Tristan Lopin : « Je ne suis clairement pas là que pour faire des blagues »

24 févr. 2023

6min

Tristan Lopin : « Je ne suis clairement pas là que pour faire des blagues »
auteur.e
Anais Koopman

Journaliste indépendante

contributeur.e

Les humoristes ne sont-ils là "que" pour nous faire rire… ? N'ont-ils pas un rôle plus important à jouer dans la société ? Pour Tristan Lopin, 35 ans, le cynisme va justement de pair avec un engagement sociétal fort. Que ce soit en s'ouvrant sur des sujets intimes qui touchent le plus grand nombre, ou en pointant du doigt certaines problématiques actuelles, le comique nous prouve par A + B qu'il est à la fois possible de faire rire et de faire bouger les lignes.

Tristan Lopin, vous avez le don de faire rire, mais pas que : vous qualifiez votre deuxième spectacle « IRRÉPROCHABLE » de « plus intime et plus engagé » que le premier… Ce n’est pas si courant, dans le domaine de l’humour !

Oui, ce spectacle est à la fois plus personnel et militant. D’ailleurs, cela va de pair : c’est en partant de problématiques qui sont les miennes, comme la dépression, la masculinité, ou encore des dilemmes écologiques, que je passe en revue de nombreux sujets sociétaux actuels, me permettant de toucher le plus grand nombre. Par exemple, quand je parle de l’homophobie que j’ai vécue, je sais que certain·e·s se reconnaîtront dans mon récit, ou que d’autres réaliseront enfin ce que nous vivons. C’est pour ça que c’est si important pour moi d’en parler, même si cela peut paraître surprenant de prime abord de traiter de tels sujets dans le cadre d’un one-man show.

Votre engagement sur scène n’est-il pas une manière de vous déculpabiliser, d’assumer le fait que vous n’êtes pas “irréprochable” en tant qu’humoriste et humain ?

Je pratique beaucoup l’auto-dérision en remettant par exemple en question ma propre manière de réagir à certains problèmes, en me reposant parfois sur certains privilèges. Cela me fait me sentir plus utile, et puis reconnaître mes failles enlève une couche de culpabilité… Cela aide aussi mon public à se déculpabiliser. Je veux leur dire que c’est ok d’être faillible. On ne peut pas mener tous les combats, or l’important est déjà d’ouvrir les yeux.

En France, on a tendance à nous enfermer dans des cases… Or, vous semblez prouver que l’on peut très bien être humoriste ET engagé.

Je ne suis clairement pas là que pour faire des blagues. J’ai conscience qu’en ayant de l’influence (Tristan est suivi par plus de 300 000 personnes sur Instagram, ndlr.), j’ai aussi un rôle à jouer pour dire des choses qui comptent, pour éveiller les consciences. Si on ne se repose que sur les politiques pour sensibiliser à ce genre de problématiques, je doute que ce soit suffisant… (rires). Et puis, je sais que je me dois de faire attention à l’exemple que je donne ! Par exemple, quand on part en tournée, j’essaye de limiter l’avion au maximum. Pour autant, je ne suis pas parfait non plus !

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Avez-vous parfois le sentiment d’être illégitime en tant qu’humoriste, lorsque vous traitez de tels sujets de société ?

Non, car quand j’estime ne pas être légitime de parler d’un sujet en particulier pour la simple raison que je ne le maîtrise pas, je n’en parle tout simplement pas. Il n’y a rien de pire que de faire un sketch à propos d’un sujet que l’on ne connaît pas et d’avoir des centaines de commentaires ensuite, qui soulignent cette ignorance. Si je ne suis pas sûr de ce que j’avance, je n’y vais pas. En revanche, si j’ai envie de traiter un thème à propos duquel je suis à l’aise, je ne vois pas en quoi mon métier de comique devrait me décrédibiliser. Humour et engagement ne sont en aucun cas opposés. En tout cas, on ne m’a jamais reproché de partager mon opinion à travers mes spectacles. À part peut-être ceux·celles qui méprisent les personnes dites woke (terme qui désigne le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale, ndlr.) quel que soit leur métier !

Avez-vous l’impression que les humoristes sont de plus en plus nombreux à s’emparer de telles problématiques ?

Complètement. On est dans une période et une société dans lesquelles on apprend à déconstruire pas mal de choses, et les comiques n’y échappent pas. Pour ce qui est de la nouvelle génération d’humoristes, ils sont globalement “progressistes” et désirent souvent entraîner leur public dans cette direction.

Que ce soit sur scène ou à travers vos réseaux sociaux, une manière pour vous d’être engagé est aussi d’être totalement transparent, en vous confiant sur vos coups de mous, votre santé mentale en générale, …

D’après ce que les gens disent, je dégagerais quelque chose de solaire qui leur fait croire que je suis constamment heureux et épanoui. Il y a une part de vrai dans cela, or je tiens aussi à mettre en lumière la partie immergée de l’iceberg. Même ceux·celles qui ont tendance à être - ou à paraître - très joyeux·ses en société ont une part d’ombre et connaissent des moments de down. L’assumer en tant qu’humoriste me permet de passer un message : « Ce n’est ni grave, ni anormal de ne pas toujours être au top ! »

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Qu’est-ce qui vous a mené à la décision de vous ouvrir autant à votre public sur des expériences aussi personnelles que le harcèlement scolaire ou l’agression sexuelle que vous avez vécus ?

