« Même si on est handicapé et immigré, tout est possible » Steves Hounkponou

06 avr. 2021

7min

« Même si on est handicapé et immigré, tout est possible » Steves Hounkponou
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

À la tête d’une communauté Instagram qui réunit aujourd’hui 150 000 personnes et créateur d’une agence de conseil spécialisée dans l’identité visuelle des marques et le développement personnel, le chemin vers la réussite n’a pas toujours été simple pour Steves Hounkponou. Arrivé en France à l’âge de 14 ans après avoir été repéré au Bénin pour devenir footballeur professionnel, il voit son avenir bouleversé par une maladie génétique qui le condamne à vivre en fauteuil roulant. Mais comme souvent, le jeune homme préfère déjouer les pronostics et se donner les moyens de réaliser ses rêves.

« Il était impossible que je passe ma vie en fauteuil »

Bagues en argent à chaque doigt, bracelets qui claquent sur ses poignets, chapeau noir, regard intense derrière ses lunettes de vue, la silhouette de Steves Hounkponou a été parfaitement étudiée pour cacher ses failles : ses jambes. Né avec une jambe plus longue d’1,5 cm, il a toujours boité. Pourtant, c’est grâce à ces mêmes jambes qu’il débarque en France à l’âge de 14 ans. Repéré lors d’un match de football entre gamins de quartier à Bopa au Bénin, un entraîneur français demande l’autorisation à ses parents pour qu’il vienne passer des essais au centre de formation d’Auxerre. L’adolescent joue arrière latéral gauche. Et sur le terrain, il se sent bien. « Dans mon collège, les enfants se sont toujours moqués de ma démarche. À cause de la différence entre mes jambes, je n’avais pas d’autre choix que de marcher les jambes écartées, dit-il. Lorsque je courais, cette différence ne se voyait plus. J’étais comme les autres, sauf que je courais plus vite. »

En France, rien ne se passe comme prévu. Lors d’un match de détection, il finit sur une civière direction l’hôpital. Ses jambes ne répondent plus. Au centre hospitalier de Corbeil-Essonnes, les médecins lui trouvent une anomalie génétique, le HLA B27, à l’origine du mal qui le ronge de l’intérieur : la spondylarthrite ankylosante, un rhumatisme inflammatoire chronique. Le diagnostic est sans appel, il ne marchera plus.

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« Je n’ai jamais cru à cette sentence, dit-il. Mon père avait le même problème que moi et il marchait parfois avec une canne, mais il marchait, il était donc impossible que je passe ma vie en fauteuil. » Dans le centre de rééducation du Moulin de Viry en banlieue parisienne, il regarde la France gagner la Coupe du monde 1998 alité. La rééducation est longue, surtout du côté droit où on lui a posé une prothèse de hanche. Il redouble d’efforts pour retrouver des sensations, poser le pied gauche à terre, puis le droit. Poussé par toute une équipe médicale et sa sœur Corinne qui vit en France et qui lui rend visite quotidiennement, il atteint finalement ses objectifs au bout d’un an. Il peut désormais se tenir debout sans déambulateur et avancer en boitant. Sauf qu’à force de pousser son corps, sa deuxième hanche lâche à son tour. Retour case hôpital où on lui pose une nouvelle prothèse. « Il fallait reprendre depuis le début, ça a été une énorme douche froide, explique-t-il. À ce moment, je me demandais si j’aurais la force de tenir. D’autant que là c’était sûr que je pouvais faire une croix sur le football. »

«Je suis le petit dernier d’une fratrie de neuf enfants et avec six grandes sœurs. Les essayages de nouveaux habits ont toujours été des moments de fête. »

Le nouveau “Yves Saint-Laurent noir”

Dans les moments de doutes et de chagrin, l’adolescent s’enroule dans un tissu de wax, un cocon qui lui rappelle son Bénin natal et sa mère, orpheline devenue « Nana Benz », une femme d’affaires prospère grâce au business de tissus de wax hollandais. Jusqu’au jour où, il délaisse les retransmissions de match, pour la mode. Il découvre Yves Saint-Laurent en feuilletant des magazines féminins, découpe les silhouettes qu’il répertorie dans un grand cahier. « Je voulais devenir le Yves Saint-Laurent noir. D’ailleurs, en y repensant, j’ai toujours aimé les vêtements. Je suis le petit dernier d’une fratrie de neuf enfants et avec six grandes sœurs. Les essayages de nouveaux habits ont toujours été des moments de fête, se souvient-il. Elles étaient si belles avec toutes ses couleurs. » Enfant, il récupérait déjà les chutes de tissus de sa mère pour confectionner des robes pour les poupées de ses aînées. Mais pour son père qui a commencé tout en bas de l’échelle pour finir PDG d’une entreprise d’import-export, la couture et les chiffons, c’est une affaire de femme. Un métier que l’on choisit quand on n’a pas eu la chance de faire d’études.

À seize ans, Steves Hounkponou ne boîte presque plus et quitte définitivement le centre de rééducation. Il reste en France avec sa sœur et suit un parcours classique : lycée, IUT, école de commerce. Il ne vit pas dans l’opulence, mais ses parents financent le nécessaire. Après avoir entendu maintes et maintes fois le récit de leur parcours, le jeune homme sait que les efforts paient. Malgré ce que pense son père, il s’obstine à faire carrière dans le luxe et décroche un CDI en joaillerie. Très vite, les clichés sur le milieu de la mode défilent sous ses yeux ébahis. Les salariés ne se font pas de cadeaux, chacun s’accroche à son pré carré. Si un petit nouveau ose marcher sur les plates-bandes d’un senior, le retour du boomerang peut être terrible. Encore un peu naïf, il tombe évidemment dans le panier de crabes. Écoeuré, il claque la porte mais n’avertit pas ses proches de ses difficultés.

