Entrepreneuriat : pour ou contre s'associer avec son pote ?

25 janv. 2024

4min

Entrepreneuriat : pour ou contre s'associer avec son pote ?
auteur.e
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

contributeur.e

Ils étaient amis, s’associèrent et eurent beaucoup de… tourments. Voilà des histoires que l’on entend régulièrement et qui posent cette question légitime : et si, au fond, s’associer avec un pote était la plus mauvaise des idées ?

François et Noémie sont (ou plutôt étaient) amis depuis leur plus tendre enfance. Alors, quand le premier propose à la seconde de s’associer pour reprendre une société déjà existante, les étoiles semblent s’aligner. Tout feu tout flamme, le duo démarre son aventure sans même signer un pacte d’associés, certain que son amitié résistera aux tribulations inhérentes au business. Trois mois plus tard : la lune de miel est déjà terminée. « J’ai l’impression d’être la seule à faire tourner la boîte, tandis que mon associé ne pense qu’à se verser un salaire confortable sans songer à pérenniser la société », lance Noémie. De son côté, François estime faire sa part du travail et souhaiterait que son associée lève le pied et cesse de le culpabiliser. Résultat des courses : une amitié brisée et une communication au point mort puisque les deux partenaires s’évitent copieusement. Pas idéal pour faire fleurir leur petite entreprise.

« Il ne faut pas mettre tous les oeufs dans le même panier »

Ce type d’histoire, c’est précisément ce qui fait dire à Jérôme, fondateur d’une entreprise de plus de 1000 salariés, que s’associer avec un ami est tout sauf souhaitable. Sa vision ? « Statistiquement, il y a très peu de chances pour que notre associé idéal – c’est-à-dire qui présente des qualités et compétences complémentaires des nôtres – soit présent dans notre premier cercle de proches », affirme-t-il, estimant que les amis sont souvent trop semblables pour former de bons binômes.

Pour autant, à moins de s’adonner à un speed dating spécial entrepreneurs, il y a de fortes chances pour que le futur associé soit un ancien camarade de promotion ou collègue de bureau. Bref, il ne débarque pas de la lune. Jérôme n’a pas échappé à la règle : l’associé avec qui il collabore depuis plus de 15 ans a fait la même école que lui. « On s’entendait bien mais c’était juste un camarade de promo. Je suis allé vers lui car c’était la seule personne que je pensais capable de mener à bien ce projet avec moi. Lui est très perfectionniste, rigoureux et technique, quand je suis plus créatif, entreprenant et gestionnaire », explique-t-il. Il ajoute que réussir un projet business est déjà suffisamment compliqué pour que l’on n’ait pas à se fixer aussi pour objectif de ne pas faire péricliter son amitié.

Même s’il concède avoir développé de l’affection pour son associé, « tout simplement parce qu’on a vécu beaucoup de choses ensemble », Jérôme ne passe pas de moments hors travail avec ce dernier afin que chacun conserve son espace. « Nous avons des modes de vie très différents et je suis convaincu qu’il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier. Une entreprise n’a pas vocation à durer toute la vie donc il n’y a pas de raison d’être fusionnel car si tout venait à s’arrêter, il n’y aurait plus rien », poursuit-il.

Vous êtes fier de votre boîte ? Affichez-la sur Welcome to the Jungle !

Créez votre vitrine

« J’ai un niveau de confiance inégalable avec mon associé et ami »

Pour Jean-Noël, associé depuis plus de 10 ans avec son ami de longue date rencontré sur les bancs d’une école d’ingénieurs, la vision est diamétralement opposée. Après avoir griffonné leurs TP ensemble et s’être « pratiqués » en tant que binôme d’étudiants, tous deux ont monté plusieurs entreprises ensemble. En dehors du boulot, les compères aiment passer du temps en duo, notamment en haute montagne. « De la même façon que je ne vais jamais vérifier notre équipement d’alpinisme une fois que Florent est passé dessus, j’ai une confiance absolue en lui. Je pars du principe qu’il est bienveillant à mon égard, et je ne crois pas que je pourrais avoir cette relation avec une autre personne », nous confie-t-il, insistant sur l’importance de l’authenticité de leur relation. Et d’ajouter : « On partage de nombreuses références communes alors pour nous, les mots ont la même signification ».

Pour autant, Jean-Noël partage le même avis que Jérôme sur l’importance de la complémentarité, mais elle ne doit pas forcément être à 50/50 selon lui, et varie selon les projets. Il estime aussi que cette confiance qui les unit n’empêche pas l’instauration d’un cadre : les deux amis ont signé un solide pacte d’associés et édicté des règles claires pour sécuriser la relation. De même, ils se font régulièrement des feedbacks sans craindre de blesser l’autre. « Au départ, on avait beaucoup ritualisé ces moments. C’est vrai qu’avec les années, la communication est encore plus fluide et que l’on peut évoquer ces sujets n’importe quand, même en dehors du travail, mais je vois cela d’un œil positif », affirme-t-il, concluant que s’ils sont rapidement devenus amis, les années ont fait d’eux de véritables associés.

Qu’en dit la psy ?

Si les points de vue de Jérôme et Jean-Noël ne semblent pas vraiment réconciliables, qu’en disent les experts ? Julie Garel, psychanalyste et consultante en psychologie du travail, ne voit aucun obstacle à monter une entreprise entre amis. « Ce qui importe, c’est la maturité professionnelle, la capacité à faire preuve de discernement », estime-t-elle. Elle encourage d’ailleurs les entrepreneurs à utiliser dès le départ les outils de médiation pour anticiper les conflits potentiels à venir, via l’établissement de règles connues et partagées par les associés, qu’il s’agisse du pacte d’associés ou d’une charte morale.

Julie Garel insiste notamment sur 6 points clés :

  1. Avoir travaillé sur ses propres valeurs et celles de l’associé pour édicter les valeurs communes de l’entreprise.
  2. Fixer de concert les objectifs et modes de fonctionnement de l’organisation.
  3. Partager ses attentes et le niveau d’engagement attendu pour éviter les déconvenues.
  4. Capitaliser ensemble sur ses forces et partager ses fragilités, comme pourrait le faire un couple.
  5. Établir un audit de ce qui déclenche le conflit chez l’un ou l’autre afin que chaque partie soit informée et que la situation ne se reproduise pas.
  6. Travailler sur la manière de canaliser son agressivité envers son associé. La colère est une émotion qui peut être un moteur pour avancer, à condition que les deux partenaires aillent dans la même direction.

Au final, la thérapeute ne voit aucun obstacle à passer du temps ensemble en dehors du bureau, si l’envie est partagée et que la communication demeure fluide.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

Les thématiques abordées