Quand les mères solos rendent votre entreprise plus innovante

07 févr. 2022

5min

Quand les mères solos rendent votre entreprise plus innovante
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Les mères célibataires ne sont qu’une minorité de tous les ménages, alors pourquoi les entreprises penseraient à elles lorsqu’elles construisent leurs bureaux, conçoivent leurs politiques de ressources humaines, organisent le travail d’équipe et développent leur culture ? La réponse est simple : pour que le travail soit meilleur et plus équitable pour tous et toutes !

Le présentéisme et le management toxique qui rendent la vie difficile aux mères célibataires, le sont généralement pour tout le monde. Si vous voulez (vraiment) rendre votre entreprise plus diverse et plus inclusive, la meilleure catégorie à avoir en tête lorsque vous voulez concevoir quoi que ce soit, ce sont elles : les mères solos.

Depuis le début de la pandémie, elles sont des millions à travers le monde à avoir abandonné un travail rémunéré en raison du manque d’accès aux modes de garde d’enfants. D’autres ont été contraintes d’occuper des postes à temps partiel. Beaucoup de celles qui pouvaient faire du télétravail, tout en ayant de jeunes enfants à la maison, ont fini par s’épuiser. Il est clairement apparu que le monde du travail continue d’être modelé sur l’ancien modèle de la famille nucléaire avec un revenu principal (le breadwinner généralement masculin) et un revenu secondaire (le plus souvent féminin). La personne avec le revenu secondaire est celle qui se charge de la plupart des tâches domestiques et parentales non rémunérées.

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Il est particulièrement difficile en ce moment de recruter des candidat·es en leur servant toujours la même soupe. Les entreprises qui n’innovent pas dans l’organisation du travail, la définition des tâches, la diversité, les avantages, ou encore la flexibilité ont (et cela n’ira pas en s’arrangeant) du mal à élargir leur vivier de futur·es candidat·es. C’est donc le moment idéal pour utiliser les principes du design pour transformer radicalement l’expérience des candidat·es et des salarié·es. Selon les spécialistes du design, un bon principe consiste à développer un produit ou une expérience en fonction des besoins du groupe cible le plus exigeant. « Tous les produits devraient être conçus pour les personnes handicapées (“All Products Should Be Designed For Disabled”) (…) vous ne pouvez pas vous tromper avec cette approche », explique un designer UX sur son blog.

Ce dernier explique que « l’un des pires aspects de nombreux sites web, applications mobiles ou autres services en ligne est qu’ils sont conçus pour ne fonctionner que dans des conditions parfaites. Les applications sont généralement développées par des jeunes gens à la vue parfaite, assis devant, souvent, un MacBook avec un écran qui affiche une résolution et une luminosité parfaites. Ils disposent d’une connexion Internet à haut débit et souvent d’un environnement propice à la concentration lorsqu’ils conçoivent ou testent des fonctionnalités. C’est une autre affaire lorsque vous essayez d’utiliser une application alors que vous êtes coincé dans un train bondé avec une mauvaise connexion ».

Si vous appliquez ce principe au monde du travail, cela signifie qu’il serait bon d’imaginer et organiser le travail pour la catégorie de travailleur·euses qui est la plus sollicitée et constamment sous pression. Si le statut de mères solos n’équivaut pas à un handicap, elles sont confrontées aux plus grands défis dans un monde du travail qui n’a pas été conçu pour elles. Une entreprise qui les prendrait, elles, comme la cible « par défaut » de toute organisation serait plus vertueuse pour tous/toutes.

Comme l’a écrit Pauline Rochart dans un bel article sur le prix fort que payent les mères solos au travail : « Dans ces univers compétitifs, où la charge de travail est élevée et où la disponibilité des salarié·es se discute peu, “ la mère célibataire ne fait tout simplement pas partie de leur logiciel” (…). C’est donc à elle d’anticiper et de s’organiser pour la garde des enfants. L’imprévu ou les sorties spontanées après le boulot sont tout bonnement impossibles. Réunions tardives, déplacements, événements nocturnes… ces contraintes professionnelles sont un casse-tête pour tous les parents, mais elles le sont deux fois plus pour celles qui n’ont pas de relais. »

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Examinons trois illustrations spécifiques du principe de design qui consiste à traiter tout le monde comme une mère célibataire :

  1. La charge de travail doit pouvoir être gérée par une mère célibataire : en général, pour la mère solo, l’essentiel du travail doit se faire sur les horaires de la crèche, d’une nounou ou d’une école, éventuellement avec quelques heures de baby sitting et un peu d’aide extérieure. S’il arrive qu’elle puisse retravailler après le coucher du/des enfant(s), il est difficile, en revanche, de compter sur ces heures supplémentaires au quotidien : un enfant malade, un moment d’épuisement et c’est la goutte de trop. En bref, les charges de travail très lourdes, caractéristiques des greedy jobs -ces emplois « avides en temps » imposés par notre modèle de la « réussite »-, sont excluantes pour les mères célibataires. Mais ce qui est bon pour elles est bon pour tout le monde ! Ce qu’elles ne peuvent pas gérer, personne d’autre ne devrait avoir à le faire non plus ! D’une certaine manière, c’est toute la place écrasante du travail dans la vie qu’il s’agit de redéfinir.
  1. Le temps de travail collectif (c’est-à-dire le travail « synchrone », comme par exemple les réunions) doit être concentré, de préférence au milieu de la journée. Les mères célibataires doivent déposer leur(s) enfant(s) quelque part (à la crèche, chez la nounou, à l’école) le matin ET le(s) récupérer en fin d’après-midi. Autant dire que les contraintes horaires sont importantes. Pour que la charge de travail (qui peut être supérieure à ces quelques heures du milieu de journée) soit gérable, il leur faut de la flexibilité en début et fin de journée. Le travail synchrone réduit sur quelques heures dans la journée, certaines organisations y ont pensé au moment de la pandémie. Par exemple, l’entreprise américaine Zillow, a mis en place dans ses équipes des core collaborative hours (comprenez, des blocs de temps collaboratifs) sur un bloc de 4 heures entre 10h et 14h : on ne peut solliciter ses collègues pour des échanges que sur ces heures-là ; le reste du temps, chacun travaille comme il veut et peut.

  2. Le congé parental et la garde des enfants ne devrait être un problème pour personne. Pour les mères célibataires, la garde des enfants est un sujet de préoccupation quotidien. Elles sont donc immédiatement bénéficiaires quand il existe des politiques parentales avantageuses : congé parental allongé, crèches d’entreprise, chèques garde d’enfants… Mais pour tous les parents, qu’ils soient parent #1 ou parent #2, cela facilite considérablement la vie et le travail ! Même les non parents sont gagnant·es dans cette affaire. En effet, certain·es se plaignent d’une surcharge de travail quand, dans leur équipe, des parents sont confrontés à des problèmes de garde d’enfants. Il n’y a pas de raison, après tout, pour qu’ils/elles essuient les plâtres ! Raison de plus, côté entreprise, pour fournir un maximum de soutien aux salarié·es parents, en les traitant tous comme des mères célibataires.

Il y a bien d’autres sujets à propos desquels on peut appliquer ce principe de design : la politique salariale, l’organisation du travail « hybride », la conception des espaces de travail, le choix des avantages en nature… Traiter l’ensemble de ses salarié·es comme des mères célibataires, voilà une révolution salutaire pour toute la société.

Photos par Thomas Decamps
Article édité par Mélissa Darré

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