Discriminé·e à cause de ma bipolarité, comment réagir ?

08 déc. 2022

8min

Discriminé·e à cause de ma bipolarité, comment réagir ?
auteur.e
Valentine Leroy

Journaliste freelance

contributeur.e

DEAR MARIE - Orientation sexuelle, religion, handicap… Les discriminations en tout genre sont malheureusement monnaie courante au sein des entreprises. Parce qu’il est temps de leur indiquer la porte de sortie, notre coach de survie et experte du Lab Marie Dasylva répond à vos problématiques du quotidien, en vous dévoilant les clés indispensables à votre défense, pour la préservation de votre santé mentale et votre bien-être en entreprise. Autant de conseils à destination des témoins ou victimes de discrimination pour vous permettre de prendre toute la place que méritent vos compétences !

Anna* ou l’épuisement face à l’acharnement validiste

Chère Marie, j’ai besoin de ton aide pour comprendre comment faire face à une situation qui me laisse démunie. Je suis secrétaire médicale. Et avec mon responsable des ressources humaines comme avec ma patronne, ça se passe mal. Je suis arrivée dans cette structure en stage, pour valider ma formation de secrétaire médicale. J’ai ensuite été placée en CDD, en remplacement de congés estivaux. Puis, à nouveau prolongée pendant 18 mois afin de remplacer un collègue lors de son départ en retraite. Pendant trois mois, j’ai notamment travaillé sans avoir signé un seul contrat.
Le RH ne m’appelle jamais par mon prénom. Il l’écorche sans arrêt. La première fois que je l’ai rencontré, il m’a expliqué qu’il avait effectué des recherches sur moi sur le net. À partir de là, j’ai eu peur, parce qu’en cherchant mon nom, on tombait à l’époque sur une tribune que j’ai signée en tant que personne bipolaire, pour soutenir un meilleur accès aux soins dans les hôpitaux psychiatriques, ainsi qu’un article que j’ai co-écrit sur l’errance médicale et le manque de prise en charge des patients ayant une maladie psy. Depuis ce jour, j’ai commencé à recevoir des réflexions insidieuses et récurrentes au travail, suffisantes pour que je comprenne que ma pathologie était connue, mais pas assez pour les prendre à partie. Lorsqu’ils embauchaient quelqu’un, ils leur arrivaient de dire par exemple : « On va essayer de ne pas en prendre une dépressive, cette fois-ci. »

Un jour, j’ai été convoquée par le RH suite à une demande d’informations sur mon avenir dans cette structure - à deux jours de la fin de mon CDD, je ne savais toujours pas si j’allais être renouvelée ou non… Lors de ce rendez-vous, je me suis vue reprocher, synthèse écrite à l’appui, d’avoir des moments de spleen, mon caractère et ma nonchalance ayant des effets négatifs sur mon travail avec mes collègues et au sein de l’entreprise. Le RH a ajouté que si je persistais dans cette voie, il serait obligé de prendre des mesures disciplinaires et se séparer de moi. J’ai senti du validisme dans son discours, mais avec ma bipolarité, j’ai eu peur que ce soit de la paranoïa.
En plus de cela, ma patronne a fait de moi son souffre-douleur. Elle me reprend sans arrêt froidement, mais laisse passer des erreurs similaires chez mes collègues. J’ai essayé de discuter avec elle de cette différence de traitement, en lui disant que mon but était que tout se passe bien au travail. Elle m’a répondu, énervée, qu’elle avait besoin de me tester pour savoir si j’étais une bonne secrétaire… Autre problème : elle a perdu le compte-rendu de mon évaluation annuelle, avec ma feuille d’augmentation face à l’inflation. Il y a un acharnement à mon égard et je ne sais pas quelle attitude adopter face à cette situation.

Ce qui me met la puce à l’oreille concernant l’acharnement validiste, c’est le fait qu’ils ne se comportent comme ça qu’avec une autre fille du cabinet, également en dépression. À travers leurs actes et leurs discours, j’ai l’impression qu’ils ont du mal avec les personnes avec pathologie psy. Par exemple, je les ai déjà entendu dire : « On ne devrait pas soigner ces gens-là », à propos de patients d’un hôpital psychiatrique proche avec lequel nous collaborons. C’est un discours qu’ils tiennent devant moi, concernée par le sujet. Je veux aller au travail sereinement, sans peur, ça me rend malade au point de devoir reprendre des anxiolytiques en plus de mon traitement pour la bipolarité. Je n’ai pas d’autres perspectives professionnelles pour l’instant.

