Titre de poste : pourquoi compte-t-il autant que le salaire pour vos collaborateurs ?

02 oct. 2023

5min

Titre de poste : pourquoi compte-t-il autant que le salaire pour vos collaborateurs ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

contributeur.e.s

Un titre de poste n'est pas une vétille. Loin de là. Pour le salarié, il représente un repère pour se positionner dans l’organisation en marquant un statut et un périmètre d’action. Hors les murs, ce libellé est constitutif aussi de son identité sociale. Alors, comment choisir des dénominations justes, cohérentes et engageantes ?

Les débats autour du titre de poste semblent parfois risibles, voire l’expression d’un égo mal placé. Or, c’est oublier un point fondamental : « En société, c’est l’une des premières questions que l’on pose : que fais-tu dans la vie ? C’est une manière de s’introduire au monde et, en cela, participe à la construction de notre identité », explique Albert Moukheiber, docteur en neurosciences, psychologue clinicien et expert du Lab.

Dans l’univers professionnel, il ne s’agit donc pas d’une simple étiquette choisie au doigt mouillé : « C’est une dénomination qui établit clairement le statut et les missions associées à une fonction : une référence qui transcende les frontières de l’entreprise car le titre est également un tremplin pour la prochaine étape de la carrière », souligne Céline Méchain, experte RH et également membre du Lab. Définir un titre relève d’une sacrée responsabilité pour les RH, les enjoignant à penser le sujet, non pas en autarcie, mais dans le cadre d’une réflexion globale incluant l’organigramme, les trajectoires d’évolution, les recrutements mais aussi le système de reconnaissance… En bref, un sujet qui vaut la peine d’être décortiqué.

Titres de poste : la (dangereuse) foire à la créativité ?

Concernant les titres de poste, de véritables tendances émergent. Qui n’a pas vu passer sur LinkedIn des dénominations ubuesques incluant – pour les plus sobres – VP, architecte ou evangelist ? En 2019, une enquête effectuée par Indeed avait même recensé les offres les plus farfelues publiées sur sa plateforme : le top 5 comptait « rockstar », « génie », « héros », « ninja » et « gourou ». Plus récemment, l’humoriste Karim Duval en a fait son miel dans ses incontournables sketchs tels que le chief happiness dictator ou le redoutable human resource & talent people acquisition equity associate.

Mais derrière cette créativité débordante, se cachent différentes stratégies aux effets parfois délétères pour l’organisation et les collaborateurs :

  • Le hiérarchie washing : c’est un mécanisme courant dans les entreprises qui veulent se libérer du poids de la hiérarchie et anéantir le principe d’organisation pyramidale. Conséquence : tous les titres distinctifs ou historiques disparaissent. À la place, les salariés se voient attribuer des labels plus équitables et en phase avec un fonctionnement holacratique. Une sur-couche souvent artificielle. « En pratique, rien n’a changé : les relations en interne sont restées sous l’ancien modèle créant une forme de dissonance », souligne Albert Moukheiber.

  • La sublimation percutante : développée par Laurence J. Peter, cette pratique consiste à placer un·e employé·e, généralement incompétent·e, vers un autre poste en améliorant sa condition matérielle ainsi que son titre de poste. Cette pseudo-promotion est une sorte de trompe-l’œil pour les personnes incompétentes, que l’on souhaite exclure subtilement de l’organigramme. Cette manipulation a vocation à masquer les problèmes de politique RH ou de management.

  • Le label crafting: les salarié·es choisissent eux/elles-mêmes leur titre. Plutôt récréatif comme démarche, mais est-ce bénéfique ? Apparemment oui : un article paru dans la revue HBR revient sur les recherches de Dan Cable, professeur à la London Business School. En 2014, il a mené une expérience pour valider les « bénéfices psychologiques à renommer les intitulés de poste ». Résultat ? La personnalisation du titre a démontré un regain de sens au travail auprès des personnes qui l’avaient pratiquée. Dans une grande brasserie européenne, il a adopté une approche différente : au lieu de permettre à chaque employé·e de créer un titre unique, il leur a demandé de convenir d’un nouveau titre commun pour tous ceux/celles qui exerçaient la même fonction. Trois mois plus tard, ils/elles étaient 16 % plus satisfaits de leur travail.

  • La reformulation positive : pour éviter les perceptions négatives et revaloriser certains métiers, de nouvelles dénominations ont été données comme les technicien·nes de surface à la place de femmes ou hommes de ménage. Dans l’article HBR cité ci-dessous, l’auteur donne l’exemple de Disney où les employés des parcs d’attractions sont appelés « membres du casting » et ses ingénieurs et experts en multimédia, « imagineers ». Dans la même veine, les préparateurs de sandwich Subway sont des « artistes du sandwich ». Dans d’autres entreprises, les réceptionnistes sont des « directeurs de la première impression » et les responsables des relations publiques sont des « évangélistes de la marque ».