C’est venu assez naturellement, mais c’est vrai que le premier confinement a pas mal accéléré les choses. A ce moment-là, je sortais à peine d’une période vraiment difficile et comme beaucoup, je me suis retrouvé très seul pendant deux mois. Quand mon producteur m’a demandé si je souhaitais écrire un deuxième spectacle, j’ai accepté, à condition qu’il accepte que je n’écrive plus sur des sujets aussi légers que le premier, Dépendance Affective (qui traitait des relations amoureuses, etc. ndlr.). J’avais besoin de raconter quelque chose de plus profond, de trouver du sens dans mon travail, au-delà du seul divertissement. Pas de répéter la même recette juste parce qu’elle avait réussi.

Lorsqu’on est face à une personne qui rencontre du succès, on s’imagine qu’elle n’a plus de doutes… pour autant, est-ce que la peur de l’abandon et de l’échec s’appliquent aussi à votre vie professionnelle ?

Bien sûr. Ce n’est pas parce que je suis acclamé par un public et que je réussis en tant que comique que je n’ai pas peur de tout perdre du jour au lendemain. Je dirais même que maintenant que j’ai ce dont j’ai toujours rêvé, je crains encore plus que le vent ne tourne. Et puis n’oublions pas que je ne suis pas en CDI, que je ne peux pas garantir que j’aurai toujours de l’inspiration,… Les incertitudes sont partout et j’ai pleinement conscience que je serais forcément de nouveau confronté à l’inconfort à un moment ou un autre. C’est aussi un message que je souhaitais vraiment passer.

À l’époque des réseaux sociaux, où la frontière entre sa vie intime et ce que l’on rend public est de plus en plus poreuse, un·e humoriste d’aujourd’hui doit donc obligatoirement se livrer très personnellement si elle veut toucher le public… ?

Pas forcément. À titre personnel, je m’exprime naturellement à propos de moi, de mes émotions et c’est aussi ce qui parle à mon auditoire, qui est touché par ma sensibilité. Pour être honnête, ça développe aussi mon capital sympathie, une caractéristique très importante dans ce milieu… Pour autant, certain·e·s comiques ont du succès dans l’humour sans se dévoiler. Par exemple, certain·e·s parlent de politique et c’est aussi un sujet qui concerne le plus grand nombre. Je pense donc qu’il n’est pas nécessaire d’articuler son spectacle autour de sa vie privée, mais plutôt autour de sujets universels, quels qu’ils soient.

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Pourquoi avoir choisi le cynisme pour parler de sujets souvent très délicats ?

J’ai remarqué que le cynisme permettait de faire passer des messages sans avoir l’air d’un donneur de leçon ou d’un moralisateur. Je ne suis pas là pour prêcher la bonne parole ! Je traite seulement de sujets profonds avec légèreté.

J’imagine que face à votre transparence, de nombreuses personnes vous écrivent pour se confier ou vous demander des conseils. Cette posture de “role-model” n’est-elle pas parfois difficile à assumer ?

C’est sûr que lorsque j’ai raconté que j’avais été agressé sexuellement par exemple, j’avais peur que trop de personnes soient en demande d’identification, m’envoient des messages pour me raconter qu’ils avaient vécu la même chose, etc. Mais puisque je fais particulièrement attention à ne parler que de mon expérience, sans faire de généralité, ni donner des détails auxquels les autres pourraient s’accrocher, j’ai été agréablement surpris : je n’ai pas tant reçu d’anecdotes personnelles… Je reçois surtout des messages de personnes qui me remercient de parler de ces choses-là d’une manière moins pesante que d’ordinaire, avec humour.

Vos prochains spectacles seront désormais forcément eux aussi engagés ?

Ce qui est sûr, c’est que j’ai du mal à écrire sur les barbecues ou les visites chez Ikea (rires). D’autres le font avec brio et peut-être que j’y viendrai, mais pour moi, un spectacle réussi est un spectacle dont le public se souvient de par sa profondeur. Je préfère qu’ils disent que mon spectacle est “puissant” dans le sens où ça va les faire réfléchir, parler entre eux, lever plus facilement des tabous, que “drôle”. En fait, je veux surtout ouvrir des portes grâce à l’humour.

Diriez-vous que l’humour est un bel outil de communication au travail, même dans les situations les plus complexes ?

Oui, mais attention, tout le monde n’est pas drôle ! (rires). En tout cas, j’imagine qu’avec l’humour, les conditions de travail seraient bien plus agréables… À quand des formations « faites du management par l’humour » ? (rires).

Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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