Pourquoi le quiet quitting est une solution néfaste pour notre santé mentale

23 mars 2023

5min

Pourquoi le quiet quitting est une solution néfaste pour notre santé mentale
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

contributeur.e

Si remettre en question notre rapport au travail pour éviter de se tuer à la tâche et obtenir un meilleur équilibre de vie peut être salvateur, pointer 8 heures par jour à un job en y étant désengagé·e n’est pas sans conséquences sur notre santé mentale. Travailler sans motivation (autre que gagner sa vie), peut même avoir des effets délétères sur notre bien-être psychique. On fait le point avec Pauline d’Heucqueville, psychologue du travail, psychothérapeute et consultante pour le cabinet Stimulus.

Quiet quitting aux Etats-Unis, « démission silencieuse » en France… Les actifs resteraient en poste mais feraient le minimum. Peut-on parler d’une tendance au désengagement dans le monde pro ?

Je précise que parfois on évoque à tort un phénomène de “grande démission” alors que d’après les derniers chiffres de la DARES dont on dispose (octobre 2022), il n’y a pas plus de démissionnaires aujourd’hui que lors de la crise de 2008, du moins le phénomène n’est pas notable. La problématique est tout autre : elle est interne au monde de l’entreprise, les individus restent en poste mais affirment de nouvelles revendications. C’est ça qui est vraiment nouveau.

Les travaux de recherches qui s’intéressent à notre rapport au travail ont prouvé qu’au-delà du respect de la fiche de poste, énormément de personnes trouvaient de la motivation dans les comportements pro-sociaux au travail, c’est-à-dire : ne pas travailler uniquement pour gagner un salaire mais aussi pour les relations sociales, l’autonomie, la stimulation intellectuelle que cela nous apporte. Et là avec le quiet quitting, on observe un retour au basique : on s’en tient aux tâches consignées sur la fiche de poste, on ne veut plus faire d’heures supplémentaires, on fait le minimum. Tout cela dans l’optique de privilégier et d’investir davantage d’autres pans de la vie personnelle (la famille, les loisirs etc.)

Cela peut être aussi une forme de résistance face à de mauvaises conditions de travail ?

Un manque de reconnaissance, une charge de travail démesurée, l’absence de perspective d’évolution… Bien sûr, de mauvaises conditions de travail peuvent mener à se désengager ou se détacher de son travail. Mais c’est globalement le rapport au travail dans notre société qui évolue énormément. La dimension sociétale et sociale de l’entreprise vont désormais fortement orienter les choix des salariés. Et la période des confinements a remis la sphère personnelle à une autre place dans le quotidien. Par exemple, aujourd’hui la tendance chez les cadres est de désirer instaurer la semaine de quatre jours plutôt que de s’inscrire dans une course au meilleur salaire. Tous ces phénomènes qui appartiennent à notre époque vont jouer sur l’engagement au travail.

Comment expliquer ce changement dans notre rapport au travail ?

La crise du Covid, la crise climatique, économique… Le contexte joue énormément. La jeune génération, celle qui arrive sur le marché du travail incarne ce changement de rapport au travail. Ceux que je rencontre me disent clairement : « On nous rabâche à longueur de journée que l’avenir climatique est catastrophique, que nous n’aurons pas de retraite… pourquoi je devrais me tuer au travail ? » Quelque part, ces revendications ne sont pas tellement nouvelles, depuis presque un siècle les travailleurs manifestent pour obtenir de meilleures conditions de travail. Sauf qu’avant le Covid, on parlait peu de problématique liée au « sens au travail ». En somme, ces mêmes problématiques existent depuis longtemps, mais s’expriment autrement aujourd’hui car les enjeux sont différents.

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Les plus jeunes sont souvent pointés du doigt… Existe-t-il un profil type de “désengagé” au travail ?

N’importe qui peut être détaché ou démotivé au travail. On peut très bien être à deux ans de la retraite et adopter ce comportement. Néanmoins, de mon observation empirique, la jeune génération est moins encline à accepter des conditions de travail difficiles. Ils ont du mal à accepter les horaires imposés, à faire des déplacements… En fait, ils ne veulent plus que le travail soit déconnecté de leur vie quotidienne. Comme s’il y avait un refus que le travail soit pénible. C’est là où il y a un choc qui s’opère.

Bizarrement, s’en tenir strictement à sa fiche de poste, semble très difficile. La sociologue Aurélie Jeantet explique que si tous les actifs le faisaient vraiment, les entreprises ne tourneraient plus. C’est la différence entre le « travail prescrit » et « le travail réel ». Au travail, on en fait toujours plus que ce pour quoi on a été embauché, sans même s’en rendre compte ?

