Comment le « management situationnel » peut vous aider en temps de crise

10 mars 2021

7min

Comment le « management situationnel » peut vous aider en temps de crise
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Face à la crise sanitaire, les entreprises s’adaptent pour poursuivre l’activité et donner un cap aux équipes malgré un contexte mouvementé. Un véritable challenge alors que la situation est inédite. En première ligne, le management doit trouver des leviers pour maintenir l’engagement des collaborateur·rices. Pour cela, il peut être utile de se référer à des modèles de management tels que le management situationnel de Hersey et Blanchard. Leurs travaux demeurent une mine d’information pour faire face aux turbulences économiques qui impactent les organisations. Loin d’être obsolète, ce modèle de gestion est fondé sur l’évaluation des besoins, le choix de la solution la plus appropriée et l’utilisation de la forme de leadership la plus utile. En quoi ce triptyque regorge-t-il d’enseignements pour les managers déboussolé·e·s par la crise sanitaire ? Comment l’utiliser pour inventer des organisations plus résilientes face aux cygnes noirs ?

Management situationnel : rappel d’un concept intemporel

Quels sont les fondements du modèle ?

La théorie du management situationnel découle des travaux de Paul Hersey et Kenneth Blanchard. Selon eux, un leader doit adapter son style de leadership à la situation à savoir une mission, une tâche, un poste… Ainsi, il peut être parfois directif ou participatif en fonction d’une situation donnée. Yahya Fallah, co-fondateur de Seven, organisme de formation expert en management insiste sur un point clé : « Généralement, les leaders managent selon le profil de la personne ou selon sa sensibilité. Hersey et Blanchard proposent une vision plus macro : le profil fait partie de la situation mais ce n’est qu’un élément parmi d’autres. » C’est donc un modèle de gestion d’équipe très flexible car il ne se cantonne pas à un seul aspect (profil notamment) et n’est pas figé dans le temps (il est évolutif). Pour cela, le management situationnel se fonde sur 4 principes clés :

  • Le développement de l’autonomie des salarié·es est un but
  • Une grande capacité d’adaptation des styles de management est de mise selon la situation donnée
  • La capacité d’évolution continue de l’autonomie des collaborateur·rices se veut prioritaire
  • La mise en place d’un cadre propice au développement de l’autonomie s’avère essentiel

Ce dernier point est fondamental car la vocation du management situationnel est de tendre vers une plus grande autonomie des collaborateur·rices. Ainsi, cet outil permet de niveler la montée en compétences en sécurisant les équipes au maximum grâce à un accompagnement par étapes.

Les différents types de management : un levier de motivation

Pour bien comprendre l’outil et savoir l’utiliser, il faut comprendre que le management situationnel s’articule autour de comportements instrumentaux à savoir la maîtrise de la tâche (ou le niveau de compétence) et de comportements relationnels à savoir le temps que le manager passe avec ses collaborateur·rices. En croisant ces deux paramètres, il en découle une matrice avec quatre types de management évolutifs dans le temps.

Selon Yahya Fallah, « le management situationnel est une approche qui vit dans l’entreprise. Cela évolue avec le temps en fonction de l’expérience accumulée d’un.e collaborateur·rice vis-à-vis d’une situation, d’une tâche ou d’une mission. » Il s’agit de démarrer par un management directif car la personne ne maîtrise pas forcément tous les contours de sa mission. Puis, petit à petit, on évolue vers un management plus persuasif qui se rapproche du coaching pour faire grandir la personne. Quand le/la collaborateur·rice maîtrise davantage sa mission et se sent plus à l’aise, on pivote vers du participatif, puis du délégatif. Ainsi, en fonction du niveau de maturité, de la situation et des besoins, il est possible d’adapter son style de management :

  • Management directif : le/la manager encadre de près les collaborateur·rices peu expérimenté·es sur certaines missions. Il passe peu de temps avec eux/elles car il promulgue des ordres précis tout en contrôlant régulièrement les avancées.
  • Management persuasif : le/la manager est plus présent.e car il/elle passe du temps à expliquer le pourquoi d’une mission par exemple. Mais le manque de maîtrise l’oblige à maintenir un niveau de reporting élevé.
  • Management participatif: le/la collaborateur·rice commence à maîtriser sa mission. Étant plus autonome, le/la manager l’associe notamment à la prise de décision.
  • Management délégatif: la personne peut prendre les décisions car elle maîtrise sa mission. Le/la manager délègue une grande partie des actions afin de booster l’initiative individuelle et la confiance en soi.

Cet outil de management évolutif permet de développer la confiance tout au long du processus et de donner du sens et de la perspective aux équipes. En effet, c’est un levier clé de motivation pour les salarié·es car « il s’agit de passer en revue toutes les situations possibles avec chacun d’entre eux/elles afin d’évaluer leur niveau de maîtrise. On établit un état des lieux individuel que l’on fait évoluer en permanence. Le management s’y adapte afin de tendre vers plus d’autonomie », insiste Yahya Fallah. Ce modèle propose ainsi une approche multidimensionnelle de l’individu au sein de l’organisation : un·e salarié·e peut très bien être managé·e de manière directive sur l’une de ses tâches et être en totale autonomie sur un autre volet de son poste. Finalement, cette flexibilité managériale permet de motiver les individus sur la durée, ce qui en fait un levier de résilience pertinent face aux aléas externes.

