Recrutement : pour ou contre la prise de références ?

12 janv. 2022 - mis à jour le 20 juil. 2023

5min

Recrutement : pour ou contre la prise de références ?
auteur.e
Aurélie Tachot

Rédactrice

contributeur.e.s

Devriez-vous effectuer une prise de références lors de vos recrutements ? On pèse le pour et le contre.

« Avez-vous des références à nous fournir ? » Cette question, beaucoup de candidats l’ont entendue en fin d’entretien. Mais que dit la loi à ce sujet ? En quoi la méthode est-elle fructueuse – ou non – dans un processus d’embauche ? Débat.

Prise de références : que dit la loi ?

Alors que 2/3 des candidats avouent mettre des informations erronées dans leur CV , selon les résultats d’une étude de Florian Mantione Institut réalisée en 2022, les recruteurs sont nombreux à vouloir sécuriser leur décision en jouant la carte de « l’appel à un ami ».

Pourtant, le terrain est miné : la prise de références est strictement encadrée par le Code du Travail (articles L. 1221-8 et L.1221-9) : « Aucune information concernant personnellement un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ». Pas question, donc, d’obtenir de l’information en douce sur un travailleur. Les entreprises doivent préalablement obtenir l’accord du candidat avant d’effectuer une prise de références, y compris si ce dernier a mentionné les coordonnées de personnes référentes sur son CV.

Les informations demandées lors de la prise de références doivent uniquement concerner la capacité d’un candidat à occuper le poste à pourvoir. En l’occurrence, elles doivent porter sur ses compétences techniques et ses soft skills.

Un cadre légal contraint qui n’empêche pas les recruteurs de recourir à cette pratique. D’après une étude menée en 2017 par HelloWork, 19 % des recruteurs feraient systématiquement une prise de références, 43 % parfois et 9 % jamais. Pour Clémence Roynette, responsable recrutement chez Aramisauto, elle permet, au même titre qu’un outil d’évaluation, d’éviter les erreurs de casting. En revanche, Emma Vinot Le Maout, chargée de sourcing chez Mazars, estime que cette pratique n’est pas suffisamment objective pour être intéressante. Tour d’horizon des arguments de l’une et de l’autre.

POUR : « La prise de références est un outil d’aide à la décision »

Sécuriser une décision avec une perception supplémentaire

En 2022, Aramisauto a voulu recruter 250 nouveaux collaborateurs dans le digital, le retail, le commerce… « Nous ne réalisons pas de prise de références pour ces 250 personnes, mais nous y avons recours dans certains cas, lorsque nous cherchons à confirmer ou infirmer un élément », explique Clémence Roynette, responsable recrutement. Cet « élément », c’est notamment la capacité d’un candidat à s’intégrer dans l’environnement de travail du groupe. « Notre culture d’entreprise est basée sur la remise en question et l’apprentissage en continu. Ce sont des critères difficiles à mesurer en entretien. Lorsque nous avons du mal à projeter un candidat dans notre environnement de travail ou que nous avons un doute sur sa capacité à s’adapter à notre mode de management, nous nous tournons vers la prise de références », explique-t-elle.

À cette occasion, plusieurs questions peuvent être posées : quel est votre environnement de travail idéal ? Quelles relations entreteniez-vous avec vos collègues ? Dans quel mode de management êtes-vous le plus épanoui ? Chez Aramisauto, cette étape est réalisée à la fin du processus RH et est considérée « comme un “plus” intéressant, mais non décisif ». En bref, comme une variable d’ajustement. Il n’est pas rare que ce soit les candidats eux-mêmes qui le suggèrent. « Cela arrive régulièrement qu’ils donnent les coordonnées de leur ancien manager pour que nous creusions davantage certains points et que nous balayions nos craintes », raconte-t-elle.