Allô Marie Bobo

Très chère Anna, je tiens à aborder quelques points avant de rentrer dans le vif du sujet. Tu as 35 ans ? Et peut-être que cet ennemi intérieur qu’est la bipolarité t’habite depuis toujours. Je ne sais pas la réalité d’un trouble bipolaire dans une vie et ce que ça implique, mais toi, tu le sais. Je vais partir d’une affirmation simple : je comprends que ton trouble te fasse questionner tes perceptions mais il me semble que tu as mis énormément de stratégies en place pour pouvoir survivre, fonctionner et même vivre.

Déni d’identité et de vie privée

Dès ta première phrase, je ressens la violence de ton environnement. On parle des ressources humaines et de ta manager. Autrement dit, les représentants de services qui devraient t’aider et t’apporter des solutions deviennent partie prenante du problème. Toute la structure est donc en faute. De la même manière que tu ne peux soutenir le toit d’une maison en l’absence de murs porteurs, tu ne peux pas régler un problème structurel via des ressources personnelles. D’autant que les violences de ce harcèlement psychophobe et validiste se manifestent de multiples façons.
Le fait d’écorcher sans cesse ton prénom n’est pas une micro agression lambda : on te déconsidère, on nie ton identité, et on ne se donne pas la peine de bien te désigner. Les effets de cette micro agression répétée sans cesse sont en fait macro.

Ensuite, le fait de te rechercher sur Internet est également un déni d’un droit fondamental en entreprise, celui de ta vie privée en dehors du process de recrutement (et selon certaines conditions). Tes activités en dehors de ton travail n’ont pas à être contrôlées au sein de l’entreprise dans laquelle tu exerces ton métier. Ton responsable RH a effectivement profité d’un échange oral pour glisser cette recherche, mais tu as la possibilité de créer la preuve de cet échange au moyen d’un retour écrit sur ces propos. Après une conversation qui ne te semble pas appropriée, tu peux envoyer un mail à la personne impliquée comme suit : « Lors de notre dernier échange, vous avez mentionné des recherches faites via internet à mon égard. Pourriez-vous m’indiquer quelles informations ont été ainsi décelées, et à quelles fins celles-ci vont être utilisées, s’il vous plait ? » Ainsi, tu marques l’existence de la situation, et pourras te servir de cet écrit en cas de litige avec ton employeur, ou si tu souhaites par la suite alimenter un dossier de plainte pour discrimination sur ton lieu de travail.

Des leviers face aux manquements légaux

Concernant l’errance de ton contrat, tu as la possibilité de faire un signalement auprès de l’inspection du travail. Au moment du renouvellement de ton CDD, tu n’aurais pas dû rester dans une telle incertitude concernant la suite de ta vie professionnelle au sein de cette structure. Il y avait un délai de prévenance légal à suivre, que ton employeur n’a pas respecté. Le fait que tu aies été prévenue très tardivement est une stratégie de manipulation et de stress : on contrôle mieux quelqu’un quand celui-ci n’est sûr de rien.

La synthèse écrite dont tu fais mention mériterait d’être vue par la médecine du travail et l’inspection du travail. Pourquoi ? Parce qu’on ne t’y reproche rien de concret. Les secrétaires médicaux et médicales ont une fiche de poste extrêmement précise : rendez-vous organisés et honorés pour les patients, factures traitées, organisation du service. Voilà ce que l’on attend de toi, non une attitude particulière, si ce n’est professionnelle. Ton caractère n’a donc rien à voir avec l’exécution de tes tâches. La médecine du travail peut constater le harcèlement au moyen de cette synthèse aux reproches flous dénués de faits concrets, tout comme l’inspection du travail. Un constat qui servira de levier pour reconnaître le caractère harcelant de tes employeurs, et ainsi négocier un départ avec une indemnisation plus conséquente si ces derniers souhaitent éviter la plainte.