Management situationnel : 4 raisons de s’en inspirer pour traverser la crise

Relancer l’engagement des collaborateur·rices face à l’incertitude

En 2020, près de la moitié des salarié·es (46%) se déclarent moins engagé·es et considèrent que leur travail a moins de sens qu’avant (48%). En plein chaos, l’enjeu majeur est clairement de recréer les conditions de l’engagement. Pivot de l’organisation, le/la manager devient alors la pierre angulaire de la (re)motivation. Alors que les salarié·es sont en perte de repères, s’inspirer du management situationnel permet d’offrir un accompagnement personnalisé qui permet de «sensibiliser les managers à une grille de lecture pour savoir comment les garder engagé·es », souligne Yahya Fallah. En ce sens, le management situationnel est un véritable outil de développement au service des équipes. Il permet de faire un bilan et d’analyser le contexte afin d’évaluer où en est chaque collaborateur.rice face à la situation donnée. La matrice est un socle d’analyse pour le/la manager « qui est capable de s’arrêter et d’aller voir ses collaborateur·rices pour leur demander leur avis et même exprimer leurs incertitudes. Ensemble, ils/elles vont définir des actions et la direction à prendre ». En pleine crise, cette forme d’humilité « offre la possibilité d’être plus transparent avec ses collaborateur·rices. Chaque manager peut ainsi montrer ses fragilités ce qui renforce les liens et la confiance ».

Accélérer l’autonomie des collaborateur·rices en télétravail

Pour 88 % des salarié.es, le télétravail permet de gagner en autonomie. Pourtant, sans encadrement progressif, l’autonomie peut rapidement dériver vers un stress accru par manque de clarté dans les objectifs à réaliser. Rappelons que près d’un salarié sur deux était en détresse psychologique en novembre 2020. C’est particulièrement le cas au sein d’équipes dispersées où les échanges avec le/la manager sont moins spontanés voire plus rares. Quand une nouvelle organisation doit se mettre en place, « le management situationnel est un point de départ très efficace pour redéfinir voir challenger la relation avec ses collaborateur·rices. Ensemble, en fonction de la situation individuelle, manager et managés l’utilisent pour encadrer, progressivement, le niveau d’autonomie », explique Yahya Fallah. En effet, l’autonomie est relative dans le milieu professionnel : une même personne possède des degrés d’autonomie professionnelle divers selon les situations de travail. En pleine crise, le rôle cardinal du manager situationnel est donc de s’adapter en permanence au niveau d’autonomie des individus en fonction de ses nouvelles missions. Son style de management se construit au cas par cas, en prenant en compte aussi bien la culture de l’entreprise que la nature des activités exercées ou encore les difficultés contextuelles.

Améliorer la communication au sein d’équipes dispersées

La communication et le partage des informations restent le défi numéro un lorsqu’une organisation est chamboulée du jour au lendemain. Beaucoup d’organisations sont passées massivement en télétravail sans véritablement avoir le temps d’accompagner les salarié·es. Le risque ? Le manque de clarté qui peut rapidement générer une perte de productivité. « L’outil de management situationnel permet de donner de la visibilité sur les rôles de chacun », explique Yahya Fallah. En effet, via les comportements instrumentaux, la matrice a pour but d’organiser et de définir les rôles des membres de l’équipe. Le/la manager explique à chacun.e les activités qui lui incombent, à quel moment il/elle doit agir et comment s’organiser et collaborer avec les autres. « Chez Seven, du jour au lendemain, nous avons dû rapidement agir pour redéployer une nouvelle manière de collaborer à distance afin de rebondir. On s’est donc inspirés d’un dérivé du modèle de Hersey et Blanchard : le “delegation Poker” de Jürgen Appelo. En gros, on a décidé du niveau de délégation à appliquer (de 1 à 7) en fonction de la tâche à réaliser et de la personne en charge. » Ainsi, collaborateur·rice par collaborateur·rice, le management a co-définit avec eux/elles les nouvelles responsabilités et tâches de chacun en fonction du nouveau cap donné. « C’est une manière très efficace et rapide de savoir qui fait quoi et comment. C’est une pratique ancrée au sein de Seven ce qui permet de réagir vite dans les périodes de turbulences », renchérit-il. Aussi, en parlant le même langage, les interactions sont plus simples entre les différents membres de l’équipe malgré la distanciation.

Bâtir et consolider une organisation résiliente

Le management situationnel est avant tout une approche structurante pour définir la relation à l’autre « dont on voit les bénéfices avec le temps. Notamment quand un événement imprévisible vient bousculer un équilibre : c’est là où les organisations les plus résilientes se révèlent. Et le management y est pour beaucoup ». En effet, avec un management approximatif ou peu enclin à prendre le temps de comprendre ses équipes, les collaborateur·rices ne sont pas prêt(e)s à s’investir davantage. « Les personnes seront passives ou refuseront de faire face » selon Yahya Fallah. Alors que le management situationnel est un travail de fond dont le but est de bâtir une organisation plus résiliente, car « on va prendre le temps avec chaque collaborateur·rice de le/la comprendre et de le/la faire grandir. En les respectant, le jour où une crise débarque, ils/elles seront là, prêt.es à rebondir avec vous ». Dès le premier confinement, Seven a dû adapter toutes ses activités en passant au format distanciel. L’équipe dirigeante a refusé le chômage partiel et a tenté d’innover avec ses équipes: « Nos collaborateur·rices ont bossé à fond : chacun est allé chercher des idées et de l’innovation. C’est vraiment dans ces moments difficiles que l’on mesure la qualité d’une organisation, de son management et surtout des hommes et des femmes qui y travaillent ensemble. »

Photo by Thomas Decamps pour WTTJ

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