Pour plus d'alchimie dans nos interactions pros, utilisons nos neurones miroirs

08. 2. 2021

5 min.

Pour plus d'alchimie dans nos interactions pros, utilisons nos neurones miroirs
autor
Pauline Allione

Journaliste independante.

Un entretien avec son N+1, ça passe toujours mieux avec un bon feeling. Ça tombe bien, parce qu’être sur la même longueur d’onde, littéralement, c’est possible. Les scientifiques appellent ça les neurones miroirs : en regardant une personne exécuter une action, notre cerveau l’imiterait, de manière inconsciente. Et si l’on réduit souvent la technique au simple fait d’imiter son interlocuteur pour faire bonne impression, la marche à suivre est évidemment plus compliquée, mais aussi plus subtile. Erwan Devèze, consultant en neuroleadership et neuromanagement et auteur de “24h dans votre cerveau”, nous explique comment utiliser cette faculté pour fluidifier nos interactions pro : entretien d’embauche, point annuel, demande d’augmentation… Ou l’art subtil de se brancher sur la même fréquence que son boss, collaborateur ou employé.

Un mimétisme inconscient

« Les neurones miroirs, c’est un mécanisme qui fait que nos neurones s’activent quand on fait quelque chose ou qu’on regarde une personne faire cette chose », pose Erwan Devèze. C’est pour cette raison qu’une personne qui baille crée un effet domino, qu’un bébé peut rendre un sourire à un parent émerveillé par sa progéniture, ou que des couples ensemble depuis des années finissent par avoir des réactions semblables. « C’est une espèce de Wi-Fi neuronal » schématise le spécialiste. Présents en grand nombre dans le cerveau mais aussi dans l’ensemble du système nerveux, les neurones ont un rôle primordial dans nos interactions quotidiennes. Ils influent sur les sentiments qu’elles nous inspirent, les impressions qu’on en retire et l’alchimie qui opère (ou pas).

C’est dans les années 90 que l’équipe du professeur Giacomo Rizzolatti, à l’université de Parme en Italie, a découvert les neurones miroirs. Les scientifiques étudiaient alors les neurones moteurs chez le singe et observaient ce qui se passait quand les primates mangeaient des cacahuètes. « Un jour, un des laborantins a pris une cacahuète pour la manger et il s’est aperçu que l’activation neuronale était identique chez le singe qui le regardait manger », retrace Erwan Devèze.

L’alchimie de nos conversations

Cette connexion neuronale majoritairement inconsciente a plusieurs fonctions, dont la première est l’apprentissage, qui passe beaucoup par le mimétisme. Elle influe également sur les communications et les relations interindividuelles à travers l’empathie, le ressenti des émotions, l’anticipation des intentions…

Depuis les années 70, plusieurs universitaires (Carl O. Word, Mark P. Zanna,Joel Cooper et Marianne Bowden) s’attachent à démontrer l’influence positive du mimétisme sur une conversation. En juin 2020, les professeurs de management Maxim Sytch et Yong H. Kim montraient ainsi que les avocats qui adaptaient leur communication au style du juge gagnaient plus de procès que les autres. « Si vous adoptez une gestuelle, une tonalité et une sémantique similaires à celle de votre interlocuteur, vous rentrez dans son petit monde intérieur et inconsciemment, vous allez gagner sa confiance », affirme Erwan Devèze. On parle alors de synchronisation neuronale.

Et dans un cadre professionnel ?

Au travail, favoriser l’apparition de cette synchronisation en s’inspirant du langage verbal et non verbal de son interlocuteur peut permettre d’optimiser l’alchimie de la conversation, et d’exercer une influence positive sur le déroulement d’un entretien. « À l’inverse, si on n’arrive pas à se synchroniser, il y a tout à parier que l’entretien ne sera pas concluant. C’est la raison pour laquelle on peut rencontrer quelqu’un en recrutement, et, même si la personne coche toutes les cases, ne pas bien le sentir. »

Encore que pour mettre à l’aise son interlocuteur, il ne suffit pas de copier-coller ses moindres faits et gestes. Concrètement, cela ne se résume pas à croiser les jambes et parler avec les mains si un recruteur adopte cette posture en face de vous. D’autant que « 90% de l’activité du cerveau est non consciente », rappelle le spécialiste du neuromanagement, avant d’ajouter : « La fonction miroir est en nous, mais il faut l’exercer. » Car faire bonne impression en entretien, ce n’est pas seulement réciter son texte par cœur et lâcher son plus beau sourire. Prêter attention aux gestes et aux mots de l’autre, ça peut aussi faire son effet.

