Tribune : « S’inspirer de ceux qui ont réussi peut être contre-productif »

27 juin 2022

5min

Tribune : « S’inspirer de ceux qui ont réussi peut être contre-productif »
auteur.e
Sonia Valente

Coach certifiée en reconversion professionnelle et auteure passionnée par l’évolution du monde du travail et les profils multipotentiels.

« Le guide pour devenir rentier » ; « les étapes à suivre pour lancer son activité de freelance et gagner ses premiers milliers d’euros en trois mois » ; « les secrets de ceux qui ont obtenu une augmentation de salaire de 30% »… Vous l’aurez sans doute remarqué, les méthodes pour atteindre nos objectifs professionnels en un claquement de doigts pullulent. Elles envahissent nos feeds sur les réseaux sociaux, encombrent nos boîtes mail et sont même placardées dans les rayons de nos librairies préférées.

Personnellement, j’ai du mal à croire que ces recettes, à mi-chemin entre le développement personnel et la stratégie business, soient réellement efficaces… J’irai même jusqu’à dire que s’inspirer de « celles et ceux qui ont réussi » peut être contre-productif.

Un mode d’emploi pour réussir, ça n’existe pas !

« Si ça a marché pour lui, pourquoi pas pour moi ? » Combien sommes-nous à nous être laissés tenter par une formation en ligne, un livre de conseils magiques ou un accompagnement proposé par une ou plusieurs personnes qui ont réussi à atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé, un peu comme s’ils étaient devenus une référence absolue ? De mon côté, je ne compte plus le nombre de « secret sauce » que j’ai mis en application, sans être arrivée à mes fins.

Pour notre défense (ou la mienne ?), il faut dire que les personnes qui ont réussi savent être persuasives ! La recette est simple : une bonne dose de storytelling, des phrases incitatives du genre « cette méthode est simple à mettre en place », un zeste de témoignages positifs, et hop, le tour est joué ! Les lecteurs sont désormais prêts à passer à l’action, motivés et optimistes comme jamais. Jusqu’à ce moment où, malgré avoir suivi les recommandations façon « premier de la classe », rien ne se passe. Parce que oui, vous comme moi en voyant que le succès n’est pas vraiment au rendez-vous, vous stagnez et vous perdez de la motivation.

Alors, pourquoi est-ce que l’on tombe dans le panneau ? Et pourquoi on y retourne volontiers ?

Tout est une question de perception

Lorsque celui ou celle qui a réussi met en avant la simplicité de sa méthode qui l’a menée au succès, le chemin pour atteindre nos objectifs semble à notre portée, une vraie promenade de santé où nous n’aurions plus qu’à suivre le guide. Et ça, notre cerveau, qui affectionne tout ce qui est facile, adore ! Pas de doute : il nous incitera à suivre le mode d’emploi préconisé.

Comme si ce n’était pas assez, il y a aussi l’anticipation du bonheur futur qui nous motive. Car, lorsque la personne qui a réussi met en scène son succès à coup de « regardez comme je suis super heureux.se maintenant », il est très difficile d’empêcher une certaine projection de notre futur succès. Dans ces conditions, comment ne pas prendre cette personne en exemple ? Comment ne pas vouloir dupliquer la même recette ?

Malheureusement, lorsque nous nous rendons compte que ce n’est finalement pas si simple et que ce que l’on a mis en place n’apporte pas les résultats escomptés, c’est le drame. S’ensuit une vague (ou plutôt un tsunami) de sentiments désagréables : honte, dévalorisation et perte de confiance en soi, peur, remise en question et culpabilité. On en vient même à penser que notre ambition n’a pas abouti par notre faute.

Or, difficile d’avancer et de parvenir à son but quand on a perdu toute estime dans ses capacités. L’enthousiasme et la détermination des premiers temps laissent alors place au renoncement et à l’abandon du projet.

Ce qui marche pour l’un ne marche pas forcément pour l’autre

Parmi les ingrédients qui créent les conditions de la réussite, on oublie trop souvent de parler des facteurs internes (personnalité, santé…), de ceux qui ne dépendent pas toujours de nous (réseau, situation économique…) et qui influencent de près ou de loin le résultat final. Dit autrement, ce n’est pas parce que votre meilleur ami a, par exemple, réussi à obtenir une promotion que vous devez appliquer les mêmes comportements et actions pour y parvenir. D’autres éléments pèsent dans la balance.

