Managers : plus que le salaire, découvrez ce qui motive vraiment vos équipes

24 oct. 2023

5min

Managers : plus que le salaire, découvrez ce qui motive vraiment vos équipes
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

contributeur.e.s

La motivation au travail est une équation complexe, que les chercheurs en sciences humaines essaient de résoudre depuis plusieurs décennies. Entre facteurs intrinsèques et extrinsèques, quels sont les (vrais) leviers qui animent vos collaborateurs ? Comment les activer avec doigté ? Et pourquoi l’argent n’en fait pas réellement partie ? Décryptage.

« Aujourd’hui, les collaborateurs sont très clairs : quand ils ne sont plus motivés, ils tournent les talons », commence Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert en nouvelles gouvernances. L’expert le constate chaque jour : les taux d’absentéisme et de désengagement n’ont jamais été aussi hauts. « Le désengagement est une véritable pandémie. Et ce n’est pas parce que les collaborateurs deviennent des zombies, parvenant à produire sous la contrainte, que l’entreprise fonctionne réellement », alerte-t-il.

Mais alors, c’était mieux avant ? Pas nécessairement. « Avant, les gens ne se posaient tout simplement pas la question. Ils avaient besoin d’un salaire et d’un travail, point », analyse-t-il. Selon lui, dans monde moins « financiarisé », les entreprises parvenaient à maintenir une dimension sociale, offrant ainsi un socle de motivation commun. Une réalité qui n’est désormais plus la nôtre. « C’est difficile de motiver des collaborateurs sur un taux de marge, résume-t-il. Oui, les salariés sont contents d’atteindre les objectifs si cela déclenche une prime ou un variable, mais ce n’est pas un engagement qui vient des tripes. » La messe est dite !

Money money money, always sunny ?

Aujourd’hui, les billets verts servent aussi de paravent. « Certains managers et dirigeants justifient des départs, ou tout simplement se cachent derrière l’excuse de l’argent, poursuit Ludovic Girodon, consultant, auteur et conférencier spécialiste en management. Or, lorsqu’on creuse, on comprend qu’il y a plein d’autres sujets. »
Trop souvent, l’argent est utilisé comme une carotte ou un bâton. « Plusieurs études menées à grande échelle démontrent l’inefficacité de cette mécanique, commente l’expert. Face à un problème à résoudre, promettre une récompense conditionnée à une performance peut fonctionner pour des tâches simples, mais pas pour des tâches créatives ou intellectuelles. »

Alors, les deux experts sont unanimes : non, l’argent n’est pas une source de motivation. « C’est un prérequis, mais pas une finalité », explique Luc Bretones. « La clé, c’est simplement de payer les gens juste assez pour que le sujet de l’argent n’en soit plus un, complète Ludovic Girodon. Ensuite seulement, on peut se concentrer sur les moteurs internes de chacun. » Mais ces moteurs, quels sont-ils ?

Une formule (presque) magique pour comprendre la motivation

« Nous avons tendance à projeter nos modes de fonctionnement sur les autres. Et c’est d’ailleurs la principale erreur de certains managers : penser que leurs collaborateurs ont les mêmes moteurs qu’eux », constate Ludovic Girodon. Il aime comparer les sources de motivation avec les « langages » du célèbre ouvrage Les langages de l’amour de Gary Chapman (Farel, 2015). « Dans un couple, certains seront sensibles à des cadeaux, d’autres à des compliments, d’autres à des moments partagés de qualité… C’est la même chose dans le monde du travail », illustre-t-il. À chacun ses drivers, pour préserver la flamme.

C’est donc pour clarifier ces facteurs que la science étudie le sujet de la motivation depuis plusieurs décennies. Et si les théories en la matière ne manquent pas, Luc Bretones recommande de s’intéresser à l’une d’entre elles, en particulier : la théorie des caractéristiques des emplois de Hackman et Oldham. « En recherche, c’est la plus importante car elle est à l’origine de toutes les autres », précise-t-il.

