Lobbyistes : qui sont ces influenceurs des autorités publiques ?

16 oct. 2018

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Lobbyistes : qui sont ces influenceurs des autorités publiques ?
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Le lobbyiste, plus officiellement appelé le représentant d’intérêts ou responsable des affaires publiques, est un influenceur. Il défend auprès des autorités publiques (députés, sénateurs, ministres etc.) les intérêts d’un groupe, une entreprise ou d’un organisme privé. C’est une interface et un facilitateur du dialogue entre ces deux sphères.

Claire Lhériteau-Calmé est responsable des affaires publiques chez Roche, le laboratoire leader des biotechnologies et pionnier de la médecine personnalisée, notamment dans le cancer et les neurosciences. Elle nous explique les missions qui lui sont confiées et brise les tabous sur le métier de lobbyiste qui a parfois mauvaise presse.

Peux-tu nous expliquer le métier de “lobbyiste” ?

Le mot « lobbyiste » est anglais. En France on parle plus officiellement du responsable d’affaires publiques ou du représentant d’intérêts. Son rôle est de défendre les intérêts de son entité (société ou organisme privé) auprès des décideurs publics. Il a pour objectif de porter sa voix dans le débat public, de contribuer au travail législatif en faveur de ses intérêts et d’influencer l’agenda politique. Par exemple, Roche, par l’intermédiaire de son responsable d’affaires publiques, prend part au débat public sur le plan de la réforme du système de santé et apporte son expertise sur cette question. Finalement, le lobbyiste est une interface entre son entité et les décideurs publics. Il doit être force de proposition et apporter une expertise.

On compare souvent ce métier à un diplomate d’entreprise, parce qu’il faut toujours trouver un consensus avec l’interlocuteur, parler le même langage.

Quels sont les différents types de “lobbyistes” ?

Les représentants d’intérêts sont partout. « Chargé de plaidoyer » en ONG, « relations institutionnelles » dans une institution publique, « responsable d’affaires publiques » dans une société privée telle que Roche, les appellations peuvent varier mais notre mission est la même : influencer le travail législatif et le débat public en faveur de l’entité que l’on représente, en ayant toujours à l’esprit l’intérêt général. Un think tank, une fédération, une association de consommateurs, un ordre professionnel, tous sont des lobbyistes. Les cabinets de conseil en affaires publiques peuvent également exercer cette activité, ils ont cependant la particularité de pouvoir défendre les intérêts de plusieurs clients en même temps. La liste des lobbyistes est extrêmement longue mais, pour plus de transparence, nous sommes désormais obligés de nous inscrire sur un répertoire public.

Comment devient-on Responsable d’affaires publiques ?

On peut suivre, comme moi, un master d’affaires publiques (par exemple à Sciences Po). Il y a de plus en plus d’écoles qui se spécialisent avec un cursus professionnalisant de cinq ans, c’est le cas de l’ISMaPP qui forme très bien aux techniques d’affaires publiques. Des carrières juridiques sont intéressantes aussi, car le lobbyiste analyse les textes de lois.

Claire Lhériteau-Calmé - Roche, Paris. 

Quelles sont les missions qui lui sont confiées ?

La principale mission du responsable d’affaires publiques est la rédaction d’argumentaires et autres messages clés portés à l’extérieur. En amont ou à la suite d’un rendez-vous institutionnel, le lobbyiste rédige pour son interlocuteur un « position paper », avec les grands axes défendus par l’entreprise.

Le lobbyiste a également une importante mission de veille et d’analyse de l’actualité. Il doit suivre les projets de lois, les questions au gouvernement et les débats politiques. Toutes ses sources d’informations sont publiques : agence de presse, réseaux sociaux, banques de données professionnelles, rapports.

Les affaires publiques ce n’est pas que se rendre à des évènements à l’extérieur, il y a beaucoup de travail dit « de chambre » ou de « back office », dont la veille et la rédaction.

Il y a aussi un fort volet stratégique et tactique. En fonction de l’agenda politique, il faut toujours adapter la stratégie, les rendez-vous à monter, les sujets prioritaires… tout en gardant un cap sur la vision à long terme (objectifs sur 3 à 5 ans).

Il cultive au quotidien son réseau et prospecte ses canaux d’influence. Il a évidemment des rendez-vous institutionnels avec les décideurs politiques (sénateurs, députés et cabinets ministériels) pour travailler sur des pistes de réforme ou propositions d’amendements. Mais, il travaille également en partenariat avec des think tanks tels que l’Institut Montaigne ou prend part à des réunions sectorielles au sein de sa fédération professionnelle. Certains sujets méritent d’être portés collectivement pour plus d’efficacité.