« On me disait par exemple « Mais toi tu n’es pas un noir comme les autres » parce que j’étais instruit. Ils ne se rendaient pas compte à quel point c’était insultant. »

Dans le milieu du luxe où tout le monde se connaît, son CV est à chaque fois débouté par les recruteurs. Pour la première fois de sa vie, il compte chaque sou. Pâtes, oeufs, il a de quoi se faire un repas par jour. En attendant des jours meilleurs et pour payer son loyer, il devient remplaçant dans une chaîne de fast-food. En pleine traversée du désert, il croise sa tante Rosalie, femme de ménage qui vit dans un HLM. Elle ne va jamais au restaurant, ne prend jamais de café en terrasse. Elle n’a rien et pourtant, sans que son neveu ne l’ait informé de sa situation, elle lui glisse discrètement un billet de 10 euros dans sa poche. « Les rencontres ne se font jamais totalement par hasard », pense-t-il aujourd’hui.

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C’est l’électrochoc qu’il attendait pour reprendre le cours de sa vie et des études. À 25 ans, diplômé d’un MBA en finance, il obtient un premier poste au Bon Marché. Une nouvelle fois repéré, mais cette fois pour son bagou et son sens du contact avec la clientèle, il évolue dans la mode, jusqu’à diriger des magasins d’enseignes prestigieuses. « Tout n’a pas été simple pour arriver à mon niveau, surtout pour un noir, raconte-t-il. Le racisme ne concerne qu’une infime partie du milieu de la mode mais, malheureusement, il arrive que ces personnes aient des postes importants. À cette époque, on me disait par exemple « mais toi tu n’es pas un noir comme les autres » parce que j’étais instruit. Ils ne se rendaient pas compte à quel point c’était insultant. Je ne me suis jamais laissé faire ! »

L’effet chapeau

« Il ne faut pas avoir peur de l’échec et des coups durs, c’est grâce à ces accidents de parcours que tu apprécies le bonheur et la réussite. »

Alors qu’il semble avoir touché son rêve du bout des doigts, une rencontre imprévue le fait encore changer de trajectoire professionnelle. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une personne, mais d’un chapeau noir, modèle Fedora, qui l’attire dans une vitrine du Marais, à Paris. Le chapeau ne va pas à tout le monde, mais lui sied à merveille. Il l’achète. Pour la première fois de sa vie, une femme l’arrête dans la rue. Il vient de découvrir l’effet chapeau. Gonflé à bloc, il publie une photo avec son couvre-chef sur Instagram. Son premier buzz. « Au début, lorsqu’on me demandait où j’avais acheté mon Fedora, je donnais le nom de la boutique, mais très vite, j’ai pensé que je pouvais peut-être lancer ma propre marque. C’est à ce moment que je trouve l’idée de BlackHats », dit-il. Il imagine d’abord une ligne de chapeau haut de gamme, puis fait évoluer le concept avec une série de prêt-à-porter « clichée », dont chaque pièce porte un message fort : « Made in Africa » ; « Enfant d’Immigré », « Arabe et sympa » ; « Jew, My Nose Is Prettier Than Yours », « Métis(se) »… Le succès est retentissant.

« Même si on est handicapé et immigré, tout est possible dans la vie. »

En plus de sa marque, Steves Hounkponou suivi par 150 000 followers sur Instagram, gère une agence de conseil en image et propose des formations pour reprendre confiance en soi. Chaque jour, il publie un message inspirant pour que les membres de sa communauté assument leurs différences et gagnent confiance en eux. « Il ne faut pas avoir peur de l’échec et des coups durs, c’est grâce à ces accidents de parcours que tu apprécies le bonheur et la réussite, explique-t-il. Tout ne peut pas être linéaire et rien n’arrive sans travail. » Et continue à collectionner les chapeaux en feutre noir : « Je dois tellement à cet accessoire, j’en ai une étagère remplie, ils me rassurent. J’en suis à 83, mais j’en ai encore commandé deux la semaine dernière… Une vraie addiction. »

Dans la vie, tout est possible

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Paysages exotiques, hôtels de luxe, plats gastronomiques, les clichés qui décorent sa page Instagram font rêver, surtout en temps de pandémie. « Mais je montre aussi quand je travaille un dimanche soir, quand je vais à l’hôpital chaque semaine pour mes jambes, l’important c’est d’être authentique et de prendre de la distance avec la viralité. La vie se construit ailleurs. » Depuis quelque temps, un bébé, toujours montré de dos pour préserver son anonymat l’accompagne. « Je suis devenu père pendant le confinement, raconte-t-il. C’est d’ailleurs pour lui, Gabriel, que j’ai voulu écrire mon histoire. Même si on est handicapé et immigré, tout est possible dans la vie, il devait le savoir. » À 36 ans, le prochain rêve de Steves Hounkponou serait d’adapter son roman autobiographique J’avais toutes les excuses (Éd Dunod, 224 pages, parution février 2021) en série, même s’il ne connaît personne dans ce milieu. Cela lui permettrait de récolter des fonds pour aider d’autres personnes touchées par la spondylarthrite ankylosante qui touche 1% de la population au Bénin et 3% en France. Une maladie orpheline qui l’handicape encore à 80%, « même si ça ne se voit pas ». Steves Hounkponou n’a pas oublié que s’il était resté au Bénin, il ne se tiendrait pas debout tout sourire avec son pantalon à pieds-de-poule et son chapeau noir vissé sur la tête devant nous, mais serait définitivement cloué à un fauteuil.

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