Pourquoi a-t-on si peur des RH en entreprise ?

12 mai 2022

6min

Pourquoi a-t-on si peur des RH en entreprise ?
auteur.e
Daphnée Breytenbach

Journaliste freelance

En France, les DRH traînent souvent derrière eux une image négative. Licenciements, rappel à l’ordre des employés, négociations salariales musclées… Certaines des missions qu’ils ont entre leurs mains les mènent à être l’une des branches les plus mal-aimées du monde de l’entreprise. Pourtant, ils sont aussi les interlocuteurs privilégiés en ce qui concerne les suivis de carrière, la résolution des conflits, le soutien aux salariés ou encore la formation continue. Alors, aurait-on intérêt à les voir comme des alliés plutôt que de s’en méfier ?

Le facteur historique

Les « services du personnel » apparaissent dans les entreprises à la fin du XIXe siècle, dans le contexte de la Révolution industrielle et de l’avènement du salariat. Avant, le travail n’était vu que comme une activité qui produit un bien ou un service, négocié commercialement comme du “ louage d’ouvrage ” où les ouvriers étaient un peu des “entrepreneurs en ce qu’ils font.” Au tournant du siècle, les structures les plus développées mettent en place une division du travail et un système de contrôle, afin de superviser la productivité des travailleurs. Les ressources humaines se mettent petit à petit en place, jusqu’à devenir, à l’aube de la Première Guerre mondiale, une fonction en tant que telle. Leurs missions : embauche, organisation du travail, surveillance et licenciements. En somme, ils sont le « bras armé » des patrons.

À partir de la Seconde Guerre mondiale, avec le développement des législations et le vote des grandes lois sociales de 1936, la fonction se structure. Les besoins des salariés sont pris en compte avec plus d’attention et le management devient plus horizontal. Pourtant, malgré la diversification des tâches des RH au cours des dernières décennies, le cœur du métier est longtemps resté concentré sur la gestion des crises, la discipline et l’organisation du travail. Avec, pour résultat, une image négative toujours bien ancrée à ce jour du côté des salariés.

Quiproquo de départ

Selon Elisabeth Dartigues, fondatrice de Mon Coach Mobilité et ancienne DRH, « il y a un quiproquo de départ. Le salarié pense que le DRH devrait travailler pour lui et l’employeur aussi puisqu’il le rémunère. On assiste donc à une méfiance des deux côtés. Pour moi, il ne faut pas se tromper. En tant que DRH, je représente la direction d’un point de vue symbolique. Et de fait, pour les salariés, il est plus facile que je sois la méchante. » Craint et vu comme le « mauvais flic » par les salariés, le DRH se retrouve souvent bousculé de l’autre côté par des dirigeants parfois trop concentrés sur les variables d’ajustement. Selon une enquête Cegos menée en 2019, 44% des DRH reconnaissent d’ailleurs parfois agir contre leur éthique et leurs valeurs et 52% d’entre eux se heurtent au manque de vision sociale et d’anticipation de leur direction.

Côté salariés, le niveau de confiance dans la fonction RH reste faible, avec une note de confiance des salariés envers la fonction RH de 5,5 sur 10. Selon 34% d’entre eux, le facteur humain est insuffisamment pris en compte. 26% leur reproche un manque de transparence, 25% un manque de proximité et ils ne sont que 18% à n’avoir aucun reproche à formuler à l’encontre de leur DRH.

Un sentiment de défiance que confirme Grégory, anciennement responsable des relations publiques dans un grand groupe hôtelier. « Lorsque nous étions convoqués par le service des ressources humaines, nous y allions toujours la boule au ventre. On avait le sentiment qu’ils étaient déconnectés de la réalité du terrain et qu’ils nous mettaient face à des attentes irréalistes de la direction. J’y ai été confronté lorsque j’ai voulu négocier une augmentation salariale qui m’avait été implicitement promise par le directeur de l’établissement dans lequel je travaillais. La DRH n’a rien voulu entendre et m’a mis en porte-à-faux. Résultat, je n’ai plus osé la solliciter et j’ai préféré, quelques mois plus tard, accepter un poste dans un groupe concurrent, aux conditions qui me convenaient. »

Un autre problème réside dans la méconnaissance des métiers pour lesquels les DRH sont censés recruter ou envisager une progression de carrière. Aujourd’hui, en France, alors que le chômage reste élevé, il y a de nombreux postes à pourvoir. Le problème viendrait-il des services RH qui suivraient trop les fiches de poste et passeraient ainsi à côté de profils plus singuliers ?

Rester dans leur rôle

Marc Mousli, consultant, chercheur en prospective et en management et ancien directeur des ressources humaines, l’affirme : « Ce sont les managers qui doivent rester au plus proche de ceux qu’ils supervisent, y compris en ce qui concerne l’administration. C’est là que tout se passe, ce sont eux qui sont au contact quotidiennement, qui connaissent le boulot. LeDRH, lui, doit faire un travail fonctionnel et être un appui pour ces managers. » Un constat partagé par Elisabeth Dartigues : « On doit tout faire pour protéger la relation entre le salarié et le manager. Donc, en cas de conflit, on transfère l’agressivité sur le DRH, on organise le fait que les relations se tendent. Même s’il faut bien sûr conserver un équilibre. Le manager ne doit pas tout faire, sinon la mainmise serait trop grande. En revanche, lorsqu’on donne tout le pouvoir aux DRH, on est à côté de la plaque parce qu’il ne connaît pas le salarié. »

