Au fait, pourquoi on n’arrête pas de se mater en visio ?

24 janv. 2022

3min

Au fait, pourquoi on n’arrête pas de se mater en visio ?
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Depuis le début de la pandémie et de l’utilisation massive d’outils de visio-conférénce, vous avez troqué la mauvaise haleine de votre collègue Roger contre un gros plan sur l’énorme bouton qui décore votre front sur Zoom ? Dans le joyeux monde de la visioconférence, il y a ceux que cela dérange, et ceux qui apprécient (se regarder, pas les boutons). On a beau essayer de contrôler notre regard, c’est inévitable, on finit toujours pas revenir se zieuter. Pourquoi ? Décryptage de cet étrange phénomène avec Delphine Py, psychologue et fondatrice de Psynergy.

Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le/la plus beau/ belle ?

En étudiant pourquoi les visioconférences sont si fatiguantes pour le télétravailleur, Jérémy Bailenson - professeur en sciences de la communication à l’Université de Stanford - a mis le doigt sur un phénomène inattendu. Se voir en direct, en permanence, serait très stressant pour le cerveau : « Comme quand on se regarde dans un miroir, on a davantage tendance à s’évaluer soi-même », écrit-il. Imaginez quelqu’un qui vous suivrait toute la journée pour vous plaquer un miroir contre le nez à chaque fois que vous prenez la parole. Terrible, n’est-ce pas ?

Un phénomène également observé par la psychologue Delphine Py : « Être confronté à sa propre image toute la journée n’est pas naturel, alerte-t-elle. Cela peut entraîner un regard plus critique sur sa personne, et une diminution de l’estime de soi. » Elle explique que l’être humain a un discours intérieur souvent très critique. Si nous regardons l’autre dans sa globalité, nous nous regardons nous-mêmes comme une somme de détails, et donc de défauts. Alors que nous savons voir l’humain, derrière l’éruption d’acnée de ce jeune stagiaire, nous nous peignons comme l’addition d’un nez un peu trop crochu, d’une calvitie naissante et d’un teint blafard. Dur dur.

Dis moi si tu te regardes, je te dirai qui tu es

Avez-vous entendu parler de la « Zoom Vanity » ? Ce terme désigne le fait de fixer sa propre caméra lors d’une réunion virtuelle, au lieu de s’attarder sur celle de son interlocuteur. Serait-ce le signe d’un narcissisme exacerbé ?

Raté ! De récentes études menées par la chercheuse Kristine Kuhn, professeure à l’université de l’État de Washington, montrent que les personnes qui ont le moins confiance en elles sont celles qui se regardent le plus. Paradoxal ? Pas forcément. « Il y aurait plusieurs explications à cela, commente Delphine Py. Les personnes qui manquent de confiance peuvent chercher à vérifier s’ils sont bien “comme il faut”. Mais parfois, c’est simplement une stratégie d’évitement inconsciente : parce que le fait de regarder les autres peut déclencher du stress, se regarder permet donc de ne pas être confronté au regard de l’autre. »

Booster sa confiance et communication non-verbale : quelques conseils

Heureusement, la psychologue nous rassure : la confiance en soi se travaille. Nous pouvons apprendre à être tolérant avec nous-même, comme nous le sommes avec les autres. Au-delà du travail de longue haleine que cela représente, quelques astuces simples permettent de travailler à la fois sa confiance et sa communication non-verbale lors des visioconférences.

  • Coupez votre caméra, ou à défaut, reculez-vous de votre écran. « C’est très inhabituel pour l’être humain de voir l’autre et se voir soi en si gros plan dans la vie réelle, explique Delphine Py. Pour vous, avoir un plan plus large permet de moins voir vos défauts, et à l’autre de mieux voir vos gestes et donc mieux comprendre votre communication non-verbale. »

  • Fixez la caméra quand vous parlez. « Dans une situation d’évaluation, comme un entretien d’embauche ou un entretien annuel, cela donne l’impression à l’autre que vous le regardez vraiment et améliore la perception de l’échange », ajoute-t-elle. Bénéfice bonus : si vous regardez la caméra, vous ne vous regardez pas vous-même (CQFD).

  • Placez votre écran légèrement en hauteur. « Cela vous imposera de lever le menton, et donc d’avoir l’air plus confiant. Car à l’inverse, baisser la tête vous met dans une position d’infériorité », conseille Delphine Py.

Et si la solution radicale pour mieux vivre les visioconférences, c’était la chirurgie esthétique ? Un petit coup de botox et c’est reparti ? Spoiler alert : non, ce n’est pas le cas. Pourtant, c’est la solution que semblent avoir choisie de nombreux travailleurs depuis le début de la pandémie.

Aux États-Unis, les consultations auraient augmenté de 64 %. Oui, mais ça c’est très américain, n’est-ce pas ? Contrairement à ce que l’on pense parfois, ce phénomène s’étend au vieux continent. La clinique des Champs-Elysées - l’une des plus importantes d’Europe - affiche également une croissance d’environ 30 % des opérations depuis le début de la pandémie. Au menu : peelings, injections et radiofréquences. Que cela soit chez les hommes ou chez les femmes, les opérations localisées autour du visage ont la cote.

Alors, finalement Roger et son haleine de la veille ne vous manqueraient pas un petit peu ?

Article édité par Romane Ganneval, photos par Thomas Decamps

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