1. Développer une écoute active

Pendant un rendez-vous pro, qu’il s’agisse d’un entretien d’embauche ou d’un point avec son manager, beaucoup de choses se bousculent dans nos têtes. Il y a les arguments à poser sur la table, les objectifs à garder en ligne de mire, le stylo avec lequel il faut éviter de jouer durant la conversation…

Au milieu de tout ça, on en oublierait presque le plus important : écouter l’autre, réellement. « Il faut être attentif au langage verbal et non verbal, conscient et inconscient de son interlocuteur. Quand vous avez décrypté tout ça, vous avez un sacré avantage, et vous pouvez moins facilement vous tromper », détaille Erwan Devèze. Il y a ce que la personne dit, mais aussi ce qu’elle laisse voir : un pied qui bouge sans arrêt, une main qui replace une mèche de cheveux, l’intonation de la voix… En apparence anodins, ces gestes sont autant d’indices qui traduisent l’état de la personne que vous avez en face de vous et qui vous permettront d’adapter votre comportement.

2. Être dans l’empathie

L’empathie se situe sur deux niveaux : affectif et cognitif. Le premier permet de ressentir les émotions de l’autre, le second, d’anticiper ses intentions. Comme l’explique Erwan Devèze, il est important de développer les deux, dans une juste mesure. « Un niveau d’empathie cognitive élevée permet d’être dans une bonne posture de négociation, tandis que la dimension affective nous aide à comprendre les émotions de l’autre, ses ressentis, sa gêne, ses craintes… Mais il ne faut pas se laisser déborder par ses émotions. » Ça suppose évidemment de s’intéresser à l’autre, mais aussi de savoir se mettre à sa place. Par exemple, pourquoi aborde-t-il un problème sous cet angle ? Il a l’air sous tension, pour quelle raison ? Après ça, il sera plus simple de comprendre et d’appréhender son raisonnement.

3. Employer les mots de l’autre

Une expérience de psychologie sociale menée dans un restaurant hollandais a montré que les serveuses qui répétaient les commandes de leurs clients recevaient des pourboires plus souvent et d’un montant plus important que leurs collègues qui disaient simplement avoir noté la commande. Répéter les paroles de son interlocuteur présente en effet plusieurs avantages : dissiper un éventuel malentendu, mais aussi, montrer que l’on prête attention aux mots de l’autre. En outre, reformuler peut aussi permettre de récolter de nouvelles informations.

4. Travailler son assertivité

L’assertivité désigne notre capacité à exprimer un point de vue sans l’imposer à l’autre. Et à l’inverse, à écouter et respecter le sien. « Dans les relations interindividuelles, on a souvent tendance à vouloir passer en force, mais il faut aussi écouter ce que l’autre a à dire, même si son idée est opposée à la nôtre. » Cette aptitude permet une communication apaisée et dénuée d’agressivité, dans laquelle on se sentira plus confortable. Mieux vaut donc prendre le temps d’écouter les différents points de vue, et éviter de conclure un échange par un : « C’est comme ça, un point c’est tout ». Ni très fair-play, ni très constructif pour parvenir à une relation professionnelle saine.

5. Éviter de s’improviser mime

Se calquer sur la façon de communiquer de l’autre en s’inspirant de sa gestuelle, son ton ou sa sémantique peut poser les bases d’une synchronisation neuronale. Mais attention à ne pas tomber dans l’excès, auquel cas un malaise risque fort de s’installer. « Si la démarche est amenée lourdement ou dans un but manipulatoire, vous avez toutes les chances pour que votre interlocuteur le détecte et là, c’est la double peine. S’il doute de votre sincérité, vous n’êtes pas prêt de construire une relation de confiance avec lui », détaille le spécialiste. Joindre ses mains en même temps que son N+1, se racler la gorge quand il tousse ou imiter son accent alsacien, c’est donc à proscrire.

Le fonctionnement des neurones miroirs est bien plus complexe que le jeu du miroir qui, de toute façon, était déjà agaçant dans la cour de l’école. Un comportement à la fois attentif, observateur et bienveillant s’avère bien plus constructif pour influencer positivement un entretien, et se capter sur le Bluetooth du cerveau.

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Photo by WTTJ