Rencontres amoureuses : quelles professions chopent le plus ?

18 oct. 2022 - mis à jour le 18 oct. 2022

6min

Rencontres amoureuses : quelles professions chopent le plus ?
auteur.e
Antonin Gratien

Journaliste pigiste art et société

Certains métiers en jettent. Prestige social rutilant, poids lourds question revenus, perspectives d’ascension professionnelle en boulevard… Oui, certains métiers en jettent. Et si cette aura suscite occasionnellement la jalousie pure et simple, elle provoque aussi parfois un sentiment plus sulfureux, plus intime : l’émoi. Au concours du job-top-magnétisme, reste à savoir quelles professions occupent le podium. Pourquoi elles l’occupent, et si cette attractivité XXL vaut pour le fantasme d’une partie de jambes en l’air enfiévrée, ou la patiente construction d’un quotidien à deux. Enquête.

Paris. Alors que la nuit tombe, sur la terrasse d’un bar bellevillois, une controverse échaude doucement les esprits. « Clairement, ce qui me turn on, c’est les directeurs de chantier », pose Natacha dans un franglais assuré, lorsqu’il s’agit d’attribuer à une profession la Palme d’Or de l’envoûtement. « Le côté manuel, supervision d’équipe, autorité sur le terrain… On peut difficilement faire plus séduisant. » Franc désaccord chez les voisins de tablée. À gauche on dénonce une tombée en pâmoison devant « le tableau caricatural des atours d’une virilité surannée » tout en portant aux nuées, plutôt, le travail humanitaire - « vachement plus noble ». Au même moment, côté droit, plusieurs voix (masculines, notons) encensent en chœur « le charme inné » des professions artistiques. Danseuses, chorégraphes… Bon. Tout ce beau monde y va de son petit coup de cœur. Les verres s’enchaînent et, proportionnellement, le ton monte. Tant et si bien que - danger ! -, l’échange de tir point à l’horizon. Une voix sénatoriale s’élève alors, décidée à clore le débat d’une perle de sagesse bien sentie. « C’est comme en tout : chacun sa sensibilité, chacun son ressenti. Untel fond pour les profs, l’autre pour les peintres. Tous les goûts sont dans la nature ! Il n’y a ni loi, ni vérité générale sur le sujet », affirme sentencieusement Éole, aka notre Platon du soir. À raison ?

Une grappe d’enquêtes, mais aucun résultat probant

Se pencher sur la « sexyness » à échelle variée des métiers n’est pas qu’affaire de dispute avinée entre potes. En témoigne la floraison d’études récentes sur le sujet. L’application de rencontre Tinder avait par exemple fait grand bruit en révélant, en 2018, son palmarès des 10 professions qui glanaient le plus de « swipes » droits. Résultat des courses : les femmes rêveraient de directeurs artistiques, journalistes, coachs sportifs, photographes, avocats et ingénieurs tandis que la frange masculine, elle, craquerait pour les infirmières, danseuses, graphistes, barmaid…

Dans son enquête rapportée par Marie Claire, Happn rapportait que ses utilisatrices plébiscitaient les ingénieurs, commerciaux, traders, entrepreneurs et avocats. Versant messieurs, ce sont les infirmières et employées marketing qui remportaient les suffrages. De son côté, le site de rencontre match.com avait publié en 2013 une étude menée à Chicago indiquant que les femmes étaient en quête d’avocats tandis que les hommes favorisaient les institutrices. Ailleurs, le site de speed dating Fast Impressions rapportait en 2007 que ses usagers australiens chaviraient pour des mannequins, et ses abonnées les athlètes.

Que faire de ces informations ? Eh bien, pas grand-chose. Cette grappe d’enquêtes publiées par des acteurs du monde du dating - et non des universitaires - pêchent par une opacité méthodologique. Et leurs chiffres, souvent basés sur des échantillonnages très réduits, ne sauraient être appliqués à l’ensemble de la population. Sauf au risque d’une extrapolation complètement biaisée. En somme, ces enquêtes disent quelque chose des préférences des usagers (hétérosexuels) des plateformes commanditaires. Mais à peu près rien sur les inclinaisons affectives vers telle ou telle profession à l’échelle sociale. De là à conclure, comme le suggérait Éole, que sur le sujet c’est « chacun sa sensibilité, chacun son ressenti » point à la ligne ? Pas sûr.

L’influence tentaculaire des modèles culturels hétéronormés

Quoique les résultats cités soient hétéroclites, on remarque néanmoins qu’une multitude de professions manquent systématiquement à l’appel. Pas de guides touristiques, ni d’agriculteurs, ni d’employés d’usine. Niet. Par contre, les termes « ingénieurs », « infirmières » ou « danseuses » apparaissent à plusieurs reprises. Et selon Daniel Welzer-Lang, professeur émérite auteur de Autobiographie d’un mec sociologue du genre (éd Érès, 2022), la raison n’est pas à chercher bien loin. « Il existe, dans le tissu social, une forte tendance à reproduire dans l’espace fantasmagorique les stéréotypes véhiculés par l’appareil culturel. »

Littérature, séries et films auraient ainsi participé, sur plusieurs décennies, à « érotiser certaines professions à travers un prisme hétéronormatif » selon lequel les femmes seraient attirées par les postes de pouvoir, et leur pendant masculin par des professions liées à l’esthétique, ou au care. Lequel schéma, avec la « révolution anthropologique contemporaine autour du genre et de l’identité sexuelle » sera d’ailleurs amené à s’effriter, pointe l’expert. Et d’ajouter : « La machine est déjà en route, il existe désormais, par exemple, une vive méfiance à l’endroit des postes de direction car on les soupçonne d’être liés à une forme de domination, d’abus. » Autrement dit, dans la mesure où l’érotisation des jobs est socialement construite, elle n’est pas gravée dans le marbre.