Mieux connaître le candidat pour adapter l’onboarding

L’autre atout de la prise de références selon Clémence Roynette, c’est la possibilité, pour les entreprises, de mieux adapter l’intégration du futur collaborateur : « Chez Aramisauto, ce sont les managers qui sont à la manœuvre lorsqu’il s’agit de faire une prise de références, non les responsables RH. Lorsqu’ils entrent en contact avec les anciens employeurs des candidats, les managers peuvent en apprendre davantage sur leurs forces, leurs axes d’amélioration, leur comportement. Ce sont autant d’éléments qui nous aident ensuite à mieux axer le processus d’onboarding. Nous pouvons par exemple leur proposer des formations sur les points sur lesquels ils sont les moins à l’aise », illustre-t-elle.

Un candidat qui aurait, par le passé, évolué dans une organisation en silos peut par exemple être sensibilisé avant sa prise de poste à l’autonomie et à la prise d’initiatives. Généralement, cette prise de références est donc favorable aux candidats. « C’est un outil d’aide à la décision, non de décision, qui influence positivement la perception d’un candidat et qui, au final, nous permet de mieux l’accueillir et de mieux répondre à ses besoins », précise-t-elle.

CONTRE : « Nous préférons faire confiance »

Une pratique inadaptée aux environnements concurrentiels

Chez Mazars, la prise de références ne fait pas partie des réflexes RH. D’une part parce qu’elle est vue comme un moyen de contrôle par les candidats et peut donc entacher la marque employeur du groupe. D’autre part – et c’est lié – parce que l’entreprise évolue dans un secteur concurrentiel, l’audit, où la guerre des talents fait rage : « Dans notre marché, tout le monde se connaît. Ce serait mettre nos candidats en difficulté que de leur demander d’échanger avec leur ancien manager, d’autant que ces derniers ne sont pas toujours au courant qu’ils postulent ailleurs. Dans 99 % des cas, nous ne pratiquons pas la prise de références. Nous préférons nous faire confiance », indique-t-elle.

Pour compenser cette étape, Mazars s’auto-discipline en prenant des décisions collégiales : « Notre processus est composé d’un entretien RH et de deux entretiens avec des opérationnels, puis de la passation de tests établis par les équipes. Cela peut être des cas à résoudre issus de missions chez des clients pour des auditeurs », explique-t-elle. Depuis qu’elle a pris son poste il y a deux ans, Emma Vinot Le Maout n’a jamais rencontré de candidat lui ayant proposé de vérifier ses références.

Des biais qui rendent la prise de références subjective

Si la prise de références n’est pas le dada de Mazars, c’est aussi parce que la pratique montre des limites. Pour Emma Vinot Le Maout, cette étape ne peut pas être assimilée à une évaluation. Comme toute recommandation sociale, elle comporte le risque d’être biaisée, donc d’être inintéressante pour un recruteur : « J’ai travaillé dans un cabinet de recrutement qui pratiquait la prise de références. Les points faibles des candidats faisaient rarement l’objet d’échanges. Lorsqu’un candidat donne une référence, il le choisit et sait par avance que la personne dira du bien de lui », rappelle-t-elle. Lorsqu’il s’agit de parler d’un ancien membre d’une équipe, la complaisance est donc de rigueur, y compris si les questions posées sont ouvertes et exploratoires. Autant donc vérifier la véracité de certaines informations sur Internet, par exemple en « googlisant » le nom d’un candidat. Pour Mazars, la prise de références est d’autant moins pertinente que chaque employeur définit ses critères de recrutement : « Chez Mazars, nous avons une sensibilité pour l’intrapreneuriat, que nous aimons déceler chez nos candidats dès l’étape de l’entretien. C’est un critère qui nous est propre et que nous n’allons pas chercher à faire valider par un concurrent », explique-t-elle.

Vieille comme le monde, la pratique de prise de références semble survivre aux nouvelles méthodes – plus digitales – des recruteurs. Malgré l’avènement du profilage des recruteurs sur Google et le recours de plus en plus systématique aux tests durant les premières étapes de recrutement, cette technique traverse les années. Mais pour combien de temps ? La nouvelle génération de recruteurs, moins adepte de cette méthode, pourrait définitivement l’envoyer aux oubliettes.


Article édité par Héloïse de Montety et mis à jour par Sylvain Guillet, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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