À la rescousse de la nature ! Rencontre avec un policier de l’environnement

28 avr. 2021

8min

À la rescousse de la nature ! Rencontre avec un policier de l’environnement
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

En janvier 2020, l’Agence française pour la biodiversité et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage fusionnaient leurs établissements. À l’issue, de nouvelles compétences pour les quelque 1600 policiers de l’environnement déployés en métropole et en Outre-mer. Alexandre, 32 ans et un an et demi de service, a endossé l’uniforme pour satisfaire sa fibre environnementale et son sens de l’engagement. Au sein du service interdépartemental des Yvelines et du Val d’Oise, il nous fait découvrir les facettes d’un métier qui gagne à se faire connaître.

En janvier 2020, l’Office français de la biodiversité voyait le jour et dans son sillage, une police de l’environnement renforcée. Pouvez-vous nous dire quel est le rôle d’un·e « policier·e de l’environnement » ?

L’originalité de l’OFB c’est d’avoir fusionné deux thématiques autrefois distinctes. Dans mon service, nous sommes 6 policiers, une partie de l’équipe est plutôt spécialisée dans le milieu aquatique et l’autre plutôt chasse et faune terrestre. Aujourd’hui, c’est un métier très riche qui a trois missions principales. La première, c’est celle de police, qui consiste à rechercher et constater les atteintes faites à l’environnement. La deuxième, plus scientifique, renvoie au rôle de technicien de l’environnement. On participe à enrichir la connaissance de la biodiversité de notre territoire en faisant notamment des inventaires de la faune qui y vit, un suivi de la température ou de la hauteur des cours d’eau. Et la troisième mission, c’est un appui aux politiques locales : on peut être consultés par les services déconcentrés de l’État comme la préfecture, sur un projet (immobilier, par exemple) qui peut avoir un impact sur l’environnement. Nous, on veille à l’absence de perte nette de biodiversité et on fait en sorte que les porteurs de projet respectent la « séquence ERC » à savoir : « Éviter », « Réduire » et « Compenser ».

« Si on entre dans ce métier en pensant faire chaque jour de longues marches en extérieur pour compter les animaux, on risque d’être déçu. »

Pour vous, ce changement c’est aussi une montée en compétences et surtout plus de moyens avec notamment un nouveau pouvoir judiciaire ?

Nous pouvons gérer une procédure de son ouverture à sa clôture, en mettant en œuvre nos prérogatives avec une certaine autonomie. Pour faire simple, nous sommes des techniciens de l’environnement avec des pouvoirs de police judiciaire et administrative. Nous sommes commissionnés pour rechercher et constater les infractions. Quand on agit sur le terrain, on le fait sous la direction du procureur de la République, qui veille à la défense de l’intérêt général. Et puis nous sommes assermentés, c’est-à-dire que l’on a prêté serment devant un juge de remplir nos missions et de respecter les devoirs qui nous incombent.

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Généralement, quel genre d’infraction au droit de l’environnement êtes-vous amenés à constater ?

Les atteintes à l’environnement sont très variées. Pour les milieux aquatiques, on doit souvent intervenir sur des travaux en cours, des projets immobiliers qui vont impacter les cours d’eau ou les zones humides. L’image du produit polluant qui s’écoule dans la rivière, ça arrive plus souvent qu’on ne le croit, généralement sur des chantiers ou au voisinage de parcelles agricoles. En ce qui me concerne, l’Île-de-France possède des espaces naturels très vastes et de grands massifs forestiers, avec une faune sauvage qui peut être riche par endroits. On peut donc y trouver des braconniers - ceux qui chassent en dehors des réglementations, par exemple la nuit - dont les méthodes sont illégales. Le braconnage concerne également les captures et les destructions d’espèces protégées. L’exemple le plus parlant est la capture illégale des passereaux et notamment du Chardonneret élégant, oiseau très prisé pour sa beauté et son chant qui est l’objet d’un véritable trafic. On mène contre eux, un travail d’enquête et de surveillance sur le terrain et sur Internet. On peut organiser des opérations pour prendre les contrevenants sur le fait, en ciblant des sites de braconnage repérés à l’avance. Ces opérations peuvent aboutir à l’interpellation des personnes pratiquant ces activités illégales ainsi qu’à des perquisitions et des saisies de matériel et des animaux braconnés.

