« Pourquoi j’ai décidé de tirer un trait sur ma carrière de RH »

30 oct. 2023

5min

« Pourquoi j’ai décidé de tirer un trait sur ma carrière de RH »
auteur.e
Ingrid de Chevigny

Freelance Content Writer & Content Strategist pour start-ups B2B

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Tout n’est pas rose dans l'univers des ressources humaines. Et face à la réalité du métier, certains professionnels déchantent… au point de décider de changer (parfois radicalement) de cap. Quatre anciens RH nous livrent leur récit de « rupture ».

Camille, 27 ans : « Mon rôle de recruteuse ressemblait plutôt à un rôle de commerciale »

« Après mon école de commerce, j’ai rejoint une entreprise dans l’IT (technologies de l’information, ndlr) en tant que Talent Acquisition Specialist. Ma mission était de recruter des profils “pénuriques”, comme des développeurs ou des chefs de projet. À mes débuts, j’avais clairement une vision bisounours du recrutement : pour moi c’était rencontrer plein de gens, avoir des échanges riches avec les candidats, et les aider à évoluer dans leur carrière. Mais mon quotidien s’est révélé être beaucoup moins glamour !

En fait, je faisais de la “chasse” de candidats : j’envoyais chaque jour des centaines de messages à des personnes repérées sur LinkedIn, et je passais des dizaines d’appels pour essayer de leur “vendre” un poste dans mon entreprise. Ça ressemblait beaucoup à de la prospection. Je me faisais refouler à longueur de journée par des personnes pas intéressées et je trouvais ça très dur émotionnellement. J’avais beaucoup de pression sur mes résultats, et j’étais encouragée par mon management à utiliser des techniques “pushy”, auxquelles j’adhérais moyennement. J’avais l’impression de travailler comme un robot, et je rentrais lessivée tous les soirs.

J’ai finalement démissionné après 2 ans pour réaliser un rêve de longue date : partir en tour du monde avec mon copain. À mon retour il y a environ 6 mois, j’ai accepté un poste de chargée de marketing. J’ai donc commencé assez récemment, mais pour l’instant, tout se passe très bien ! En tout cas, j’ai retrouvé le plaisir de me lever le matin pour aller travailler. Je ne tire pas totalement un trait sur les RH : peut-être y reviendrai-je plus tard dans ma carrière, mais en tout cas, pas dans le recrutement, et encore moins dans l’IT ! »

Thibault, 37 ans : « J’étais en conflit moral avec mon métier »

« J’ai travaillé pendant près de 10 ans comme responsable rémunération et avantages sociaux dans plusieurs entreprises, dont des groupes du CAC 40. Ma mission était de gérer toute la partie technique des rémunérations, donc j’étais plus en contact avec les chiffres qu’avec les employés. Mais mon rôle était évidemment très lié aux enjeux de dialogue social, d’où de fortes implications en termes d’humain.

Ce qui m’a beaucoup dérangé, tout au long de ma carrière, c’est que j’avais de la visibilité sur tous les salaires, du stagiaire au DG. J’étais donc confronté au quotidien à la réalité des écarts de rémunération. J’ai constaté beaucoup de situations à la fois injustes et incohérentes. Par exemple : un directeur commercial qui menaçait de s’en aller, dont le salaire fixe avait été augmenté de manière indécente plusieurs fois en quelques mois, malgré la politique très claire de l’entreprise, de privilégier les augmentations de variable pour les commerciaux. Ou bien au contraire, des ouvriers qui étaient obligés de se mettre en grève pour obtenir des “cacahuètes”, malgré leur quotidien extrêmement difficile. J’ai aussi été témoin d’enjeux politiques et de situations d’impunité choquantes : par exemple, un manager tyrannique connu de tout le monde, qui conduisait plusieurs personnes au burn-out chaque année, et qui restait tranquillement en poste, parce que la direction préférait fermer les yeux…

Bref, pendant des années, je n’ai pas été aligné avec mon métier d’un point de vue moral, et c’est ce qui m’a poussé à me reconvertir. J’ai quitté le monde des RH il y a 5 ans et j’ai renoué avec ma première passion : l’illustration. Je me suis en effet formé au métier de facilitateur graphique et je suis heureux de pouvoir en vivre aujourd’hui. »

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On vous en dit plus ?