La chance, c’est juste de la chance !

La chance, c’est ce truc qui nous arrive au bon moment et qui nous aide à avancer et à accéder à notre but. Nous connaissons tous cette fille ou ce garçon qui, lors des épreuves du bac sort de la salle, serein.e, parce qu’il/elle est tombé.e sur le seul sujet qu’il/elle avait bossé. Alors que nous, nous avons bossé TOUS les sujets et que l’on est tombé sur celui que l’on redoutait. Rageant, n’est-ce pas ?

Malgré ce que disent certains (coucou, les aficionados de la loi de l’attraction), nous n’avons aucune influence sur le facteur chance. Pour vous en rendre compte, prenez du recul : imagineriez-vous dire à un enfant né dans un pays en guerre que la chance, ça se crée ?

Revenons à notre exemple du meilleur ami qui a réussi à obtenir une promotion. On peut imaginer qu’il a eu de la chance parce que suite à la croissance de l’entreprise, un nouveau poste dans le département souhaité est créé. Et bien qu’il ait travaillé dur et que ses efforts aient porté leurs fruits, l’ouverture de ce job relève d’un facteur externe qui lui a clairement permis d’accéder à la promotion voulue.

Nous sommes tous différents

Toujours en gardant le même exemple, votre personnalité est certainement différente de celle de votre meilleur pote. Ne serait-ce que parce que vous avez eu une éducation et un parcours de vie distincts. Votre meilleur ami est peut-être un bosseur acharné qui ne compte pas ses heures. Il considère que c’est à la sueur de son front que l’on obtient ce que l’on veut. On peut imaginer aussi qu’il a un tempérament extraverti et un naturel confiant quand il s’agit de prendre la parole.

Et c’est tout naturellement qu’il vous conseillera de bosser dur, d’avoir un esprit compétitif, et de vous mettre en avant lors de l’entretien. Sauf que vous, vous êtes introverti.e et réservé.e. Vous préférez montrer vos résultats plutôt que vous mettre en avant. Mais aussi,« ne pas compter ses heures » n’est pas compatible avec vos valeurs et votre vision du travail. À coup sûr, en mettant en pratique ses actions et comportements, cela vous demandera non seulement plus d’efforts qu’à lui, mais surtout vous n’en tirerez rien de positif et de productif simplement parce qu’ils ne sont pas adaptés à votre personnalité.

Des méthodes de réussite à ne pas ériger en panacée

Alors que faire si suivre ces modes d’emploi est contre-productif ? Les éviter, les boycotter ? Il me semble important de conseiller à chacun de se connecter à son esprit critique. Car si ce sont souvent les success-stories qui sont mises en avant, quand on donne la parole à celles et ceux qui ont échoué, on se rend bien compte que ce sont les mêmes recettes qui ont été appliquées dans la plupart des cas.

Donc, arrêtons de mettre sur un piédestal les winneurs, comme s’ils détenaient le secret absolu de la réussite ! On peut s’inspirer de leur parcours, mais intelligemment en prenant de la distance avec leur réussite souvent très romancée et qui vient exacerber nos émotions et donne l’illusion que notre vie sera bien meilleure lorsqu’on aura atteint notre but.

Certains conseils vous conviendront et vous aideront à avancer. Pour les identifier et les reconnaître, fiez-vous à vos valeurs, à vos préférences et à votre personnalité. Par exemple, si vous êtes plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral, n’allez pas produire des vidéos Youtube pour transmettre votre passion même si c’est le plus grand Youtubeur qui le conseille. Créez plutôt un blog qui colle mieux à votre nature, cela vous demandera moins d’énergie. Tournez-vous alors vers des professionnels qui vivent de leurs contenus écrits pour bénéficier de leurs conseils techniques et pratiques.

En somme, les conseils et méthodes communiqués doivent rester des outils et non pas des sésames. Des techniques à tester selon nos appétences et qui peuvent s’avérer efficaces de temps à autre, mais insuffisantes pour en faire la panacée.

Article édité par Romane Ganneval
Photo de Thomas Decamps