« Il y a un temps pour tout, un temps pour la prévention, qui doit être prioritaire et passer par l’éducation, et un temps pour la sanction. »

Quelle est la nature de vos activités quotidiennes, est-ce que vous êtes toujours sur le terrain ou est-ce une fausse image ?

Si on entre dans ce métier en pensant faire chaque jour de longues marches en extérieur pour compter les animaux, on risque d’être déçu. Le travail de bureau occupe la majorité de notre temps, mais ce quotidien n’est pas le même pour tous les agents, il peut varier en fonction de notre implantation sur le territoire. À certaines périodes, on est quand même davantage en extérieur, à tel point que parfois notre voiture de service devient notre nouvelle maison (rires). On a tout le matériel à l’arrière, des outils de prélèvement et de mesure, un GPS, et des bottes (indispensables). En dehors des missions générales du service, une personne motivée et volontaire peut se spécialiser dans ce qui lui plaît le plus. Par exemple, je mène en ce moment un suivi d’une espèce, l’écrevisse à pattes blanches, peu connue en partie parce qu’elle est discrète, et dont l’habitat est protégé. Cette petite écrevisse, qui est très sensible aux pollutions, est un bon indicateur de l’état des rivières et des écosystèmes.

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Le droit de l’environnement est en constante mutation. Cela doit être difficile à suivre pour vous, les agents, mais sans doute davantage pour les usagers, non ? Est-ce que cela génère des situations tendues sur le terrain ?

On le constate, des usagers se méprennent sur ce qu’ils ont le droit de faire ou pas. Quand certains ignorent parfois qu’ils sont sur un milieu protégé, d’autres commettent des infractions, mais comme ils font ainsi depuis des années, ils ne comprennent pas pourquoi, soudainement, on leur dit que c’est passible d’une amende. On peut par exemple penser qu’un cours d’eau est un simple “fossé”, qu’il sert à évacuer les eaux usées. Mais non, des espèces y vivent, il a une vraie utilité pour toute une biodiversité.

« Quand ils nous voient, les gens ne savent pas trop qui on est en fait. »

Mais je peux comprendre ce manque de connaissance, on se doit d’avoir une forme de pédagogie auprès des usagers. Il y a un temps pour tout, un temps pour la prévention, qui doit être prioritaire et passer par l’éducation, et un temps pour la sanction. Malheureusement, nous manquons de temps et de personnel pour faire de la sensibilisation et nous déléguons cette partie à d’autres organismes.

Est-ce que vous bénéficiez d’une image différente de la police traditionnelle qui peut souffrir d’un déficit d’image auprès de la population ?

Quand ils nous voient, les gens ne savent pas trop qui on est en fait (rires). L’uniforme n’est pas tout à fait celui d’un policier, il y est bien écrit « police » mais il est gris. Donc c’est plus de la curiosité, au départ. Après, on leur dit qu’on est la police de l’environnement et là, on fait plutôt face à de la perplexité, car dans la plupart des cas ils ignoraient notre existence.

Mais je dirais que, globalement, dès qu’on explique qu’on est de l’Office français de la biodiversité, on bénéficie d’un fort capital sympathie. Après, on reste des policiers et, en tant que tels, on a des insignes, une arme à feu… Les gens doivent pouvoir savoir qui on est en un coup d’œil. On n’est peut être pas encore très bien identifiés… Même si je vois qu’il y a un vrai effort de communication de l’OFB pour nous faire connaître.

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Quelles sont les valeurs qui vous animent ? Faut-il forcément avoir “une fibre écologiste” quand on s’engage dans ce métier ?

J’ai toujours eu cette sensibilité environnementale et je pense qu’elle est essentielle à ce métier. Dans une autre vie j’étais infographiste, mais je cherchais déjà à rejoindre une entreprise qui avait un lien avec la protection de l’environnement. J’ai bossé dans des associations comme la SNPN (société nationale de la protection de la nature) où je m’occupais d’une revue naturaliste et participais à la valorisation des mares, ou encore à la connaissance d’une espèce d’amphibien, le “sonneur à ventre jaune”, un petit crapaud. Ensuite, j’ai travaillé avec le Gepog et la Sepanguy (deux associations pour la protection de l’environnement, ndlr) en Guyane, notamment sur des missions de connaissance d’un mammifère marin, le dauphin de Guyane. Petit à petit je suis allé vers plus de technique et de concret.