N’en demeure pas moins que, dans l’imaginaire collectif, c’est encore le schéma binaire hétéronormé qui semble prédominer. Le sexologue et psychanalyste Antoine Clavero y voit, notamment, l’expression de mécaniques inconscientes. « Comme l’éducation genrée inculque aux filles, plus qu’aux garçons, la crainte de l’échec social, on peut émettre l’hypothèse que, sur un plan non conscientisé, elles se dirigent dans leur vie affective vers des partenaires aux emplois sécures. Des professions qui, symboliquement du moins, représentent une forme de stabilité. » Côté hommes par contre, l’attirance hétéro vers les professions liées aux arts relève d’un fantasme esthétique, plus que sécuritaire.

« Le vieux rouage de la femme-objet est à l’œuvre, relève l’analyste. Inconsciemment, les partenaires féminines servent encore souvent de faire-valoir dans un contexte de rivalité masculine où il s’agit d’exhiber, de faire la démonstration que l’on est capable de séduire un physique hors norme. » D’où l’attrait pour les professionnelles sportives (danse, patin à glace, etc.) Mais quid de l’attirance pour les jobs liés au soin ? « On peut y voir l’action d’un levier érotique basé sur une transgression. Celle de la rencontre sexuelle avec une figure maternante - et donc maternelle, par transposition - dans la mesure où ces métiers incarnent la bienveillance, l’attention, l’écoute », avance l’expert sans manquer de mentionner, au passage, la « bonne place » de scénarios liés au care dans l’industrie pornographique. Et le flot de déguisements d’infirmières dans les rayons de nos love stores.

Quand s’écaille le fantasme reste… l’endogamie sociale

Malgré l’existence de grandes tendances, au fond, l’objet du fantasme « varie énormément en fonction des goûts, des expériences d’enfance et du quotidien de chacun », insiste notre sexologue. Prenez Nash par exemple. Cet étudiant en marketing n’en a « rien à faire » des soignantes, danseuses et autres figures archétypales du sex symbol féminin. Aux yeux de cet oiseau de nuit, ce sont les DJ qui trônent au Panthéon de la « sexytude ». « Si je suis en soirée, et que la personne à qui je parle me lâche qu’elle fait des sets, je deviens fou. » Parce que ? « Ça claque grave », expédie notre interlocuteur tout simplement. À Antoine Clavero de creuser en commentant : « Comme pour les strip-teaseuses ou les barmaid - mais contrairement aux comptables, par exemple - les DJ sont culturellement associés à une image valorisante et excitante de vie baignant dans un milieu festif qui respire autant la joie que la spontanéité. Cette autonomie - réelle, ou non - suscite le fantasme. » D’accord. Mais, par-delà le rêve, cette liberté donne-t-elle vraiment matière à désirer être en couple, partager une routine - bref, construire une histoire sur la durée ?

« Il importe de différencier le fantasme intime destiné à innocemment pimenter une vie routinière - voire à être réalisé dans le cadre d’une passade - et la perspective d’une relationnelle pérenne. Ceux qui aspirent à une romance avec des personnes aux professions prisées telles que les grands chefs d’entreprises, sportifs de haut niveau ou artistes internationaux auront tôt fait de tomber de haut, une fois leur rêve réalisé », souligne notre thérapeuthe. Car s’il est aisé de songer le sourire aux lèvres à une escapade sans lendemain avec le musicien dont on assiste au concert, par exemple, l’idée de bâtir un quotidien à ses côtés présente son lot d’embûches. Agenda surchargé, stress non stop du partenaire, priorisation de la carrière sur la vie conjugale - voire familiale. « Bonjour l’idylle », ironise Antoine Clavero. Aïe.

De fait, pour en revenir aux préférences des utilisateurs de plateformes de rencontre, les chiffres recueillis ne concernent que des attirances, pas la vie en commun. Swiper à droite ne veut pas dire fonder un foyer. Impossible de savoir, donc, si les professions arrivant en tête de classement question “dates”, soient aussi favorites lorsqu’on parle de vie en ménage. Sur ce terrain, la seule donnée en béton dont on dispose, via des études statistiques, renvoie à l’endogamie sociale. Soit la tendance à ce que les conjoints appartiennent aux mêmes milieux, aux mêmes groupes, à la même profession. « Au moment d’une rencontre, l’activité professionnelle est vite mentionnée car elle engage souvent tout un système de croyances, de valeurs, de goûts qui tissent notre individualité. Et ce réseau spécifique, chacun a tendance à vouloir en trouver l’écho chez son partenaire », pose Daniel Welzer-Lang.

En somme, un directeur artistique n’est pas « juste » un directeur artistique. Son métier suppose, par exemple, un caractère perfectionniste, une sensibilité aux muses adossée, sans doute, à un copieux bagage culturel. Et ce profil quêtera, presque par automatisme, des traits semblables du côté de sa moitié. Traits qu’il trouvera plus aisément qu’ailleurs du côté de personnes partageant son travail, donc. Tard dans la nuit, on peut bien fantasmer une passion brûlante avec tous les DJ, infirmières et entrepreneurs à succès qu’on veut - au final, c’est aux personnes issues du même milieu pro’ qu’on met la bague au doigt. « Qui se ressemble, s’assemble ». Le vieil adage vaut encore et toujours. Qu’Éole soit prévenu, s’il existe bien une « vérité générale », c’est celle-là.

Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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