Marco, ancien chargé de communication pour une chaîne de télévision, se rappelle s’être trouvé dans une situation où le DRH a pris en charge la gestion d’un conflit qui l’opposait à son manager. « Depuis plusieurs mois, les choses se passaient mal. Je trouvais mon manager trop directif, pas assez clair dans ses consignes. Il me reprochait de ne pas m’investir suffisamment dans mes tâches quotidiennes, de ne pas être pro-actif. Mais nous n’en avions jamais parlé directement. C’est lors d’un rendez-vous avec le DRH que j’ai compris que les choses n’allaient pas. C’était un peu comme si ce monsieur, que je n’avais vu que deux fois, connaissait tout de moi professionnellement. C’est finalement ensemble que nous avons d’ailleurs trouvé une solution. » Marc Mousli abonde dans ce sens : « La question de la crainte du DRH est intimement liée au partage des missions entre les ressources humaines et le management. Les managers ont une action très directe sur la vie de leurs collaborateurs, par exemple sur la question des congés. Admettons que vous vous trouviez dans une société qui ferme tout le mois d’août, mais que l’épouse d’un salarié ne puisse prendre ses vacances qu’en juillet. Le manager va être celui qui pourra trouver des solutions, mettre en place des arrangements au niveau de l’équipe. Si la décision atterrit entre les mains du DRH, déroger aux règles de la société sera plus compliqué. Il est là pour faire un travail fonctionnel et doit conserver une certaine distance, une neutralité. »

Favoriser le facteur humain

Le plus souvent, les collaborateurs reprochent aux DRH de ne pas tenir assez compte du facteur humain, pourtant nommément présent dans l’intitulé de leurs postes. Selon l’enquête Cegos, l’accompagnement du développement des compétences des collaborateurs constitue pourtant, et de loin, le principal critère d’attractivité (61%) de la fonction pour les DRH aujourd’hui en poste. Viennent ensuite l’accompagnement humain des projets de changement (34%), le fait d’être au cœur des décisions stratégiques de leur entreprise (33%), puis le fait d’être un acteur clé du dialogue social (33%). Pourtant, lorsqu’on les interroge sur les missions qu’ils ont effectivement trouvées une fois en poste, c’est l’accompagnement des projets de changement qui arrive en tête (41%), devant le développement des compétences des collaborateurs (35%).
Marc Mousli confirme : « Les RH doivent prendre en main des opérations lourdes, qui peuvent leur prendre beaucoup de temps. Par exemple, les mouvements de cadres d’un poste à l’autre sont souvent compliqués. Ce n’est pas évident de faire venir une personne qui travaille depuis des années en province à Paris, parce qu’on a besoin de lui à un poste-clé. À l’inverse, j’ai dû initier dans le passé la délocalisation d’un service parisien à Strasbourg, où il fallait transférer une centaine de postes. C’était une opération très complexe que les managers ne pouvaient pas gérer eux-mêmes, d’autant que la majorité des gens n’étaient pas prêts à partir en Alsace. C’est dans ce genre de cas que les RH peuvent se créer une mauvaise réputation. Au quotidien, lorsqu’une personne veut obtenir un changement de poste, elle s’adresse d’abord à son chef. S’il donne sa bénédiction, le DRH n’a aucune raison de s’y opposer… » Le travail du DRH est donc porteur de complexité et de contradictions. Il doit à la fois gagner la confiance du personnel, tout en conservant celle de sa direction. Cette double casquette est l’un des facteurs majeurs du sentiment de déshumanisation de la fonction. D’autant qu’il est aussi qui va mettre en œuvre les plans de licenciement, ce qui n’arrange bien sûr pas son image. D’après l’enquête Cegos, « les salariés demandent toujours plus de proximité à leur DRH, qu’ils perçoivent davantage au quotidien comme un gestionnaire de processus ».

Restaurer la confiance

Selon Annick Allegret, membre du Directoire du Groupe Cegos, « Il y a souvent de grands écarts entre les aspirations des DRH et la réalité du terrain. Ils se voient comme des professionnels du dialogue, quand les salariés les décrivent plutôt comme des gestionnaires. Ils affectionnent leur rôle de conseil et d’accompagnement stratégique, mais les aspects réglementaires et administratifs de leur fonction prédominent souvent au quotidien. Les DRH demeurent souvent tiraillés entre les injonctions macro-économiques des Directions Générales et les demandes légitimes des salariés sur le terrain. Ce que traduisent ces décalages, c’est bien le double défi qu’induit la transformation des entreprises : il faut à la fois inventer et déployer de nouveaux business models avec un fort enjeu de compétitivité, et orchestrer la montée en compétences des équipes dans un monde du travail en mutation. Or ces deux défis sont profondément liés et le DRH peut en être le trait d’union. » D’autant qu’avec un contexte de tension sur le marché de l’emploi, les DRH vont être contraint de trouver les bonnes solutions pour garder leurs salariés et donc de rester à leur écoute. Et Marc Mousli de conclure : « N’oublions pas que les DRH attachent une grande importance à leur image et à celle de leurs services… Je pense donc qu’il y a des raisons d’être optimistes : c’est en communiquant le mieux possible qu’ils parviendront à restaurer la confiance ! »

Article édité par Romane Ganneval
Photo de Thomas Decamps

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