« On aimerait bien sûr que tout aille dans le sens de la nature, mais quand on fait une enquête, il faut laisser de côté ses “passions”. »

Comment devient-on policier de l’environnement ?

Pas besoin d’être un grand naturaliste ! Personnellement j’ai passé un BTS GPN (gestion et protection de la nature, ndlr) mais d’autres collègues ont poussé plus loin leurs études, certains viennent de l’Éducation nationale, d’autres de la police “traditionnelle”. En tant que candidat externe, il faut en fait passer un concours, qui comprend des épreuves écrites, orales et sportives, suivies d’une année de formation en alternance. À l’écrit, c’est un QCM, une note de synthèse et un test psychotechnique. On nous sonde également sur notre ressenti vis-à-vis du port de l’arme : on peut être confronté à des situations conflictuelles en mission de police et on peut - même si on espère toujours que ça n’arrivera jamais - être amené à nous servir de cet équipement. Il faut s’y préparer psychologiquement. Si je m’en suis bien sorti à l’écrit et à l’oral, je peux vous dire que les épreuves physiques, c’est du costaud.

Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer ce métier ?

Je dirais avant tout le sens de la retenue. Lors d’une enquête, on recherche avant tout la « manifestation de la vérité ». C’est une manière de dire que nous devons réunir tous les indices et les éléments de contexte qui permettront au procureur de décider des suites de la procédure, le tout en veillant à rester neutre. On aimerait bien sûr que tout aille dans le sens de la nature, mais quand on fait une enquête, il faut laisser de côté ses “passions”, j’ai envie de dire, et être clair et précis. C’est ce qu’attend la justice.

« On a affaire à tellement d’évènements qui nous paraissent incontrôlables, qu’on a l’impression qu’à notre niveau on ne peut pas faire grand chose. Mais je crois que le pire serait de baisser les bras. »

Après, je dirais aussi curieux, car les thématiques sont nombreuses et on peut avoir la sensation d’exercer plusieurs métiers à la fois. Il faut suivre l’évolution de la législation et des pratiques. Ça peut être compliqué à suivre, mais heureusement, on a des personnes au sein même de la police de l’environnement dont c’est la spécialité. On est compétents sur plein de domaines mais pas experts en tout.

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Est-ce que vous pensez, à titre personnel, avoir un impact réel sur l’environnement, et être suffisamment armés et nombreux sur le territoire ?

Je pense qu’on ne sera jamais assez nombreux, car il y a tellement de thématiques et d’enjeux ! On pourrait être trois fois plus nombreux, qu’on aurait toujours besoin de personnes supplémentaires. Mais est-ce que moi j’ai un impact ? J’ose espérer que oui. J’ai bien conscience qu’il est tout petit, mais, à mon échelle, cette petite part qui m’incombe, j’essaie de l’accomplir. Même quand j’initie une procédure judiciaire qui ne va déboucher sur aucune condamnation, la personne mise en cause aura reçu le message. C’est déjà ça. Le problème c’est qu’on a affaire à tellement d’évènements qui nous paraissent incontrôlables, qu’on a l’impression qu’à notre niveau individuel on ne peut pas faire grand-chose. Mais je crois que le pire serait de baisser les bras, ne même plus essayer du tout. Là pour le coup, ça serait foutu.

Dernièrement, des manifestations ont eu lieu contre la loi sur le climat. Si pour certains elle a vidé de son contenu la convention citoyenne, pour d’autres elle représente un espoir, notamment par la reconnaissance de nouveaux délits et crimes contre l’environnement. Comment percevez-vous le cheminement de l’écologie dans l’agenda politique en général ?

Si on était autour d’une bière et que je n’avais pas mon uniforme, je pourrais vous répondre (rires), là, en tant que fonctionnaire, j’ai un devoir de réserve. J’espère que l’environnement sera toujours parmi les priorités absolues du gouvernement. Car on a bien conscience que toutes les erreurs qu’on a pu faire par le passé et encore aujourd’hui, nous retombent dessus. On pense généralement que la nature nous entoure, mais en réalité l’environnement est un terme trompeur, nous sommes dans la nature. Tout ce qu’on fait subir à la forêt d’à côté ou à la rivière voisine, aura un impact sur nous et nos enfants.

Édité par Eléa Foucher-Créteau