Tics verbaux en entretien d'embauche, est-ce que c'est grave ?

09 mars 2023

4min

Tics verbaux en entretien d'embauche, est-ce que c'est grave ?
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

« J’avoue », « genre », « du coup »… Ces mots béquilles ont la fâcheuse tendance à envahir nos prises de parole sans même que l’on s’en rende compte. De là à avoir une incidence négative en entretien d’embauche ?

Il suffit de tendre une oreille attentive ou de s’amuser à les compter lors d’une conversation pour se rendre compte de leur omniprésence. En effet, nous avons tous et toutes, la fâcheuse tendance à employer de façon répétée - voire abusive - , certains mots et expressions. Nos préférés ? « C’est clair ! », « carrément » ou encore le très tranchant « bref ». Des béquilles linguistiques sur lesquelles on se repose lors de nos prises de parole, mais qui sont souvent jugées négativement. Perçus comme un signe de paresse linguistique, avoir des tics verbaux renverrait une mauvaise image de soi et seraient donc à proscrire en contexte d’entretien d’embauche. Facile à dire mais difficile à mettre en pratique étant donné qu’on les emploie de façon inconsciente et que ces derniers nous aident à structurer notre discours. Alors, faut-il s’évertuer à les éradiquer face à un recruteur ? On fait le point avec Elodie Mielczareck, sémiologue et autrice de Anti Bullshit (éd. Eyrolles, 2021).

Une habitude inconsciente mais utile

Un peu comme ce refrain incessant qui tourne en boucle dans notre tête sans qu’on se souvienne où on l’a entendu, on adopte certains tics de langage machinalement, probablement par mimétisme. « Leur apparition comme leur disparition demeurent imprévisibles », explique Elodie Mielczareck. Des mots qui sont souvent le reflet d’un effet de mode, véhiculés par les médias, les personnalités politiques, les célébrités mais aussi par notre entourage et notre écosystème professionnel. Oui, l’open space a bien ses expressions phares telles que « pratico-pratique », « on part là dessus » ou encore « je reviens vers toi », dont on ne sait plus se passer. Des expressions communes que les individus partagent à grande échelle, si bien qu’on peut légitimement se demander pourquoi elles suscitent tant de critiques.

À l’instar du procès qui a été fait au trop usité « du coup » sur les réseaux sociaux, les tics verbaux sont souvent accusés d’appauvrir la langue française. Ce à quoi la sémiologue rétorque qu’ils sont aussi le signe que la langue évolue et donc qu’elle est vivante. Elle précise : « En soi, un tic verbal ne sert « à rien », puisqu’il transmet peu d’informations. Vu négativement, les tics de langage occupent l’espace de façon superflue, un peu comme la langue de bois.» En entretien d’embauche, alors que chaque échange est décisif, ces mauvaises habitudes langagières sont alors accusées de polluer la communication et de nous décrédibiliser. Pourtant, ils ont leur utilité comme aime à le rappeler la spécialiste, car ils permettent de créer du lien avec son interlocuteur. « Les tics se situent au niveau de la relation entre les individus, précise t-elle. Ils sont dotés de cette fonction dite « phatique » qui permet de garder le contact avec l’interlocuteur, à l’image des « hein ? », « voilà, voilà ! » et autres « tu vois ? » en conclusion de phrase. »

Les tics verbaux sont également des marqueurs d’appartenance générationnelle. Ainsi, les trentenaires abuseront des « c’est clair » quand les plus jeunes préféreront dire « carrément » et les plus anciens « naturellement ». Ils donnent des indices sur qui nous sommes, et offrent encore une fois la possibilité de créer des instants de complicité lorsque les deux interlocuteurs parlent le même langage. Tout comme le fait employer certains termes spécifiques liés à son domaine d’activité, ce qui nous inscrit dans un milieu professionnel, à condition de ne pas en abuser.

Enfin, dernier atout et non des moindres pendant un entretien d’embauche, ces tics verbaux permettent de gagner du temps. « En ne se focalisant plus sur ce que l’on est en train de dire, le cerveau peut plus facilement rechercher de l’information, explique la sémiologue. Pendant les « euh » qui s’éternisent, le cerveau, incapable de s’occuper du fond et de la forme simultanément, a ainsi tout le temps de construire et structurer la pensée. Ils « meublent » la conversation. »

Ces arguments favorables aux tics de langage, ne les réhabilitent pas pour autant à 100%. L’efficacité de notre prise de parole réside dans un savant équilibre. Si on débute chacune de nos phrases par « en fait », on a de grandes chances d’agacer le recruteur qui nous écoute. Alors, sans totalement chercher à les éradiquer pour garder en fluidité dans sa prise de parole, que faire pour les limiter ?

Un usage raisonné

S’il n’est pas question de complètement travestir sa façon de s’exprimer pour plaire au recruteur, il n’en reste pas moins que l’entretien d’embauche est une opération séduction pour laquelle on tentera de mettre toutes les chances de son côté. Et pour ne pas irriter la personne qui nous écoute, il faut réduire les répétitions qui lassent.

La première étape est d’identifier les mots et expressions dont on abuse. Pour ce faire, on peut poser la question à son entourage, ses proches, ses collègues… en somme ceux qui connaissent bien nos petits travers langagiers. L’autre solution consiste à enregistrer une piste audio ou vidéo d’une prise de parole ou d’une conversation, qu’on réécoutera pour prêter une oreille attentive à nos petites rengaines. Une fois reconnus, il faut remplacer ses tics verbaux au moins une fois sur deux, par des synonymes pour varier et enrichir son vocabulaire. Le tout en gardant son bagout naturel ! On évitera par exemple de remplacer « du coup » par « subséquemment » au moment de dérouler ses anciennes expériences professionnelles, au risque de faire tiquer le recruteur, ou pire, de passer pour un gros prétentieux. On peut en revanche se créer un champ lexical dans lequel on est à l’aise pour s’exprimer. Un vocabulaire qu’on adopte naturellement et qui permet d’arborer un ton qui nous ressemble.

L’avantage du contexte de l’entretien d’embauche c’est qu’on peut préparer certains éléments de discours en avance. Comme sa présentation personnelle qui va décrire son parcours, ses compétences, ses atouts pour le poste… ainsi que certaines réponses aux questions qui reviennent souvent comme « pourquoi souhaitez-vous rejoindre notre entreprise ? », « quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus fier·e », ou encore « où vous voyez-vous dans cinq ans ? ». L’occasion de structurer sa parole autour de termes plus précis, mieux choisis, et moins redondants que les formules toutes faites qui nous viennent en premier à l’esprit. Une anticipation qui permet de réduire également le stress et l’anxiété que l’on peut ressentir en entretien, un facteur qui favorise le recours aux locutions béquilles.

Enfin, il faut redonner sa place au silence. En entretien d’embauche, mais plus globalement dans tout échange conversationnel, il faut arrêter de chercher à combler à tout prix tous les blancs. Au contraire, les silences sont des moments de pause nécessaires à la compréhension et à l’assimilation des messages qui sont transmis entre les interlocuteurs. Surtout, c’est une manière plus efficace de ponctuer une fin de phrase qu’un trop commun « voilà » ou son pendant diabolique « voili voilou ».

S’autoriser à utiliser certains tics verbaux en entretien d’embauche est donc possible et ne va pas décrédibiliser notre candidature, tant que leur récurrence ne cannibalise pas nos messages. S’entraîner et répéter nos prises de paroles permet d’enrichir son vocabulaire pour mieux captiver l’attention du recruteur pour le marquer positivement.

Article édité par Gabrielle Tremblay et Romane Ganneval, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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