Le responsable d’affaires publiques peut enfin être chargé du volet « Responsabilité sociétale » de l’entreprise. Son rôle est alors de démontrer au public la contribution de l’entreprise à la société dans son ensemble (économique, politique, environnementale et sociale).

En quoi consiste ta journée type ?

Il n’y a vraiment pas de journée type. C’est hyper changeant et c’est précisément ce qui fait le charme de ce métier. À l’image de l’actualité, chaque jour l’emploi du temps évolue. Certaines périodes sont cadrées en fonction d’une loi importante qui mobilisera nos équipes, mais il n’y a pas une semaine où je ne vais pas à l’extérieur. C’est un métier très dynamique et les journées sont assez chargées.

Claire Lhériteau-Calmé, Responsable d’affaires publiques chez Roche.

Quelles sont, selon toi, les qualités requises pour être un bon “lobbyiste” ?

On a tendance à l’éluder, mais de bonnes qualités rédactionnelles sont nécessaires pour exercer ce métier. Après l’écrit, évidemment, le relationnel est important. Outre le réseau à entretenir, il faut pouvoir se mettre à la place de son interlocuteur, être dans l’empathie et adopter le même langage que lui. Notre interlocuteur principal est un personnage politique. Toutefois, le fait d’avoir fait de la politique n’est pas vraiment une valeur ajoutée. En revanche, bien comprendre le système politique et les enjeux économiques est fondamental. Il faut maîtriser le fonctionnement du processus législatif et en connaître les acteurs. Un bon lobbyiste est aussi celui qui est organisé et qui sait dire non pour garder sa ligne stratégique. Enfin, s’il est toujours dans l’action, le lobbyiste n’en est pas moins patient car les résultats sont obtenus à long terme. Il doit pouvoir se projeter sur 3 à 5 ans et anticiper les grandes tendances.

Bien comprendre le système politique et les enjeux économiques est fondamental. Il faut maîtriser le fonctionnement du processus législatif et en connaître les acteurs.

Qu’est-ce qui te passionne dans ton métier, et ce qui te plaît moins ?

Le représentant d’intérêts est ancré dans l’actualité, donc il ne peut pas s’ennuyer. Ce que j’aime dans ce métier, et c’est peut-être paradoxal, c’est qu’il est mal compris et donc il y a tout à prouver. On peut le façonner à sa manière avec ses méthodes et son éthique personnelle. Il devient un vrai métier, avec des codes qui lui sont propres. Il évolue avec le système politique qui le reconnaît progressivement. Le plus dur c’est de garder son cap et de l’équilibrer avec sa vie privée. On est très inondé avec les fils d’actualité twitter…etc. On est sollicité en permanence.

Pourquoi ce métier a-t-il d’ailleurs si mauvaise réputation ?

Le mot anglais « lobbyiste » est issu du terme « lobby », qui évoque les couloirs où l’on allait négocier dans l’ombre. À mon sens cette mauvaise presse est très liée aux méthodes passées. Je préfère qu’on généralise l’expression d’affaires publiques qui est beaucoup plus représentative de ce qu’on fait au quotidien. Il y a eu des dérives, par exemple récemment, ce qui a conduit à la démission de Nicolas Hulot. Mais je pense que la nouvelle génération formée aux affaires publiques est soucieuse d’éthique et de déontologie. C’est une question de temps et de maturité.

Le mot anglais « lobbyiste » est issu du terme « lobby », qui évoque les couloirs où l’on allait négocier dans l’ombre. Je préfère qu’on généralise l’expression d’affaires publiques qui est beaucoup plus représentative de ce qu’on fait au quotidien.

Quel sens trouves-tu dans ton métier ?

Ça va peut-être paraître un peu galvaudé, mais vraiment ce que je ressens c’est le fait d’être un acteur et un contributeur de la démocratie au quotidien. On nourrit les pouvoirs publics d’une expertise qu’ils n’ont pas forcément.

Qu’aimerais-tu dire à ceux qui rêvent de devenir “lobbyiste” ?

Les stages sont essentiels pour découvrir le métier de responsable d’affaires publiques, on y apprend toutes les méthodes. Il est utile aussi de bénéficier de formations en prise de parole, en techniques de rhétoriques pour apprendre à convaincre et à s’adapter à son public. Je crois que peu importe le profil, l’important est de rejoindre une cause qui nous ressemble.

Claire Lhériteau-Calmé - Roche, Paris.

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Photo by WTTJ@Roche