Le casse-tête du titre : mais pourquoi faut-il s’en soucier ?

Le titre, s’il est mal choisi ou non représentatif du poste, comporte trois risques sous-jacents pour l’organisation.

Le terrain glissant de la frustration

L’exemple de Projective est éloquent : il y a 7 ans, l’agence de réaménagement d’espaces a basculé vers une organisation plus plate et moins hiérarchique. L’une des premières actions phares a été l’effacement des titres historiques, reliquat d’une approche trop pyramidale. « Nous avons unifié les grades de directeur et de chef de projet avec une terminologie commune : celle de “lead”. Les niveaux intermédiaires ont donc disparu », explique Carole de Crozet, chargée du pôle cotransformation. Ce passage, même s’il a été fait de manière progressive, a déstabilisé les équipes : « Cela n’a pas été si simple car les salariés, et c’est normal, étaient fiers de leurs titres reflétant leurs responsabilités et missions. Une certaine incompréhension mêlée à de la frustration est apparue, qu’il a fallu écouter, puis désamorcer avec beaucoup de pédagogie. »

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L’ombre du désengagement face à la pratique de l’organigramme sauvage

Selon Céline Méchain, attribuer un titre inapproprié comporte des risques significatifs sur l’engagement : « Surestimé ou sous-estimé, un libellé peut créer un fossé entre les attentes du collaborateur et la réalité de sa fonction, pouvant entraîner un désengagement progressif. » En effet, un écueil est souvent visible dans les organisations de taille moyenne : « Pour mieux recruter, les recruteurs sont tentés d’attribuer des titres généreux. Résultat : ils font face à une problématique d’organigramme lorsqu’il s’agit d’embaucher des personnes au niveau supérieur.» L’impasse organisationnelle est amorcée.

Une perte de confiance en soi amenant une (potentielle) chute de productivité

Le titre est perçu et vécu comme une extension de soi : s’il est juste et adéquat, il renforce alors l’estime de soi tout autant que la fierté d’appartenance. En filigrane, c’est une forme de reconnaissance de la valeur individuelle qui est génératrice d’investissement et d’efficacité car le/la salarié·e se sent légitime à son poste pour agir, proposer, innover… Néanmoins, Albert Moukheiber met cette affirmation en perspective : « Ces réactions ne sont pas universelles : il existe un prisme culturel à prendre en compte. Aux États-Unis par exemple, la valeur travail est très importante. Un titre, même fictif, pourra être un vrai levier d’engagement. Contrairement à la France où la gadgétisation du label peut nuire à la motivation. »

Trouver le juste titre : 3 conseils pour éviter les impairs

Conseil n°1 : ne pas céder au chant des tendances

Il faut privilégier la cohérence à l’effet de mode. « L’objectivité et la clarté dans l’attribution des titres sont fondamentales pour garantir une gestion efficace des talents et une communication transparente », souligne Céline Méchain en prenant l’exemple du recrutement. « Les intitulés de poste créatifs risquent de ne pas être compris par la majorité des candidats potentiels. Cela peut conduire à un manque d’adéquation entre l’offre d’emploi et les candidats, rendant la recherche de talents plus difficile », ajoute-t-elle.

Conseil n°2 : créer un référentiel des postes cohérent et dynamique

La définition d’un intitulé ne doit pas se faire de manière isolée. C’est une action qui s’inscrit dans une démarche plus globale incluant une réflexion sur l’évolution des carrières : « Lorsque l’équipe RH envisage l’évolution des collaborateurs, les critères retenus sont généralement : le temps, à savoir sur un même poste, les changements de titre indiquent le niveau d’ancienneté (associate, junior senior, etc.), les compétences acquises et les réalisations concrètes en autonomie », explique Céline Méchain. En termes de processus ? « Le titre ne devrait pas être donné par le responsable hiérarchique uniquement, mais en coordination avec l’équipe RH qui s’assure de la cohérence des titres entre les différents services mais également l’adéquation entre le salaire, le titre et le niveau de responsabilités. »

Conseil n°3 : bien définir les titres et communiquer avec pédagogie

Autre point fondamental : « D’une organisation à l’autre, un titre peut revêtir des réalités différentes suivant la culture de l’entreprise », avertit Céline Méchain. Ainsi, chez Projective, un travail collectif de définition a été mené pour expliquer ce qu’était un « lead », ses objectifs et son rôle dans l’entreprise. « Nous avons beaucoup travaillé sur les compétences associées et les objectifs annuels pour décrire ce qu’il y avait derrière ce terme et ce que cela signifiait dans la trajectoire individuelle : quelles compétences développer, quels projets internes mener, comment s’améliorer sur telles ou telles soft skills ? », explique Carole de Crozet. Cet effort de transformation se poursuit : « Notre objectif est d’essayer, à notre niveau, de démontrer aux collaborateurs que le titre n’est qu’une représentation. La vraie gratification est de savoir se remettre en question pour progresser. »


Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