Reconversion : quand les bureaux vides se muent en logements

24 mai 2022

5min

Reconversion : quand les bureaux vides se muent en logements
auteur.e.s
Camille RabineauExpert du Lab

Consultante spécialiste des nouveaux modes d’organisation et de l’aménagement des espaces de travail

Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Le télétravail, cette invention merveilleuse qui permet de quitter le métro et le bitume pour poser son laptop au-milieu des prairies et des petits oiseaux. Celle qui, libérant des mètres carrés de bureaux, pousse les entreprises à réduire la voilure de leurs sièges sociaux et à faire des économies. Mais que faire, ensuite, de ces milliers de mètres carrés laissés vides dans les centres ou les périphéries des villes ? Les transformer en logements est de plus en plus évoqué… Qu’en est-il vraiment ?

Camille Rabineau, notre urbaniste experte des espaces de travail a creusé le sujet en Île-de-France, région à la fois sujette à un départ de cadres télétravailleurs et à un fort besoin de logements pour les ménages.

Baisse des mètres carrés de bureaux, besoin en logements

Si transformer nos vieux bureaux en logements flambants neufs est une perspective attrayante, c’est que cela répond à deux grandes dynamiques : d’un côté, la déprise de l’immobilier de bureau accélérée par la pandémie et le télétravail. De l’autre, une forte demande en logements dans les métropoles, que le rythme de la construction peine à combler. L’ancienne Ministre du Logement Emmanuelle Wargon ne s’y est pas trompé en demandant en février 2022 aux acteurs de l’immobilier d’accélérer cette transformation. L’Institut de l’épargne immobilière et foncière estime qu’avec le télétravail et la rationalisation immobilière qui en découle, ce sont 300 000 m²/an qui pourraient se libérer en Île-de-France, un scénario qui représenterait un potentiel de 6 000 à 8 000 logements par an (1). Cette manne supposée pousse sous les feux des projecteurs des opérations architecturales alléchantes.

En plein cœur de Paris, à deux pas de l’Assemblée nationale, un ancien site du Ministère des armées s’apprête ainsi à donner vie à 254 logements sociaux, une crèche et un gymnase. À Bordeaux, l’opération Villa Rohan fait naître 22 logements haut-de-gamme en plein cœur historique, dans les murs d’anciens bureaux des années 80 à l’architecture moderniste. Dans le onzième arrondissement de Paris cette fois, c’est un site de La Poste, avec son centre de tri, son agence et ses bureaux, qui va renaître sous la forme d’un melting-pot d’usages dans l’air du temps : plateforme de logistique du dernier kilomètre, coworking, toit-terrasse d’agriculture urbaine et huit niveaux de logements. Comme dans les beaux exemples de friches industrielles reconverties, il y a souvent dans ces projets une dimension historique qui les rend emblématiques.

Ainsi Luc Poux, associé de l’agence Naud & Poux qui a remporté un prix international pour la Poste du 11ème, nous raconte les multiples vies de l’endroit, une léproserie devenue prison pour femmes. Le site sera entièrement reconstruit après la Seconde Guerre mondiale par un Grand Prix de Rome, comme on distingue les architectes stars de l’époque. « Il y a une histoire intéressante de la ville qui se reconstruit sur elle-même, explique Luc Poux, une sédimentation de notre passé. Quand on garde sans démolir, on crée de l’histoire et de la culture. » À son tour, le bel immeuble postal dépassé par Internet s’est vidé de ses utilisateurs et de sa substance. L’ambitieux programme de réhabilitation est venu proposer une nouvelle page. Serait-ce alors le conte de fée qui attend nos bureaux devenus vides, ennuyeux et obsolètes depuis le télétravail ?

Derrière les opérations emblématiques, de nombreuses limites

Pour Martin Ohnovere, Directeur Habitat et Société à l’Institut Paris Région, il serait hâtif de considérer que le gisement foncier évalué grâce au télétravail pourrait intégralement donner lieu à des logements. Les résultats ne sont pas encore bons : « En 2018-2019, il y avait déjà 4 millions de m2 de bureaux vacants, qui ont produit 110 000 m2 de logement, soit un taux de transformation de 1m2 de logement pour 35m2 de bureaux vacants. » En cause, de nombreuses limites. Technique, d’abord. Pour faire de bureaux des logements, il faut disposer d’un immeuble entier. Or, ce sont plutôt des plateaux disparates qui se vident ici et là. « Une grande partie de la demande est diffuse » explique M. Ohnovere. Économique, ensuite. Les métamorphoses de bureaux qui font les Une des journaux se situent dans les quartiers les plus centraux et les mieux valorisés des grandes villes, là où les propriétaires des immeubles sont à même de réussir des opérations dont l’équilibre financier sera viable.