Je ne peux que te conseiller de te mettre en relation au plus vite avec un·e avocat·e ou le défenseur des droits pour établir une stratégie de sortie. Au vu de ce que tu relates ici, il en va de ta santé, mentale comme physique. Qui plus est, en attendant d’établir cette stratégie, je t’invite à demander un arrêt maladie. Tu es en tension sur ton lieu de travail depuis plusieurs années, avec une incidence profonde sur ta santé. À la manière d’une allergie, à force de te confronter à la source de ton mal-être, tu risques le choc anaphylactique. Chaque jour que tu passes dans cette structure hypothèque un peu plus ton avenir. Tes limites ne sont pas faites pour être testées, mais pour être respectées. Je sais que tu n’as pas la possibilité de démissionner, mais t’arrêter peut te faire gagner du temps et aussi te permettre de t’organiser.

Le pouvoir de l’agentivité face à l’acharnement validiste

Le flou et l’absence de clarté constituent des violences à caractère manipulatoire. Le renouvellement de ton CDD vient en totale contradiction avec les reproches qui te sont faits. Ils avaient la possibilité de ne pas te renouveler dans ton poste, et malgré ce qu’ils semblent te reprocher, ils le font tout de même. Pourquoi ? N’hésite pas à lever le flou, et à poser les bonnes questions : « Qu’entendez-vous par “spleen” ? Que vient faire mon caractère dans l’exécution de mes tâches ? Que me reprochez-vous concrètement ? Quels sont les effets négatifs relevés par mes collègues ? » De fait, tu crées de nouveau la preuve et montre le vide des reproches qui te sont faits ici.

Il y a quelque chose d’extrêmement pernicieux dans le harcèlement, tout particulièrement lorsqu’il est indirect. Quand on dit « On va essayer de ne pas prendre une dépressive cette fois-ci », quand bien même la tournure de la phrase peut laisser planer le doute, elle t’est pourtant directement adressée, mais te pousse à te demander si ça te concerne ou non. C’est bien le cas. Tu n’es pas paranoïaque, soyons très clair sur ce point : tu es harcelée. Tu te demandes comment réagir ? Lorsque tu es convoquée de la sorte, je ne peux que t’inviter à ne rien dire et à prendre des notes pour alimenter un mail récapitulatif. Ces personnes sont cruelles de carrière, rien ne sert donc d’user de ton énergie à essayer de répliquer au cours de l’entretien. Mieux vaut te faire accompagner d’un·e avocat·e, d’un·e juriste ou d’un·e représentant·e syndical·e dans l’écriture d’un mail faisant émerger une contre narration où tu te défends.

Tu mentionnes également le traitement similaire fait à une autre collègue. Je pense sincèrement qu’une action conjointe avec elle peut venir alimenter ton dossier contre cette structure maltraitante. Mutualisez vos efforts et vos forces. Tu as un pouvoir d’action sur cette structure. Tu as le droit de demander ce qui t’est dû : ton évaluation de compétences, les compte-rendus qui doivent ponctuer ta vie professionnelle, les retours sur les propos inacceptables tenus lors de tes entretiens. Ceci permettra à la médecine du travail et à l’inspection du travail de caractériser ce qui se passe ici : un harcèlement moral qui te nuit. Si tu doutes de toi, la prise de note peut t’aider à dessiner la réalité à laquelle tu fais face et les décisions à prendre en conséquence. Ton ressenti n’a pas vocation à être remis constamment en question.

Tu es trop importante pour ne pas sauver ta propre vie. Les décisions que l’on prend pour se sauver vont parfois à l’encontre de notre envie d’être aimé·e et de prouver que l’on est capable. En tant que bipolaire, on souhaite parfois mettre un masque afin de prouver aux personnes valides, neurotypiques qu’on peut le faire. Mais jusqu’où va la preuve ? Jusqu’où va-t-on, quel prix doit-on payer et pour quoi, finalement ? Ça ne vaut pas le coût. Cet environnement est tellement violent et hostile qu’il ne conviendrait à personne. D’autant que cette situation t’empêche de voir les autres possibles à ta disposition. Tu mérites mieux que ça, le masque que tu essayes de mettre est trop lourd et douloureux, surtout porté pour des personnes qui ne méritent pas ces efforts. Tu as le droit le plus absolu de trouver une structure qui t’accueille pour ce que tu es. Ils ne t’auront pas, Anna.

Si vous êtes victime/témoin de discriminations et que vous souhaitez nous partager votre histoire pour bénéficier des conseils de Marie, contactez-nous à l’adresse sujet@wttj.co.

*Les prénoms ont été modifiés.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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