs, répond Marie-Sophie Zambeaux. Mais on peut mettre en place des méthodes et garde-fous pour en réduire l’impact, afin de tendre vers un recrutement le plus objectif, pertinent et professionnel possible. » À commencer par informer toutes les personnes investies dans le processus de recrutement de l’existence de ce biais de contraste. « C’est la première étape incontournable, précise l’experte. Cette sensibilisation peut revêtir différentes formes, de la simple explication à une journée de formation dédiée aux biais cognitifs ainsi qu’à la manière dont ils impactent le travail et la prise de décision. »

2. Recrutez en équipe

Autre solution pour être sûr de réaliser un recrutement objectif et qualitatif : miser sur le collectif et « faire en sorte qu’un même candidat soit rencontré par plusieurs interlocuteurs – dans la limite de quatre entretiens maximums car il a été démontré qu’au-delà ce n’était pas productif », précise Marie-Sophie Zambeaux. L’idée est de « tirer parti du jugement de différentes personnes et de bénéficier de la “sagesse des foules” qui théorise que “faire la moyenne de jugements produits de manière indépendante par diverses personnes produit généralement un jugement plus exact” ».

Attention cependant, œuvrer en équipe nécessite d’élaborer une stratégie collective en amont du processus de recrutement. Notamment pour éviter que chaque individu qui reçoit les candidats ne partage son opinion avec la suivante et n’influence son jugement – c’est ce que l’on appelle alors le biais en cascade. Car dans ce cas, le recours au collectif biaise tout autant l’objectivité du recrutement et c’est le retour à la case départ. « Ce phénomène est encore plus prononcé lorsque le premier à s’exprimer est le chef ou le leader d’opinion. Toutes les personnes qui vont ensuite prendre la parole vont se sentir obligées de se ranger à son avis et de s’auto-censurer, non pas par conviction, mais par conformisme et peur éventuelle de déplaire. » Pour que le recrutement à plusieurs porte ses fruits, Marie-Sophie Zambeaux conseille que chacun se fasse son propre avis de façon indépendante et le partage avec ses collègues à la fin du processus seulement.

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3. Privilégiez l’entretien structuré

Out l’entretien traditionnel non structuré « jugé par de nombreuses études comme la plus mauvaise méthode de recrutement ». Et place à l’entretien structuré qui « est valable pour éviter l’effet de contraste et pour enrayer tous les biais en général ». On parle ici d’un entretien préparé en amont. Il est ainsi recommandé de se poser à plusieurs (la direction, les managers, les RH et/ou les salariés) pour définir les contours du poste à pourvoir, les objectifs et les principales compétences attendues. Puis de se répartir les questions à poser pour identifier ces qualités, de façon à ce qu’il n’y ait pas de redite d’un intervenant à l’autre. Et surtout, que cela ne devienne pas ennuyeux pour les candidats. Marie-Sophie Zambeaux suggère aussi de « poser une à deux questions – situationnelles ou comportementales de préférence – et de juger les réponses selon une grille de notation ayant été définie à l’avance ».

4. Pensez au recrutement immersif

Autre option, « miser sur des méthodes d’évaluation alternatives comme le recrutement immersif ». Lorsque c’est possible, mettre les candidats en situation peut vous donner une meilleure appréciation de leur potentiel. Vous pouvez par exemple imaginer des exercices ludiques, des cas pratiques ou encore des mises en situation réelles. C’est encore la meilleure façon d’évaluer précisément le savoir-faire, le savoir-être, les compétences et le bon sens d’un candidat, indépendamment de ce qu’affiche son CV ou de ce qu’il fait valoir en entretien.

5. Réfléchissez à votre prise de décision

L’important est de mettre toutes les chances de son côté pour faire LE bon choix. Et prendre une décision juste s’apprend. Déjà, il faut savoir que « le “comment” pèse six fois plus lourd que le contenu, le “quoi” », explique-t-elle en citant Olivier Sibony, expert de l’étude des biais cognitifs et comportementaux qui affectent la prise de décision. « Dans son livre Vous allez commettre une terrible erreur !, il nous invite à réfléchir à “l’architecture” de la décision. Autrement dit, à la manière dont le choix de recruter tel ou tel candidat va être fait. » En gros, vous devez décider à l’avance (avec vos collègues ou non) de la façon dont vous allez décider plus tard. « Il faut réfléchir sérieusement à comment et sur quelles bases sera prise la décision finale. Et ce, avant même que débute le processus de recrutement. » Cela permet d’avoir des points de repère et de suivre une trajectoire précise – ce qui, en plus de déjouer les pièges du biais de contraste, montrera aux candidats que votre entreprise est sérieuse et organisée.


(1) Le prénom a été modifié.

Article écrit par Barbara Azais, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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