Le métier d’agent d’acteurs : entre ombre et projecteurs

04 mars 2019

6min

Le métier d’agent d’acteurs : entre ombre et projecteurs
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

En novembre dernier, la diffusion de la troisième saison de la série Dix Pour Cent, faisait une nouvelle fois sensation. Récompensée par le prix de la meilleure série du Festival de la fiction TV de La Rochelle en 2018, elle met en lumière un métier qui fait rêver, celui d’agent dans le cinéma. Mais concrètement, c’est quoi être agent ? Pour décrypter ce métier ultra confidentiel, rencontre avec Yoann de Birague, accompagnateur de talents depuis 11 ans et créateur de l’agence Yoann de Birague & Associés.

Quel a été votre parcours pour devenir agent ?

Avant d’être agent, je travaillais dans la vente à Nancy mais j’étais déjà très attiré par l’univers artistique. Grâce à mon emploi de l’époque, j’ai pu obtenir des subventions pour me former au Conservatoire Libre du Cinéma Français à Paris. À la fin du cursus, il y avait un stage obligatoire à réaliser. Je rêvais de travailler à la télé et j’ai postulé chez Canal+. Ils n’ont pas retenu mon CV mais l’ont transmis à l’association éQuinoxe, spécialisée dans le Script Doctoring (dans le milieu audiovisuel, le travail d’amélioration d’un scénario, ndlr.). J’y suis rentré en stage et j’y suis finalement resté 9 ans.

Cette expérience a été décisive dans ma carrière car elle m’a également permis de rencontrer Jeanne Moreau, alors présidente d’honneur de l’association. Au fil des années, notre relation professionnelle s’est muée en une profonde affection. Par un concours de circonstances, je suis devenu son assistant personnel puis son agent et c’est grâce à elle que j’ai compris ma véritable vocation. Elle m’a dit un jour : « tu es agent et tu es le seul à ne pas le savoir. » Elle m’a alors présenté l’ancien agent star devenu producteur de cinéma Dominique Besnehard qui m’a conseillé de commencer par être assistant d’agent. Mais malgré ses conseils, j’ai vite décidé de monter ma propre agence. Les trois premières années ont été très difficiles car je me suis rendu compte à quel point le milieu du cinéma était un milieu fermé mais je me suis accroché et aujourd’hui l’agence représente 170 artistes.

>J’ai décidé de monter ma propre agence. Les trois premières années ont été difficiles car je me suis rendu compte à quel point le milieu du cinéma était un milieu fermé.

Quelles sont les missions d’un agent ?

Il faut savoir que le métier d’agent est très normé par le code du travail mais varie beaucoup selon les agents et surtout la taille des agences. Dans mon cas, ma première mission, c’est évidemment de défendre les activités et les intérêts de mes artistes. Mon rôle est avant tout de les conseiller. Je ne suis pas là pour décider à leur place mais pour les aider à prendre la meilleure décision. Ma deuxième mission, c’est de leur trouver du travail. En tant qu’agent, on a une obligation de moyen, pas de résultat. Ma troisième mission, c’est la négociation. Pour moi, c’est l’aboutissement du travail bien fait. Et la dernière mission, c’est la gestion de l’agenda de l’artiste et de sa communication. Ces missions variées sont évidemment au cas par cas, tu dois t’adapter à chaque artiste.

>Ma première mission, c’est évidemment de défendre les activités et les intérêts de mes artistes. Mon rôle est avant tout de les conseiller.

image

À quoi ressemble votre quotidien ?

Je commence très tôt et je finis très tard. J’arrive à l’agence à 8h et profite du calme pour faire les contrats ou lire les scénarios. Les comédiens se lèvent tard en général donc je sais que je suis tranquille une bonne partie de la matinée ! Tous les matins, il y a aussi la réunion d’équipe durant laquelle on se raconte la pièce ou le film qu’on est allé voir la veille. On parle aussi des castings de nos comédiens, des prochains tournages, des nouveaux projets dont on a entendu parlé… C’est notre moment privilégié pour débriefer et partager les infos.

En général, j’ai mon premier rendez-vous à 11h et j’en programme maximum 3 ou 4 par jour. Ce sont très souvent des rendez-vous avec mes comédiens qui veulent savoir où en est leur carrière mais je peux également avoir des rendez-vous avec des réalisateurs, des directeurs de casting ou des producteurs. L’après-midi est consacré aux négociations de contrat avec les directeurs de production et aux discussions avec mon avocate par téléphone. C’est une étape cruciale qui prend beaucoup de temps. Le soir, je vais très souvent au théâtre. Pour moi, c’est inconcevable d’avoir tes comédiens sur scène sans aller les voir jouer. Il y a aussi les projections, les avants-premières et les festivals. Au début les mondanités, c’est grisant mais au final, tu te rends compte que le plus important, ce sont tes acteurs.