Le travail actuel est organisé d’une telle façon que l’on fait beaucoup de choses en-dehors de sa fiche de poste. Ce sont notamment nos comportements extra-rôles, qui nous font dépasser la mission initiale pour laquelle on a été embauché. On peut aider un collègue en difficulté, s’investir dans des moments conviviaux pour la cohésion d’équipe, proposer des idées pour faire progresser la boîte… tous ces comportements sont significatifs de notre motivation au travail. Ces comportements et actions sont essentiels au bon fonctionnement d’une organisation. Ce sont ces initiatives qui créent les conditions d’expression de la créativité, un moteur fondamental en entreprise.


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Travailler en étant désengagé peut nuire à notre santé mentale ? Quelles sont les incidences sur notre bien-être psychique ?

Cela fait bien longtemps qu’on a dépassé la théorie d’Adam Smith (philosophe du XVIIIe siècle et père de l’économie moderne, ndlr), selon laquelle on travaille uniquement pour gagner de l’argent. Les études récentes montrent bien que le travail revêt d’autres dimensions essentielles à l’accomplissement des individus. Le travail, quand il est exercé dans des conditions favorables, est une source d’épanouissement intellectuel et social. Donc le fait d’en faire le moins possible, de réduire ses comportements pro-sociaux et extra-rôles (c’est-à-dire les comportements dits de citoyenneté organisationnelle, ndlr), diminue cet épanouissement. On peut alors facilement imaginer un impact psychologique négatif sur les salariés concernés. Mais tout est une question de balance. On n’est pas tous égaux, certains individus compensent ce désinvestissement au sein de la sphère professionnelle par un surinvestissement dans la sphère personnelle et trouvent ainsi une autre forme d’équilibre. Toujours est-il que de manière générale, passer huit heures par jour devant son ordinateur dans un environnement où on ne fait que le strict minimum, où on s’investit le moins possible, va brider notre créativité, nos relations sociales et notre développement, ce qui de fait, va avoir un impact sur notre santé psychologique


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Ennui, crise de sens, perte de perspectives… tout cela peut-il nous faire glisser vers le bore-out (syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui, ndlr) ?

S’ennuyer, ne pas se sentir utile, ne pas être stimulé intellectuellement au travail, peut provoquer des troubles anxieux, une perte de confiance en soi et même un état dépressif. Même si attention, une dépression est la plupart du temps multifactorielle. C’est-à-dire qu’au-delà du travail, les ressources personnelles vont entrer en ligne de compte, et que chaque individu a un terrain plus ou moins favorable au développement de ces troubles.

Se sentir démotivé, détaché, ça arrive au cours de la vie active. À quel moment doit-on s’en inquiéter ?

L’apparition d’humeur triste, de trouble anxieux, d’un manque de volonté à investir le monde du travail, c’est-à-dire à créer du lien social, le sentiment de solitude, la sensation de se sentir dépassé par son travail, le fait d’avoir des pensées envahissantes liées au travail comme par exemple se réveiller la nuit, avoir des troubles de la concentration, de la mémoire… sont autant de signes qui doivent alerter. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à en parler et à se faire accompagner.

Quelles solutions peuvent nous aider si on le vit mal ?

Il n’y a pas forcément de recette miracle, mais ce qui est important c’est d’interroger nos besoins : « Qu’est-ce que j’ai envie de donner à mon travail ? Quel environnement pourrait me correspondre ? Quel type de job ? Dans quelles conditions ? »

Avant on s’intéressait davantage aux besoins des entreprises, et peu aux besoins des individus qui étaient sommés de s’adapter. S’investir corps et âme dans son job était même fortement valorisé, tant le travail était un pilier de l’estime de soi, quitte à sombrer dans le burn-out. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que c’est le moins le cas, ce changement de paradigme est très intéressant.

Chercher à s’accomplir par le travail, est-ce encore une quête saine ou est-ce vouer à l’échec finalement ?

Malgré certaines mauvaises conditions de travail, j’ai envie de croire que le travail peut être une source d’épanouissement. Mais un vrai changement doit s’opérer, à la fois au niveau individuel et au niveau des entreprises. Démission silencieuse ou non, ça fait des années qu’on parle de qualité de vie au travail, que l’on expose de nouvelles aspirations dans le monde professionnel. L’aspect économique n’est plus l’unique facteur de motivation au travail. D’ailleurs, une partie des salariés sont prêts à gagner moins pour avoir plus de temps libre ou pour s’engager dans une organisation qui respecte leurs valeurs. Aux organisations d’évoluer pour s’adapter aux nouveaux besoins de leurs salariés.

Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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