En réalité, ces quartiers restent très attractifs pour des bureaux après la pandémie : l’enjeu d’offrir des lieux de travail bien desservis au cœur de quartiers vivants est désormais une priorité pour les employeurs, même dans des bureaux plus petits. Tout compte fait, il est fort probable que ces deux étages de bureaux vides bien situés se reconvertissent… en bureaux modernes. « Si on a un bureau très vieux, très dégradé dans le quartier central des affaires, la plupart du temps, il reste un bureau. » confirme Luc Poux.

Benoît Labat, associé de l’opérateur immobilier Kareg qui s’est positionné sur la revalorisation des bureaux, démontre : « À Paris, la ville où tout le monde a envie d’être, certains loyers en bureau ont franchi les 1 000€ annuels du mètre carré, c’est l’équivalent en logement de 70€ du mètre carré mensuel. Je connais assez peu de ménages qui paient 7000€ de loyer à Paris pour un appartement de 100m2. » Identifier les endroits où il sera pertinent de faire d’un bureau vacant des logements relève donc de la gageure.

Pour Benoît Labat, il faut un parc de bureau qui ne soit pas trop obsolète, un quartier mixte avec des équipements puisque ce sont des ménages qu’on veut attirer, un endroit ni trop loin, ni trop proche des gares… La première des opérations que le Directeur du développement conduit pour Kareg IM, se trouve à Noisy-le-Grand en Seine-Saint-Denis, sur le Vendôme 1, un mastodonte emblématique de l’architecture de la ville nouvelle. 7 000m2 y seront reconvertis en coliving et logements pour des familles.

Les limites à ces projets sont aussi architecturales. « Il y a des immeubles qui ne peuvent pas évoluer » poursuit Luc Poux. « Si les projets ne sont pas faits de façon intelligente en structure, s’il y a des murs porteurs partout ou alors si l’immeuble est mal orienté, on ne sait pas faire » affirme t-il, catégorique. C’est peut-être cela qui explique que parmi ces opérations, beaucoup donnent lieu à de “petits” logements : résidences étudiants ou jeunes actifs, coliving. « Notre sentiment c’est qu’à partir des bureaux on peut répondre à une certaine demande seulement, dit M. Ohnovere. On ne répond pas suffisamment aux besoins des familles ni des classes moyennes. » Le Ministère du logement aurait-il surestimé ce potentiel ?

Faire évoluer la ville avec son temps

En réalité, le sujet de l’évolution des bureaux cache une dynamique plus profonde. Il s’agit de la résilience de la ville, sa capacité à se renouveler sans cesse et à se remodeler en fonction des époques et des besoins de la société. Luc Poux ne dit pas autre chose : « Le plus important c’est la transformation d’un bâtiment d’un usage en un autre usage. On fait ça dans tous les sens, un bâtiment mixte qui se transforme en un autre bâtiment mixte. Aujourd’hui on va transformer avec 6-7 usages différents, avec la possibilité d’avoir une réversibilité à tout moment. »

Les impératifs écologiques et sociaux pèsent lourd dans la balance, avec l’ambition de limiter l’artificialisation des sols mais aussi les conflits de voisinage qu’engendrent les opérations qui sortent de terre. Ainsi, à Paris, la municipalité a décidé de limiter drastiquement les opérations de démolition-reconstruction pour privilégier cette approche de réemploi des bâtiments. Du côté de nos bureaux, beaucoup ont déjà fait leur mue. Au regard de la financiarisation du secteur, il y a une très grande compétition entre les actifs qui les pousse à se maintenir au top des standards. C’est encore plus vrai à l’heure où les critères de la finance responsable déteignent petit à petit sur les investisseurs. « Le tertiaire est déjà beaucoup plus performant énergétiquement » énonce Martin Ohnovere.

Finalement, si le potentiel de transformation des bureaux dans la durée semble encore anecdotique, c’est peut-être du côté de l’amélioration de leur valeur sociale qu’il faut regarder. Tout le monde a pu découvrir ébahi, pendant les confinements, l’absurdité de ces grands immeubles vides demeurés intacts, parfois encore chauffés, éclairés. En France, l’association nantaise Bureaux du cœur a pu se rendre célèbre en proposant aux entreprises d’accueillir des personnes sans-abri en voie d’insertion dans leurs locaux en dehors des heures de travail. Une idée reprise ces dernières semaines par Elon Musk à propos du siège de Twitter à San-Francisco : « Puisque plus aucun employé n’y va de toute façon. »

(1) Chiffres communiqués par l’Institut Paris Région

Article édité par Clémence Lesacq
Photos par Thomas Decamps pour WTTJ

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