Quelles sont les qualités pour être un bon agent ?

Pour être un bon agent, il faut aimer les artistes avec tous leurs travers. Ce sont des êtres fragiles et j’aime cette fragilité. Être à l’écoute, c’est la qualité la plus importante pour réussir dans ce métier. J’essaie d’être toujours disponible pour mes acteurs. On est un vrai couple professionnel et dans un couple, la base, c’est la confiance et le dialogue.

Comment fait-on pour faire la différence dans ce métier ?

En arrêtant d’aller à la recherche d’acteurs connus. J’ai vite compris que je n’étais pas la plus grosse agence de Paris et c’est un fait, les acteurs connus ne quittent pas leur agent connu. Alors j’ai essayé de me démarquer en devenant un découvreur de talents. C’est un challenge très excitant et c’est ce qui me motive le plus, encore aujourd’hui. Camille Aguilar ou Xavier Mathieu font partie de ces belles découvertes. J’aime raconter l’exemple de Xavier Mathieu car c’est une histoire singulière. La première fois que je l’ai rencontré, il venait de faire une apparition dans Ma part du gâteau de Cédric Klapisch. Il était venu voir une amie, avec qui je partageais mes bureaux, pour son contrat. Elle me l’a présenté et je l’ai aidé. À l’époque, il était encore délégué syndical mais j’ai su déceler chez lui ce charisme incroyable. Il est devenu comédien à 45 ans sans jamais prendre aucun cours de théâtre et aujourd’hui, c’est mon acteur qui tourne le plus. Découvrir quelqu’un, c’est précieux.

>J’ai essayé de me démarquer en devenant un découvreur de talents. C’est un challenge très excitant et c’est ce qui me motive le plus, encore aujourd’hui.

image

Comment fait-on pour dénicher les bons talents ?

Il faut être partout. Être à l’affût. Aller au théâtre et dans les cours de théâtre. Regarder beaucoup la télévision. Aller au cinéma. Entretenir de bonnes relations avec son réseau car dans ce petit milieu, on n’a pas le luxe de pouvoir se fâcher avec les gens.

Quelle est votre définition du « travail » ?

Pour moi dans le travail, il y a souvent une notion de pénibilité. Sur les questions contractuelles, bien sûr, on peut parler de travail car il faut être précis et concentré mais au quotidien, je fais ce qu’il me plait. J’ai la chance que mon travail soit une passion.

Quel est votre plus beau souvenir dans ce métier ?

Mon plus beau souvenir, c’est la montée des marches du Festival de Cannes en 2011 avec la réalisatrice Isabel Coixet.
Pour moi, c’était une consécration : celle d’avoir soutenu un projet de A à Z pendant plusieurs années et d’avoir contribué à l’amener à l’un des plus beaux festivals du monde. Ça restera toujours un moment exceptionnel.

image

Et le plus mauvais ?

L’humiliation des débuts, quand tu ne te sens pas légitime. Quand j’ai commencé, je n’osais pas dire que j’étais agent. Ce sont des boulots très secrets et quand tu n’es personne, c’est vraiment compliqué.

>Je n’osais pas dire que j’étais agent. Ce sont des boulots très secrets et quand tu n’es personne, c’est vraiment compliqué.

Y a t’il quelqu’un dans le cinéma ou ailleurs qui vous inspire ?

Jeanne Moreau, évidemment. Son exigence envers elle-même a toujours été une vraie inspiration pour aller plus loin.

Quel regard portez-vous sur la série à succès Dix pour cent ?

Grâce à Dix pour cent, les gens comprennent enfin ce que je fais ! Ça a permis de mettre en lumière avec beaucoup d’humour un milieu plutôt secret. Dans cette série, il y a beaucoup de clichés mais la majorité des scènes révèlent des situations qui existent. D’ailleurs, tous les personnages sont calqués sur de vrais agents ayant travaillé avec Dominique Besnehard comme Elisabeth Tanner par exemple qui a inspiré le personnage d’Andréa. Mon quotidien ne ressemble pas exactement au sien et en même temps si car notre job finalement, c’est cette disponibilité constante pour nos artistes.

Un conseil à ceux qui voudraient devenir agent ?

Il faut s’intéresser aux gens. Savoir déceler chez eux des qualités dont ils n’ont pas conscience. On est des faiseurs de carrière, c’est vrai, mais ce métier, c’est surtout une histoire de rencontres.

image

Suivez Welcome to the Jungle sur Facebook et abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir chaque jour nos meilleurs articles !

Photo by WTTJ