Dès 1975, les deux chercheurs proposent un modèle : le potentiel de motivation d’un emploi. Selon eux, la motivation naît de l’équilibre entre trois dimensions psychologiques : le travail doit être valorisant, le travailleur doit se sentir responsable de ses résultats, et il doit être constamment informé de l’atteinte de ces résultats. Pour illustrer leur théorie, Hackman et Oldham établissent une formule qui permettrait de mesurer le potentiel de motivation d’un emploi, l’IPM pour Indice Potentiel de Motivation : [(Variété des compétences + Identité de la tâche + Importance de la tâche) x Autonomie x Feedback ] ÷ 3 = IPM.
Luc Bretones traduit pour nous les différents éléments de cette équation :

  • La variété des compétences : c’est l’ampleur des compétences et des talents requis pour un emploi. Un poste avec diverses responsabilités est ici considéré comme plus valorisant.
  • L’identité de la tâche : un travail qui permet de voir un projet de son commencement à sa fin serait plus satisfaisant que celui qui ne couvre qu’une fraction de ce processus.
  • L’importance de la tâche : c’est la signification et l’impact d’une tâche sur l’entreprise ou la société en général. Les professions médicales, par exemple, sont particulièrement alimentées par ce facteur, car elles ont un impact direct sur la vie des citoyens.
  • L’autonomie : c’est la liberté qu’à un collaborateur dans l’exécution de ses fonctions. Plus il peut décider de la manière de faire son travail, plus il est probable qu’il se sente investi.
  • Le feedback : il s’agit du retour d’information qu’un collaborateur reçoit concernant ses performances.
    La variété des compétences, l’identité de la tâche et son importance déterminent l’intérêt du collaborateur pour son poste. « Même si l’une d’entre elles est faible, les autres peuvent compenser pour maintenir une perception positive du travail », précise Luc Bretones. Cependant, si l’un des trois éléments principaux de la formule (l’intérêt pour le poste, l’autonomie ou le feedback) est faible, l’IPN le sera également.

Plus récemment, Ludovic Girodon propose sa propre « formule », sous la forme d’un acronyme, qui résonne parfaitement avec la théorie des deux chercheurs. « Je résume les facteurs de motivation par l’acronyme DREAM. D, pour la direction, donc le sens que l’on trouve dans son job. R, pour la reconnaissance. E, pour l’environnement social, le plaisir que l’on a de retrouver ses collègues et évoluer dans une ambiance agréable. A, pour l’autonomie. Et M, pour la montée en compétences et la nécessité d’apprendre régulièrement », détaille-t-il.

3 conseils pour évaluer et entretenir la motivation

Alors que les théories anciennes et nouvelles se rejoignent, comment alimenter ces diverses sources de motivation au quotidien ?

Conseil n°1 : repenser sa gouvernance

Horizontalité, démocratie directe, sociocratie ou holacratie… « Non seulement les nouvelles formes de gouvernance impactent la motivation, mais c’est d’ailleurs leur principal intérêt », analyse Luc Bretones. En effet, toutes visent - d’une manière ou d’une autre - à augmenter l’autonomie, encourager le feedback, gagner en autorité sur son propre rôle. « Et elles amènent une raison d’être puissante et des valeurs qui la soutiennent », complète l’expert. Mais attention, car il est formel : une nouvelle gouvernance n’implique pas nécessairement la qualité du fonctionnement d’une équipe.

Conseil n°2 : prendre de la hauteur

Aider ses collaborateurs à identifier leurs sources de motivation demande du temps. Et ce temps est souvent grignoté par les urgences quotidiennes. « Il faut réussir à appuyer sur pause pour, une fois les motivations claires, discuter d’où le collaborateur en est, recommande Ludovic Girodon. Le manager et le collaborateur peuvent ensuite, ensemble, co-construire un plan d’action pour alimenter ces jauges. »

Conseil n°3 : privilégier la motivation collective

Luc Bretones modère l’efficacité des démarches (uniquement) individuelles. « Investir sur la seule performance individuelle mène généralement à peu de choses. Il faut travailler à la bonne maille, et cette maille est celle de l’équipe, pas de l’individu », observe-t-il. Car la somme des engagements individuels ne fait pas l’engagement collectif. Pour l’expert, on peut alors commencer par faire un diagnostic du fonctionnement de l’équipe afin de traiter les désalignements. « L’équipe peut ensuite choisir ses priorités et initier des ateliers d’amélioration : communication, règles de vie… Parfois, il leur manque simplement des rituels ou une raison d’être clairs, sur lesquels travailler. Et à chaque fois, on voit la motivation et l’engagement s’améliorer en parallèle », ajoute-t-il.

Pour terminer, Luc Bretones aime le rappeler : « 90 % des problèmes d’une équipe viennent… de l’équipe elle-même. Et ce, quel que soit le faisceau de contraintes de l’organisation dans laquelle elles sont. Mais voyons cela comme quelque chose de réconfortant, car cela signifie que le rôle du leader est clé, et que l’équipe a les moyens de changer ce qui dysfonctionne ». Pour naturellement, booster l’engagement.


Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