Sandra, 32 ans : « J’en ai eu ras-le-bol du bullshit RH, omniprésent en start-up »

« Après mon master, j’ai rejoint une fintech parisienne dans laquelle j’ai commencé en tant que bras droit du DRH, puis j’ai travaillé dans deux autres start-ups comme responsable RH. Pendant longtemps, j’ai adoré mon travail : j’avais des projets hyper variés, j’apprenais plein de choses, et mes collègues étaient géniaux. Mais au fil des années, et à mesure que je gagnais en expérience, j’ai commencé à prendre conscience de certaines dérives.

Les fondateurs et dirigeants des start-ups dans lesquelles j’ai travaillé tenaient tous de beaux discours sur le bien-être des salariés et l’importance de la culture de l’entreprise. Mais dans les faits, côté RH, on n’avait aucun moyen pour mettre en œuvre cette vision. L’envers du décor était donc beaucoup moins sexy que l’image “cool” que nous devions donner : derrière le babyfoot, les snacks à volonté, et les séminaires “off site” au bord de la mer, il y avait du copinage, des burn-outs, des ruptures conventionnelles négociées sous la menace, et des salaires bien en-dessous du marché. En tant que RH, j’étais bien évidemment impliquée dans tout ça, et je me sentais très impuissante.

Je n’ai pas eu de déclic en particulier, mais j’ai commencé petit à petit à m’intéresser au métier de coach et à envisager une reconversion. J’ai fini par démissionner de mon poste de RH pour passer une certification et me lancer à mon compte. Je pense que les start-ups ont perdu beaucoup de leurs paillettes ces dernières années, notamment grâce aux initiatives comme Balance ta start-up qui libèrent la parole dans l’écosystème, mais j’ai conscience que j’ai moi-même participé à entretenir cette illusion du “monde merveilleux des start-ups”… et franchement, je le regrette ! »

Tiphaine, 28 ans : « Je me sentais profondément inutile »

« Je me suis dirigée vers une carrière dans les ressources humaines car j’en avais une vision assez noble (et, avec du recul, assez naïve). Pour moi, être RH c’était aider les salariés d’une entreprise à s’épanouir. Mais lors de l’un de mes premiers stages, j’ai pris conscience que le rôle des RH était généralement d’être plutôt du côté des managers que des employés ! Je travaillais en effet dans une équipe RH qui gérait les salariés d’un centre d’appel, où le taux de turnover était très élevé, et plutôt que d’essayer d’améliorer la qualité de vie au travail, notre seul objectif était d’optimiser la performance des employés.

J’ai ensuite rejoint l’équipe de Talent Development d’un grand groupe. Sur le papier, mes missions étaient passionnantes : des sujets de diversité et d’inclusion, de développement des hauts potentiels et de gestion des compétences, le tout, à l’international. Mais dans la réalité, je devais essentiellement gérer de la paperasse et produire des documents qui n’étaient souvent jamais utilisés. Je n’avais aucun contact avec les salariés du groupe, et je ne voyais donc pas l’impact de mes actions. Surtout, les projets sur lesquels je travaillais venaient d’une hiérarchie très éloignée du terrain, qui cherchait avant tout à “cocher des cases”, en matière de marque employeur et de RSE. Je travaillais donc sur des formations qui ne répondaient pas du tout aux besoins opérationnels.

Après 3-4 ans dans ce groupe, je pense que j’étais en situation de “bore out”. Je n’ai pas été officiellement diagnostiquée mais j’en avais tous les symptômes. J’en ai pris conscience pendant le Covid : je ne pouvais plus supporter le manque de sens que je ressentais dans mon travail. J’ai commencé à collaborer avec une association sur mon temps libre, en l’aidant à organiser des événements, et je me suis rendue compte que j’étais mille fois plus motivée par ce travail bénévole que par mon travail de RH. C’est comme ça que j’ai décidé de me reconvertir dans l’événementiel : j’ai repris des études et cela fait maintenant 2 mois que je travaille dans une grande agence. Je ne compte pas mes heures, mais je suis vraiment heureuse dans mon travail ! »


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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